Nuit

Je t’adore à l’égal de la voûte nocturne,
Ô vase de tristesse, ô grande taciturne,
Et t’aime d’autant plus, belle, que tu me fuis,
Et que tu me parais, ornement de mes nuits,
Plus ironiquement accumuler les lieues
Qui séparent mes bras des immensités bleues.

Je m’avance à l’attaque, et je grimpe aux assauts,
Comme après un cadavre un chœur de vermisseaux,
Et je chéris, ô bête implacable et cruelle !
Jusqu’à cette froideur par où tu m’es plus belle !

XXV – Les fleurs du Mal (1868) de Charles Beaudelaire

Complices et compromis

J’ai vraiment bien aimé cette notion de complicité et compromission car c’est aussi ce avec quoi je me bats depuis des années. J’irai même encore plus loin, car c’est ce que je décrie qui est sans doute à l’origine même de ma capacité d’émancipation. C’est à dire que c’est une certaine idée d’une société que je honnis qui m’a donné les clefs et les ressources pour la penser ainsi, de manière critique. Et c’est sans doute une de ces vertus, il ne faut pas l’oublier. Elle sera un peu plus vertueuse quand elle saura aussi évoluer, s’améliorer et progresser sans se révolutionner (pour éviter de jeter le bébé et l’eau du bain), mais se transformer vers un meilleur. Mais c’est justement cela qui est peut-être impossible ?

Nous tous. Nous… sans exceptions.

I love my job. I make a great salary, there’s a clear path to promotion, and a never-ending supply of cold brew in the office. And even though my job requires me to commit sociopathic acts of evil that directly contribute to making the world a measurably worse place from Monday through Friday, five days a week, from morning to night, outside work, I’m actually a really good person.

I Work For an Evil Company, but Outside Work, I’m Actually a Really Good Person. Emily Bressler. 12 novembre 2025.

Cela fait mal. Cela met du poil à gratter là où il faut. Cela replace le sujet au bon endroit. Ce n’est pas un abandon, ni une généralisation. C’est le problème fondamental qui est sous-jacent à toutes nos critiques du système capitaliste. Nous sommes tous complices et compromis. C’est le bon point de départ pour penser à ce que nous devons changer. Toute position de la vertu est vouée à l’échec. Il est impossible d’être vertueux dans le monde courant à moins d’être hors-système. Bon courage dans un monde globalisé. La complicité est une arme beaucoup plus efficace dans la réforme des institutions. Je suis compromis donc je dois penser le changement pour l’être moins.

Mon cœur a bondi par Karl

Saurais-je donc me faire du mal à moi-même pour le bien commun ou pire celui d’autrui ? Les nobles qui soutenaient l’égalité des citoyens pendant la révolution française contre leurs propres privilèges, avaient-ils raison ? Et dans raison, il y a évidemment rationalité et morale, mais aussi intérêt ? Leurs vies ont-elles été plus fécondes ensuite ? Peut-être pas, mais ont-ils au moins mieux dormi la nuit ?

En tout cas, je n’aime pas non plus du tout les positions de vertu et les exemples à donner en partant de soi. Et heureusement que l’on peut aussi réfléchir et élaborer une société plus juste tout en se tirant une balle dans le pied. C’est certes plus difficile, mais c’est cela les Lumières.

Et de l’autre côté du spectre, je tombe là-dessus. L’article évoque une toute nouvelle génération de tech bros qui vont à SF pour essayer de percer dans le business de l’IA, à peu près comme on entre en religion… Ils sont dans des neo-ashrams et vibe-codent1 dans une ambiance ascétique les futurs catastrophes planétaires2 avec en plus cette conviction intime de fin du monde. Cela me rappelle ce qu’un ancien collègue et pote m’avait dit dans le tout début des années 2000 : « Nan mais tu sais moi, je m’en fous si la moitié du monde crève, tant que je suis dans la bonne moitié. »

Et dans tout ça, bah chuis paumé, je ne sais plus comment je m’appelle. Ah si, Matoo ou Mathieu selon les dimensions et univers parallèles dans lesquels j’évolue. ^^

  1. Ce sont les développeurs qui utilisent des IA pour majoritairement écrire leur code informatique. ↩︎
  2. En vrai, ils essaient de concevoir des services basés sur l’IA, la couche d’après quoi… Et bien sûr dans aucune conception éthique ou morale : en mode El Dorado… Et c’est finalement très proche des bulles internet d’il y a vingt ans dans la Silicon Valley. ↩︎

Aimer

J’ai été très sensible à l’article de Bismarck (j’aime tellement son pseudo, c’est exactement ce qu’il faut à une prof d’allemand ^^ ), et je pensais récemment aussi aux modèles de couple qui sont naturellement imposés par la société. Comme j’ai récemment changé de job, j’ai pas mal de conversations avec les collègues sur leur famille, leurs enfants, et ils me posent aussi intuitivement à peu près les mêmes questions. C’est assez adorable d’ailleurs car ils savent bien que je suis pédé (c’est devenu tellement simple avec le mariage, et je n’avais pas du tout anticipé que ce serait un des facteurs vraiment facilitateurs du coming-out et d’une « normalisation » d’une efficacité confondante pour notre pays), mais j’ai toujours droit au couplet sur les enfants, avec un étonnement « ah tu n’as pas d’enfants ? ».

