La falaise des lendemains (Tornaod an antronoz)

Moi qui suis plutôt un habitué des opéras « bel canto » du 19ème , j’aime bien goûter les productions actuelles et voir la manière dont elles peuvent s’emparer de ce genre sans le trahir, mais en le renouvelant bien sûr. Et j’ai souvent été déçu avec des trucs un peu trop comédie musicale (que j’aime aussi), ou carrément abscons ou trop abstraits à mon goût, allant trop loin dans la déstructuration de la narration, ou encore rendu ridicule par l’emphase que l’opéra apporte naturellement et qu’il faut savoir savamment doser.

Eh bien là, je n’ai pas été déçu, tout au contraire. Même si ce n’est pas le spectacle de l’année, ce « Jazz Diskan Opéra », tel qu’il est sous-titré sur les affiches et programmes, est une réussite à bien des égards. Non seulement on a une vraie histoire d’opéra, une dimension théâtrale à la hauteur de son sujet, mais aussi une composante musicale et vocale à la fois intéressante, cohérente et innovante. Les trois mots sont singuliers ainsi rapprochés car l’opéra rencontre bel et bien le jazz, ce qui en soit est inattendu, mais le « diskan » ajoute encore à ce trio en oxymore. On peut mieux comprendre ce dernier mot breton signifiant « contre-chant » en lisant la page du Kan ha diskan. Et bien sûr le titre même de l’opéra étant bilingue français et breton, on est dans une œuvre manifestement syncrétique ! Elle est même d’ailleurs, et très naturellement de par sa narration, présentée avec trois langues : breton, français et anglais (donc surtitrage obligatoire pour suivre !).

La composition et orchestration de Jean-Marie Machado, avec une direction musicale de Jean-Charles Richard, est vraiment très chouette, avec une tonalité jazz très efficace et envoutante, et des accents bretonnants qui ne dissonent étonnamment pas. On a aussi très concrètement une grande porosité entre l’action, le chant et la musique, puisque les musiciens sont littéralement sur la scène, comme on peut le voir ci-dessous.

Les décors ne changeront donc pas, à part quelques accessoires qui sont déplacés pour situer certaines scènes. On est à Roscoff avant la première guerre mondiale (1914), puis pendant, et enfin après. Quelques filets de pêche marquent le territoire, et un bastingage surélevé en demi-cercle représentera les quais du port, où l’action se déroule en majorité, avec en haut à gauche sur des échafaudages en hauteur la fameuse « falaise des lendemains ».

Nous sommes à Roscoff donc, et un (jeune et beau) marionnettiste de Guernesey présente un spectacle au port. Une (jeune et belle) infirmière, Lisbeth (Yete Quieroz), qui échappe aux griffes du mafieux et maquereau local, Dragon (Florian graou Bisbrouck), qui est amouraché d’elle. Lisbeth va en revanche immédiatement succomber, et réciproquement, aux charmes du marionnettiste anglais. Ils décident de se donner rendez-vous plus tard, la nuit, en haut de la falaise. Mais cela vient aux oreilles de Dragon qui s’y rend en avance. Il défigure, brise les mains, et laisse pour mort le pauvre marionnettiste qui attend sa belle. Ensuite, il attend Lisbeth et tente de la violer, avant de la pousser dans le vide.

Yeaaaah !! Ça c’est de l’opéra bébé !!! Et attendez ce n’est pas tout. Le marionnettiste est ramené à Guernesey où il est inconscient puis amnésique, en plus d’une véritable « gueule cassée », on lui raconte alors qu’il a été écrasé par un cheval fou. Lisbeth survit miraculeusement, mais est paraplégique. Survient la guerre et ses difficultés supplémentaires, après la guerre Lisbeth, en fauteuil roulant, s’occupe des gueules cassées. Bien sûr les amoureux se retrouveront à Roscoff, et évidemment le marionnettiste mourra dans ses bras. Bon ça se finira mal aussi pour le nazillon local.

Avouez que c’est du bon drama d’opéra ça, j’étais absolument ravi et comblé. Un truc bien pompier à la fois dans l’infatuation immédiate des personnages, mais aussi dans les conclusions un brin surréalistes et allégoriques. Mais c’est vraiment ce que j’attends, donc j’étais hyper content de cette histoire, et qui sincèrement est très bien narrée. En plus, les deux interprètes Yete Quieroz et Florian Bisbrouck sont très talentueux et déploient un joli charisme dans ce drame breton absolu.