Nan mais comme si c’était si facile que ça d’avoir des mômes quand t’es deux mecs. Et comme, ça n’a jamais vraiment été dans mes projets, je n’ai pas trop de difficultés à répondre, et surtout je ne me sens pas mal (j’espère qu’ils ne posent pas la même question à des femmes qui pourraient être dans une situation beaucoup plus délicate à ce sujet). Tout cela lorsqu’on est jeune est un brin saoulant car on voit tous ces vieux qui ne parlent que de leurs mômes et leur mari/femme. Là, étant donc pédé et dans un modèle malgré tout inédit pour beaucoup de gens, j’ai plutôt des gens étonnés et curieux, et qui se disent « ah ouai tu vis comme un célibataire quoi ». Et j’ai vraiment eu cette réaction plusieurs fois, car je parlais qu’on allait sans doute aller aux Transmusicales de Rennes cette semaine. Et je réponds à chaque fois « bah non, je suis marié, on y va ensemble », oui mais bon c’est pas pareil quoi.

Et clairement comme je suis entouré de moustachus, ils nous/m’imaginent sans doute comme des colocataires qui regardent le foot et boivent de la bière sans aucune autre emmerde dans la vie. Hu hu hu. ^^

Quand t’es plus jeune, c’est vraiment la croix et la bannière pour expliquer que t’es pédé au boulot (et moi j’ai fait ça dès 1997), et ça, ça a tout de même vraiment changé en mieux. Mais quand t’es plus vieux, c’est tout de même plus facile il me semble de sortir un peu du cadre et des standards. Ah et je comprends que cela soit troublant, mais comme je l’ai maintes fois répété, ne rien dire ce n’est pas rester neutre ou discret ou je ne sais quoi. Ne rien dire, c’est assumer qu’on est hétéro. Car on n’est pas neutre, on est « hétéro par défaut » dans notre société. Et moi non, je suis un pédésexuel très sympa. ^^

J’espère bien qu’on cessera d’essayer d’absolument de nous faire rentrer dans des cases, et je trouve que c’est un des trucs qui continue de pas mal progresser, donc croisons les doigts et serrons les coudes à ce sujet.

Et malgré tout cela, je peux comprendre bien sûr les interrogations quant à cette confusion, peut-être, entre célibat et solitude. Car c’est surtout cela je pense qui turlupine et qui inquiète même. Et quand on voit une maman avec des enfants, on se dit que ça sera difficile quand ils seront partis. Et même pour des gens qui gèrent et aiment une certaine solitude (comme mon papa par exemple), il y a des moments dans la vie où on a besoin d’autrui.

C’est pour cela que le célibat c’est très bien, mais la solitude est sans doute à relativiser, même pour l’ours le plus mal-léché. J’avais été drôlement rasséréné à ce sujet par l’ex de mon oncle, Claude, dont j’ai déjà parlé. Et je pense que c’est vraiment cela le salut. Oh je ne dis pas que je n’aimerais pas vieillir un peu plus en compagnie de mon mari actuel, ou du suivant (laule). Mais il faut penser à toutes les situations de solitude voulue ou subie, et il est important pour moi de nourrir une communauté de bonnes âmes que je veux autour de moi, et dont je veux prendre soin également, au-delà du couple (mais dont je considère très personnellement que c’est un pilier auquel je tiens plus que tout aujourd’hui).  

Je n’ai aucune place dans le monde, alors, comme l’esprit de combativité de mon père, cette évidence s’applique à chaque élément de ma vie : je suis le seul à vouloir avoir des amis, faire l’amour, la réciprocité n’est pas envisageable. A croire que chaque relation serait une conquête, une prise faite sur un ennemi, qu’il faut arracher un consentement par force ou habileté, compromission avec le réel. Je n’ai aucune stratégie, aucun manuel de guérilla sociale pour apprendre comment me dépêtrer de cette jungle, alors je renonce, laissant s’en mêler un hasard que je prends soin de ne pas provoquer. Pour mon bonheur et mon malheur, j’adore lire, la solitude m’est une amie qui me délivre de la peine d’en chercher d’autres.

Citation extraite de Ce qu’aimer veut dire de Mathieu Lindon

(Nan mais c’est pas de la balle cette citation ? Purée, j’aimerais savoir écrire comme ça. ^^ )

Iwak #29 – Leçon

Il y a d’abord cette citation qui vient des mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar :

Je ne méprise pas les hommes. Si je le faisais, je n’aurais aucun droit, ni aucune raison, d’essayer de les gouverner. Je les sais vains, ignorants, avides, inquiets, capables de presque tout pour réussir, pour se faire valoir, même à leur propres yeux, ou tout simplement pour éviter de souffrir. Je le sais : je suis comme eux, du moins par moments, ou j’aurais pu l’être. Entre autrui et moi, les différences sont trop négligeables pour compter dans l’addition finale. Je m’efforce donc que mon attitude soit aussi éloignée de la froide supériorité du philosophe que de l’arrogance du César. Les plus opaques des hommes ne sont pas sans lueurs : cet assassin joue proprement de la flûte ; ce contremaître déchirant à coups de fouet le dos des esclaves est peut-être un bon fils : cet idiot partagerait avec moi son dernier morceau de pain. Et il y en a peu auxquels on ne puisse apprendre convenablement quelque chose. Notre grande erreur est d’essayer d’obtenir de chacun en particulier les vertus qu’il n’a pas, et de négliger de cultiver celles qu’il possède.

C’est un résumé assez impressionnant (d’un pan) de la pensée stoïcienne, mais c’est évidemment surtout son successeur et héritier adoptif, Marc-Aurèle, qui sera (et l’est encore aujourd’hui) dénommé l’Empereur-Philosophe. Et même si j’en ai parlé et reparlé ici, tout a en réalité commencé par cette « vérité » d’Épictète dont le « Manuel » du stoïcisme est une référence puisque c’est un de ces disciples (Arrien) qui a compilé ses « notes de cours » pour notre édification.

Il y a des choses que nous contrôlons et d’autres que nous ne contrôlons pas. Ce que nous contrôlons, ce sont nos jugements, nos opinions, nos objectifs, nos désirs, nos peurs — en bref, nos pensées et nos actions. Ce que nous ne contrôlons pas, c’est notre apparence physique, la classe sociale dans laquelle nous sommes nés, notre réputation aux yeux des autres, la richesse, la célébrité, le pouvoir ou les honneurs qui pourraient nous être accordés.

Tant que nous restons dans notre sphère de contrôle, nous sommes naturellement libres, indépendants et forts. En dehors de cette sphère de contrôle, nous sommes faibles, limités et dépendants.

Souviens-toi donc que si tu fondes tes espoirs sur des choses que tu ne contrôles pas, ou si tu considères comme t’appartenant des choses qui appartiennent aux autres, tu seras susceptible de trébucher, de tomber, de souffrir et de blâmer les Dieux et les hommes. Mais si tu concentres ton attention seulement sur ce qui te concerne et laisse aux autres ce qui les concerne, alors tu seras maître de ton esprit. Personne ne pourra te blesser ou te nuire. Tu ne t’en prendras à personne, tu n’accuseras personne, tu ne feras rien malgré toi, personne ne te nuira et tu n’auras pas d’ennemis.

Si tu souhaites la sagesse et la tranquillité, libère ton attachement de tout ce qui est hors de ton contrôle. C’est le chemin vers la liberté et le bonheur. Si tu ne veux pas seulement la sagesse et la tranquillité, mais aussi le pouvoir et la richesse, tu risques de compromettre les premiers en essayant d’atteindre les seconds. Et en chemin, il est absolument certain que tu perdras liberté et bonheur.

A chaque fois qu’une idée pénible ou une contrariété apparait dans ton esprit, rappelle toi de te dire « Ce n’est que mon interprétation, pas la réalité elle-même ». Puis examine-la et demande toi si elle est sous ton contrôle ou au contraire hors de ton contrôle. Et si c’est hors de ton pouvoir de la contrôler, dit simplement « Cela ne me concerne pas » et laisse la aller.

Manuel d’Epictète — Chapitre 1 (publié vers 125 Ap JC)

Aaaah la quête pour l’ataraxie, la paix de l’âme, un principe si bouddhiste qu’il est possible qu’il ait été introduit en Grèce suite aux incursions d’Alexandre le Grand en Inde, et tous les échanges (entre deux bastons) qui en ont résulté.