Les langues donc arrivent assez naturellement avec un mélange breton et français pour les gens de Roscoff (les expressions idiomatiques bretonnes, et le tout venant en français donc assez naturel) et l’anglais avec le marionnettiste ou sur Guernesey. Et vraiment cette musique met bien en valeur le livret, même si je dois avouer que ça manque de lyrisme pour moi, surtout avec une histoire pareille. Donc ces opéras modernes ne retrouvent pas cette vibration que j’aime tant avec le bel canto d’un Verdi. Mais il faut comparer ce qui est comparable, et en tant que tel c’était déjà un très beau spectacle.

J’ai regretté que certains éléments majestueux et tape à l’œil de la scénographie n’aient pas été plus mis en valeur. Comme cette marionnette géante (en photo de tête de l’article), ou les spectacles de marionnettes qui sont cachés du public alors que c’était une super opportunité de mise en scène selon moi.

Mais globalement c’est super digeste (1h45 de spectacle), très original et avec une forme à la fois belle et efficace. On peut vraiment appeler cela un opéra et s’enorgueillir d’une telle inventivité avec cette touche bretonne qui ravira plus d’un chapeau rond.

Luttes intestines

D’abord Sookie est venue se coller sur mes jambes, mais erreur stratégique, elle était au niveau de mes genoux. Donc Arya s’est gracilement installée sur mes cuisses, et elle me lançait grands regards amoureux d’une satisfaction toute victorieuse. Mais c’était sans compter l’opiniâtreté de Sookie qui a remonté l’Everest et s’est repositionnée au plus haut, donc dans mon cou.

J’ai fini par virer tout le monde !!!

Éclipse partielle de soleil du 29 mars 2025

Allez sur une note un peu plus badine, dans deux semaines on a une éclipse solaire à voir en France !!!! Les horaires ci-dessous sont en GMT, donc c’est en réalité à partir de 11h à Nantes et jusqu’à 12h51.

Mon souvenir prégnant d’une éclipse c’est celle, complète sur le coup, du 11 août 1999 chez mes parents, dans le Val d’Oise, avec à peu près toute la France qui avait ses binocles (ou des trucs maisons à base de négatifs photos non exposés) spéciales et qui était de sortie pour voir ce phénomène assez rare dans une vie. Malgré un ciel nuageux, on avait tout bien vu, et ce moment où on est dans l’ombre, et où les oiseaux ne pépient plus, c’était vraiment incroyable1.

  1. Cela m’évoquait en réalité surtout ce moment génial avec Tintin dans Le Temple du Soleil. ^^ ↩︎

Miscellanées bordéliques globales

Toutes ces infos qui arrivent, je suis complètement paumé et déprimé. Mes angoisses existentielles ont franchi un nouveau pallier ces derniers temps, je ne sais pas combien j’en ai, et jusqu’où je peux endurer ça. Mais ça commence à m’atteindre sûrement.

Par exemple, ce truc-là :

L’article date de l’année dernière et il se base sur une vidéo de 2021 où JD Vance, l’actuel VP des USA, explique comment pour lui les profs et les universités sont les ennemis, et qu’il va les attaquer frontalement s’il arrive au pouvoir un jour. Il cite directement Nixon lorsqu’il insiste ainsi sur la dangerosité du corps éducatif, et la manière dont il faut le réformer complètement pour le vider de tout risque d’opposition ou juste de critique raisonnée. Nous y sommes !!! [via Bluesky]

Et juste en écho, Philippe de Villiers qui voit en Hanouna son « JD Vance ». Et hop, la boucle est bouclée !

Mais en plus, une petite nouvelle sympathique d’Argentine où Javier Milei a demandé qu’on audite l’ensemble des personnes en situation de handicap bénéficiaires d’aides gouvernementales. Pour cela, le décret s’accompagne d’une sorte de barème du handicap mental comme suit :

Une annexe au décret délimitait ainsi les groupes à handicap mental – « retardés mentaux » dans le texte –, en fonction du quotient intellectuel : « 0-30 (idiot) », suivi d’une description des capacités du sujet (s’exprimer, lire, écrire, subvenir à ses besoins de base, etc.). La liste continuait : « 30-50 (imbécile) », puis « 50-60 (débile mental profond) »« 60-70 (débile mental modéré) », et enfin « 70-90 (débile mental léger) ».

Argentine : le handicap mental réduit à de « l’idiotie »

Et comme si tout cela n’était pas déjà très triste et désespérant, voilà que Tim Kruger est mort ce week-end. Nan mais, la plus belle bite du monde qui disparait à tout juste 44 ans. Si c’est pas un signe funeste ça. ^^

La belle illustration de Francisco Bianchi de Tim Kruger.