Mais avec la plume de Marc-Aurèle, c’est vrai que ses pensées pour lui-même sont des messages majeurs pour moi. Et je suis super troublé de lire que c’est le cas aussi pour Louis Sarkozy, ce qui me fait me demander si je ne me suis pas leurré, ou lui ? On doit sans doute être deux zélotes qui parvenons à nous approprier ces pensées et principes directeurs avec pourtant des principes moraux dans le fond qui sont à peu près à 180° (car on met le doigt sur ce qui nous parle, et on détourne le regard sur des choses plus gênantes, et on interprète aussi évidemment à l’envi).

De Sextus : la bienveillance ; l’intelligence de ce que c’est que vivre conformément à la nature ; la gravité sans affectation ; la sollicitude attentive pour les amis ; la patience envers les ignorants et envers ceux qui décident sans avoir réfléchi ; l’art de s’accommoder à toutes les espèces de gens, de telle sorte que son commerce était plus agréable que toute flatterie, et qu’il leur imposait, par la même occasion, le plus profond respect ; l’habileté à découvrir avec intelligence et méthode et à classer les préceptes nécessaires à la vie ; et ceci, qu’il ne montra jamais l’apparence de la colère ni d’aucune autre passion, mais qu’il était à la fois le moins passionné et le plus tendre des hommes ; l’art de savoir sans bruit adresser des louanges, de connaître beaucoup sans chercher à briller.

Livre 1 – IX des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Il ne faut pas seulement considérer que la vie chaque jour se consume et que la part qui reste diminue d’autant. Mais il faut encore considérer ceci : à supposer qu’un homme vive longtemps, il demeure incertain si son intelligence restera pareille et suffira dans la suite à comprendre les questions et à se livrer à cette spéculation qui tend à la connaissance des choses divines et humaines. Si cet homme, en effet, vient à tomber en enfance, il ne cessera ni de respirer, ni de se nourrir, ni de former des images, ni de se porter à des impulsions, ni d’accomplir toutes les autres opérations du même ordre ; mais la faculté de disposer de soi, de discerner avec exactitude tous nos devoirs, d’analyser les apparences, d’examiner même s’il n’est point déjà temps de sortir de la vie, et de juger de toutes les autres considérations de ce genre qui nécessitent une raison parfaitement bien exercée, cette faculté, dis-je, s’éteint la première. Il faut donc se hâter, non seulement parce qu’à tout moment nous nous rapprochons de la mort, mais encore parce que nous perdons, avant de mourir, la compréhension des questions et le pouvoir d’y prêter attention.

Livre 3 – I des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Vénère la faculté de te faire une opinion. Tout dépend d’elle, pour qu’il n’existe jamais, en ton principe directeur, une opinion qui ne soit pas conforme à la nature de la constitution d’un être raisonnable. Par elle nous sont promis l’art de ne point se décider promptement, les bons rapports avec les hommes et l’obéissance aux ordres des Dieux.

Livre 3 – IX des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Si tu remplis la tâche présente en obéissant à la droite raison, avec empressement, énergie, bienveillance et sans y mêler aucune affaire accessoire ; si tu veilles à ce que soit toujours conservé pur ton génie intérieur, comme s’il te fallait le restituer à l’instant ; si tu rattaches cette obligation au précepte de ne rien attendre et de ne rien éluder ; si tu te contentes, en ta tâche présente, d’agir conformément à la nature, et, en ce que tu dis et ce que tu fais entendre, de parler selon l’héroïque vérité, tu vivras heureux. Et il n’y a personne qui ne puisse t’en empêcher.

Livre 3 – XII des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

On se cherche des retraites à la campagne, sur les plages, dans les montagnes. Et toi-même, tu as coutume de désirer ardemment ces lieux d’isolement. Mais tout cela est de la plus vulgaire opinion, puisque tu peux, à l’heure que tu veux, te retirer en toi-même. Nulle part, en effet, l’homme ne trouve de plus tranquille et de plus calme retraite que dans son âme, surtout s’il possède, en son for intérieur, ces notions sur lesquelles il suffit de se pencher pour acquérir aussitôt une quiétude absolue, et par quiétude, je n’entends rien d’autre qu’un ordre parfait.

Accorde-toi donc sans cesse cette retraite, et renouvelle-toi. Mais qu’il s’y trouve aussi de ces maximes concises et fondamentales qui, dès que tu les auras rencontrées, suffiront à te renfermer en toute ton âme et à te renvoyer, exempt d’amertume, aux occupations vers lesquelles tu retournes. Contre quoi, en effet, as-tu de l’amertume ? Contre la méchanceté des hommes ? Reporte-toi à ce jugement que les êtres raisonnables sont nés les uns pour les autres, que se supporter est une partie de la justice, que les hommes pèchent involontairement, que tout ceux qui jusqu’ici se sont brouillés, soupçonnés, haïs, percés de coups de lances, sont allongés, réduits en cendres ! Calme-toi donc enfin.
[…]

Il reste donc à te souvenir de la retraite que tu peux trouver dans le petit champ de ton âme. Et, avant tout, ne te tourmente pas, ne te raidis pas ; mais sois libre et regarde les choses en être viril, en homme, en citoyen, en mortel. Au nombre des plus proches maximes sur lesquelles tu te pencheras, copte ces deux : l’une, que les choses n’atteignent point l’âme, mais qu’elles restent confinées au-dehors, et que les troubles ne naissent que de la seule opinion qu’elle s’en fait. L’autre, que toutes ces choses que tu vois seront, dans la mesure où elles ne le sont point encore, transformées et ne seront plus. Et de combien de choses les transformations t’ont déjà eu pour témoin ! Songes-y constamment. « Le monde est changement ; la vie, remplacement. »

Livre 4 – III des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Tout ce qui arrive est aussi habituel et prévu que la rose au printemps et les fruits en été ; il en est ainsi de la maladie, de la mort, de la calomnie, des embûches et de tout ce qui réjouit ou afflige les sots.

Livre 4 – XLIV – III des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

On n’a pas lieu d’admirer ton acuité d’esprit. Soit. Mais il est bien d’autres qualités dont tu ne peux pas dire : « Je n’ai pour elles aucune disposition naturelle. » Acquiers-les donc, puisqu’elles dépendent entièrement de toi : sincérité, gravité, endurance, continence, résignation, modération, bienveillance, liberté, simplicité, austérité, magnanimité. Ne sens-tu pas combien, dès maintenant, tu pourrais acquérir de ces qualités, pour lesquels tu n’as aucune incapacité naturelle, aucun défaut justifié d’aptitude ? Et cependant tu restes encore de plein gré au-dessous du possible. A murmurer, lésiner, flatter, incriminer ton corps, chercher à plaire, te conduire en étourdi et livrer ton âme à toutes ces agitations, est-ce le manque de dispositions naturelles qui t’y oblige ? Non, par les Dieux ! Et, depuis longtemps, tu aurais pu te délivrer de ces défauts, et seulement, si c’est vrai, te laisser accuser de cette trop grande lenteur et de cette trop pénible difficulté à comprendre. Mais, sur ce point même, il faut t’exercer, et ne point traiter par le mépris cette lourdeur, ni t’y complaire.

Livre 5 – V des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Poursuivre l’impossible est d’un fou. Or, il est impossible que les méchants ne commettent point quelques méchancetés.

Livre 5 – XVII des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Ne suppose pas, si quelque chose t’est difficile, que cette chose soit impossible à l’homme. Mais, si une chose est possible et naturelle à l’homme, pense qu’elle est aussi à ta portée.

Livre 6 – XIX des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Si quelqu’un peut me convaincre et me prouver que je pense ou que j’agis mal, je serai heureux de me corriger. Car je cherche la vérité, qui n’a jamais porté dommage à personne. Mais il se nuit, celui qui persiste en son erreur et en son ignorance.

Livre 6 – XXI des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Personne ne t’empêchera de vivre selon la raison de ta propre nature ; rien ne t’arrivera qui soit en opposition avec la raison de la nature universelle.

Livre 6 – LVIII des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Creuse au-dedans de toi. Au-dedans de toi est la source du bien, et une source qui peut toujours jaillir, si tu creuses toujours.

Livre 7 – LIV des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

[…] Si tu as donc exactement compris où tu en es, ne te soucie plus de ce qu’on peut penser de toi, mais contente-toi de vivre le reste de ta vie, quelle qu’en soit la durée, comme le veut la nature. Réfléchis donc à ce qu’elle veut, et qu’aucun autre souci ne te distraie. […]

Livre 8 – I des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Les hommes sont faits les uns pour les autres ; instruis-les donc ou supporte-les.

Livre 8 – LIX des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Tu peux supprimer bien des sujets pour toi de trouble superflus et qui n’existent tous qu’en ton opinion. Et tu t’ouvriras un immense champ libre, si tu embrasses par la pensée le monde tout entier, si tu réfléchis à l’éternelle durée, si tu médites sur la rapide transformation de chaque chose prise en particulier, combien est court le temps qui sépare la naissance de la dissolution, l’infini qui précéda la naissance comme aussi l’infini qui suivra la dissolution !

Livre 9 – XXXII des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Il ne s’agit plus du tout de discourir sur ce que doit être l’homme de bien, mais de l’être.

Livre 10 – XVI des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Dans l’art de l’écriture et de la lecture, tu ne peux enseigner avant d’avoir appris. Il en est de même, à plus forte raison, de l’art de la vie.