Pour se consoler, on écoutera aujourd’hui Carmen qui fête les 150 ans de sa toute première représentation à l’Opéra-Comique. Cet opéra mythique avait été un bide à sa création, mais trois ans plus tard, en 1878, grâce à la soprano Minnie Hauk, c’est devenu le succès mondial que l’on connaît.

Que voulez-vous, j’ai besoin d’équilibrer mon esprit avec des choses très diverses sinon ce n’est pas moi. ^^

[Edit du 04/03/2025] Après avoir lu le commentaire de Valérie ci-dessous, je vois qu’en effet j’aurais pu ajouter à cette série de nouvelles peu réjouissantes, celle très concrète et touchée sur doigt par Dr. CaSo sur son blog. Elle a animé un atelier pour une petite centaine de militaires canadiens et américains, via une association, à propos de méthodes littéraires et en prenant des romans emblématiques en exemple. Eh bien voilà le résultat hallucinant :

  • La directrice de l’association m’a dit qu’elle avait trop peur de poster ma présentation sur le site public parce que j’avais utilisé des livres, des mots, et des théories censurées par le gouvernement américain;
  • Elle a bien voulu poster mes diapositives mais a écrit un « avertissement » qui expliquait que j’étais la seule à penser et dire et lire tout ça et que ma présentation ne représentait en rien l’opinion de l’association;
  • Elle a reçu des emails de plaintes contre le sujet de la présentation qui allait à l’encontre de la politique américaine actuelle;
  • Plusieurs personnes ont écrit pour dire qu’elles étaient désolées d’avoir arrêté d’assister à ma présentation en plein milieu parce qu’elles avaient trop peur d’être vues dans ce groupe en train de parler de ces sujets;
  • Au moins 30% des personnes qui ont assisté à toute ma présentation l’ont fait depuis des comptes personnels (alors qu’auparavant, chacun se connectait sur Teams depuis son compte professionnel) et en utilisant leurs initiales ou des pseudonymes au lieu de leurs vrais noms, ce qui n’était pratiquement jamais arrivé auparavant!
Extrait de l’article The Handmaid’s Tale du Dr. CaSo

Breizh globole po-ouère!!

Après le timide golfe de Bretagne pour apaiser les tensions internationales, une nouvelle proposition beaucoup plus mesurée et raisonnable de la Bretagne pour rebaptiser quelques endroits dans le monde, et éviter ainsi des problèmes diplomatiques. Simplifions les choses, tout en visant l’excellence, et mettons tout le monde d’accord avec des évidences géographiques, culturelles et civilisationnelles. ^^

Regrets

J’ai rencontré avec bonheur Madjid il y a quelques années à Tokyo. Et là il écrit un billet qui fait mouche, comme souvent d’ailleurs. Une de ces bouteilles à la mer qui trouvera j’espère bien des lecteurs. Il le mérite. ^^

Je veux ce billet rempli de regrets, du temps qui a passé sans que je ne m’en rende compte, de mes yeux fermés sur ce passé. Je veux ce billet comme la confession de Perceval, parti brusquement sans se retourner, ignorant de la tristesse et du déchirement de sa mère attendant un au revoir qui jamais ne viendra.
Perceval qui, tout rempli du regret qu’il feint d’ignorer, restera paralysé devant les miracles de sa quête. Perceval rempli d’avenir mais cédant sa place à Lancelot, pourtant bien moins pur, bien plus faillible. Perceval, perdu dans sa quête d’absolu, enfant attaché à sa mère et rempli du regret de la séparation.
[…]
Je veux ce billet plein de ces regrets de n’avoir fait, de n’avoir dit, d’avoir fait et d’avoir dit, d’avoir mal fait et d’avoir mal dit, je le veux plein des choix que j’ai faits, que je n’ai pas faits, que j’ai oubliés, que je n’ai pas respectés, que j’ai jeté aux quatre vents. Je veux ce billet rempli de l’amour que je n’ai su ni donner, ni recevoir.
[…]
Je veux ce billet comme une porte ouverte sur l’infini d’une mer à explorer et les flots d’amour qui la bercent.
Je veux ce billet comme la source d’un récit qui ne se tarit pas, rempli de la vie qui est encore là et qui coule en moi, qui m’irrigue et me guide. Je veux ce billet pour vous raconter je ne sais trop quoi, et je le veux ainsi.

Citations du billet « Regrets » de Madjid Ben Chikh