Livre 11 – XXIX des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

Le salut de la vie consiste à voir à fond ce qu’est chaque chose en elle-même, quelle est sa matière, quelle est sa cause formelle ; à pratiquer la justice, du fond de son âme, et à dire la vérité. Que reste-t-il, sinon à tirer parti de la vie pour enchaîner une bonne action à une autre, sans laisser entre elles le plus petit intervalle ?

Livre 12 – XXIX des Pensées pour moi-même, Marc-Aurèle.

La poule ou l’outil ?

Il y a des tas de réflexions que je trouve assez passionnantes sur la manière de s’exprimer sur les Internets. Comment le faire, sur quels espaces et avec quels outils ? L’accessibilité de tout cela, la portée aussi et les valeurs philosophiques par rapport à l’essence même des principes moraux qui ont porté le web des débuts, à ce qu’ils en sont aujourd’hui, et ce que la société (capitaliste) en a fait aussi de son côté.

Certains dinoblogueurs comme Ploum se sont mis à Gemini qui est un protocole assez récent (rien à voir avec l’IA de Gougueule hein), et qui est plutôt bien adapté à des échanges en ligne par texte, avec bien sûr ses particularités. Imaginez que c’est comme avoir un autre réseau que celui des Internets tel qu’on le connaît. Et donc on se retrouve avec Gemini (que j’ai testé aussi de mon côté évidemment) sur une toile absolument vierge ou presque. Il y a quelques points de repères et de départ où des sites sont référencés, mais il n’y a pas vraiment de moteur de recherche, c’est vraiment un retour au web de 1994. Soooo refreshing!!!

Il y a aussi cette volonté de se réinventer en partant de zéro pour également y tester de nouveaux paradigmes. Et dans cette idée, il y a de plus en plus de blogueurs qui se sont débarrassés de WordPress pour repartir avec des sites statiques plus malléables, légers et surtout minimaliste. Des textes, des idées et de quoi s’exprimer à l’écrit, tout en se liant aux autres. Evidemment je ne compte pas quitter WordPress de mon côté, pas avec 5 929 articles et 45 878 commentaires en banque depuis 2003. ^^

Alors tout cela implique une sacrée aisance et connaissance en informatique, ce que je n’ai vraiment pas, mais je regarde tout cela avec beaucoup d’attention et de curiosité intellectuelle. Mais là ce qui m’a interpelé chez Ploum, ce sont les remarques suivantes :

[…] Mais je n’ai pas rejoint Gemini parce que je me sentais un minimaliste numérique dans l’âme. Je n’ai pas quitté WordPress par amour de la low-tech. Je n’ai pas créé Offpunk parce que je suis un guru de la ligne de commande.

C’est exactement le contraire ! Gemini m’a illuminé sur une manière de voir et de vivre un minimalisme numérique. Programmer ce blog m’a fait comprendre l’intérêt de la low-tech. Créer Offpunk et l’utiliser ont fait de moi un adepte de la ligne de commande.

La pensée fait le penseur ! L’outil fait le créateur ! Le logiciel libre fait le hacker ! La plateforme fait l’idéologie ! Le vélo fait la condition physique !

Peut-être que nous devrions arrêter de nous poser la question « Qu’est-ce que cet outil peut faire pour moi ? » et la remplacer par « Qu’est-ce que cet outil va faire de moi ? ».

Car si la pensée fait le penseur, le réseau social propriétaire fait le fasciste, le robot conversationnel fait l’abruti naïf, le slide PowerPoint fait le décideur crétin.

Qu’est-ce que cet outil va faire de moi ?

Citation à partir de l’article Qu’est-ce que l’outil va faire de moi ? de Ploum.

C’est intéressant non ? On cherche d’abord un outil pour faire quelque chose, mais l’outil va aussi nous conformer à sa propre nature et son propre schéma directeur. Cette prise de conscience permet aussi sans doute d’avoir un peu plus de prise sur son destin et ses valeurs. ^^

La gentillesse a des dents

Comme une palanquée de gens je suis vraiment féru de Prof en scène qui est un fabuleux blogueur et conteur de son métier. Dans les interstices de son blog, on capte très souvent des choses de lui (tout le temps à vrai dire, mais le prisme du pédagogue n’est pas forcément celui qui m’intéresse le plus), et c’est à chaque fois un bonheur de le voir utiliser son talent d’écriture pour parler aussi de lui un peu plus directement.

Tenir.

Depuis l’année dernière, plusieurs événements m’ont amené à me plonger dans la – vaste – question de ma santé mentale. Si j’en ai déjà retiré un bénéfice, c’est peut-être celui-ci : je sais mon monde intérieur solide. Et lorsque tout le reste fout le camp, c’est sur lui que je me replie. Je tire de ma cervelle les images d’Eowyn, affrontant le Nazgûl. De l’évêque de Digne, offrant une rédemption à Jean Valjean, et de Léopoldine, entraînée au fond des eaux.

En ces dernières périodes, se raccrocher à ce en quoi je crois, et que j’ai affiné, au fil des années. Lier mon enthousiasme et mon expérience. Et se rappeler d’être doux. Parce que si je parviens à maintenir le cap, que les élèves continuent à jouer le jeu dans mes classes, ça n’est pas le cas pour tous les collègues. Et ça ne marchera peut-être pas la prochaine fois. Prendre soin des autres, se préparer à se pardonner quand ça ne fonctionnera plus.

Je dis très souvent que la gentillesse a des dents. Qu’être doux et fort n’a rien d’antithétique. En ces moments où beaucoup d’élèves se vouent au chaos, par envie, pulsion ou mal-être, cette conviction heurte le réel de plein fouet.

Et pour l’instant, résiste.

Prof en Scène – Mardi 14 octobre

A closer look

Je mange souvent seul comme un pauvre malheureux au bureau le midi. Et j’ai pris l’habitude de regarder les intros de certains late shows américains. Depuis Trump, je trouve que c’est la manière la plus supportable d’avoir des nouvelles des USA sans avoir ensuite envie de se jeter par la fenêtre.

J’aime beaucoup Stephen Colbert du Late Show et Jon Stewart du Daily Show. Etrangement, je ne regarde pas Jimmy Fallon et son Tonight Show. J’ai une préférence marquée pour Seth Meyers et le Late Night. Sa pastille « A closer look » est carrément irrésistible. Ils déploient tous un humour et une dérision à la newyorkaise que j’adore, et on retrouve un savoir-faire et dire à l’américaine génial sur la forme, extrêmement drôle mais aussi d’une sagacité et d’une grande finesse dans les propos (ils ont tous une palanquée d’auteurs qui bossent en bande organisée). Je regarde aussi les intros de Jimmy Kimmel qui a l’originalité d’être le seul hôte d’un late show depuis Los Angeles, donc résolument côte ouest.

Evidemment ces bougres sont de gauche, en tout cas toute proportion gardée car la gauche américaine est une sorte d’oxymore, ce sont même des « ultra-gauche » sur l’échelle de Retailleau (bon ok, c’est pas difficile ça). Et alors que l’on voit un recul extraordinaire de l’état de droit aux USA, et que là on se demande carrément si la démocratie n’est pas en danger. Eh bien, ces émissions sont attaquées à leur tout. D’abord Stephen Colbert, qui présente l’émission la plus connue et regardée, a vu il y a quelques semaines son show annulé par CBS. Evidemment ça fait parler, ça bruit, ça soupire, mais c’est un fait. Et ça passe.

Et là c’est Jimmy Kimmel, suite à un commentaire complètement banal sur l’assassinat d’un fasciste homophobe raciste et misogyne (et vraiment je suis gentil, il n’y a pas de meilleur qualificatif pour ce type), qui se voit remercié par Disney (ABC). Il y a tout de même une certaine levée de boucliers, on voit des annulations à Disney Plus et quelques coups d’épées dans l’eau, mais là on y est vraiment. Je sais que Kimmel vient d’être à priori reprogrammé, mais les attaques sont bien là et c’est terriblement flippant. Avec Trump c’est comme toujours en plus des attaques stupides, violentes et illégales, et plus c’est énorme, plus ça passe…

Les autres présentateurs de shows réagissent bien sur, et continuent à tourner en dérision le pouvoir. Mais on assiste à un truc complètement fou… Ils ont tous ironisé sur la manière dont ils allaient maintenant célébrer le pouvoir en place pour garder leur place, mais c’est sans doute un présentateur hollandais, Arjen Lubach, qui a réalisé le plus drôle et grinçant des détournements.

J’ai bien aimé aussi ce rappel sur fond de culture pop :

Avec la référence pour les béotiens. ^^

Car cette scène pour l’enterrement du type dont je parlais plus haut, avec Trump qui a encore dit des horreurs, est effrayante. Et en France, nos trumpistes maison ont commencé à faire exactement la même chose, et la fenêtre d’Overton s’est encore assez déplacée pour que la presse généraliste parle de ce type mort comme un simple « polémiste influenceur MAGA ». Nan mais ça va pas hein…

Car ce qui me fait peur c’est vraiment que les USA ne sont que l’exemple par lequel nous voyons exactement ce qui se passe en France, et globalement en Europe, avec un retard de quelques années. Avant c’était vingt ans, mais aujourd’hui le mimétisme est bien plus véloce. Et on voit déjà l’abêtissement généralisé de la société, le nivellement par le bas des journalistes, la polarisation venue des algorithmes publicitaires qui a infecté tout notre environnement, et absolument tout ce qui est diffusé (même la radio qui est encore « pure » y passe).

On va se payer exactement la même chose, peut-être avec des méthodes légèrement différentes, mais il va se passer la même chose, c’est inexorable.

Et en parallèle, je lis encore un post de Romain sur Facebook qui me fait réagir. Je sais que le sujet est différent, mais en réalité tout est lié selon moi.

Dans l’avion, j’étais assis à côté d’Ewan. Un gamin de dix-neuf ans, agent de sécurité le jour, combattant de MMA le reste du temps. Il part s’entraîner en Géorgie comme d’autres vont prier. Il paraît qu’ils sont bons en MMA, les Georgiens. Alors il part là-bas prendre des baffes jusqu’à se faire péter les neurones. Il n’est ni en colère ni fanfaron — plutôt doux, résigné. Il ne croit plus à l’école, plus au travail, plus à la France. Les Etats-Unis ne l’intéressent pas. Il croit vaguement à Dubaï, à TikTok et à Gattouz0, un acteur porno influenceur qui apparemment fait le tour du monde à coups de bite et dont j’ignorais jusqu’ici l’existence. Enfin, il m’a raconté ça mais le cul, ça l’intéresse pas des masses. L’amour encore moins. Même le dernier iPhone ne le fait plus rêver : « Tu l’as voulu un an ; au bout d’une semaine, tu t’en fous. » Je crois qu’il a raison.

Il m’a raconté, sans emphase, ces « combats » en ligne organisés par des influenceurs sur des plateformes dont je n’avais jamais entendu parler. Il ne me parlait pas d’un ailleurs exotique mais du présent qui grouille sous mon nez et auquel je suis aveugle. En l’écoutant, je me suis dit : «Le présent, c’est lui. Ce n’est plus moi. » Sauf qu’il n’a pas d’avenir : « Moi ? Je mourrai avant mes quarante ans », il a dit. Bombe sèche. Je n’ai pas su quoi répondre. Moi qui ai dépassé la quarantaine, mais qui n’en fais pas grand-chose. Vous voyez la rencontre entre Tyler et Jack dans Fight Club ? Gamin, je rêvais d’être Brad Pitt et me voila en Edward fucking Norton dans un vol low cost.

En le quittant sur le tarmac d’Istanbul, je me suis dit deux choses : on a vraiment livré un monde de merde à ces gosses. Et puis aussi : ma jeunesse est morte. Je l’ai dans le dos. Mais je la préfère à la sienne. Mais ça, je me suis bien gardé de lui dire.

Post Facebook de Romain Burrel (18/09/2025)

Bon tout ça c’est encore de la faute à l’IA… Ou en tout cas, l’IA apporte aussi dans ce cadre son lot de fléaux bibliques… J’ai souri à cette référence à Platon qui est assez connue, et qui évoque l’impact négatif de l’écriture sur la mémoire des gens. On parlait d’internet de la même manière, et avant de l’informatique, et avant, et avant et avant… ^^

366 avant JC, Platon dans le Phèdre se demande si l’écriture ne va pas nous rendre idiots et nous faire « perdre la mémoire ».

La bataille de l’IA, et nos effondrements par Olivier Ertzscheid via la veille de Louis Derrac.

Que ma joie demeure ?

Sacrip’Anne et moi j’ai l’impression qu’on est dans une résonnance qui parfois me file le vertige. Alors qu’on s’est vu une demi-fois dans nos vies mais qu’on se lit depuis toujours, je pourrais faire mien tant de ses articles…

Et celui-ci fait mouche à un point assez dingue.

[…] Je crains, profondément, viscéralement, que les années à venir seront terribles, qu’on a mangé notre pain blanc et que la fin de nos vies (pour les gens de ma génération) sera beaucoup plus sombre que le début. On est trop nombreux, on a trop foutu en l’air tant de choses essentielles à notre survie, on n’a pas trouvé moyen de faire entendre raison au club des superpuissants.

[…] Mon système de survie, celui qui me rend capable de me lever le matin et de faire ce que j’ai à faire, à ma microscopique échelle, c’est de cultiver les bonheurs à ma portée, plus ou moins intenses, plus ou moins fugaces.

[…] Ce qui se présente à nous comme portes ouvertes sur le bonheur, c’est tout ce qu’il y a. Même incertain, même fragile, même risqué. Tout ce à quoi on puisse prétendre. Alors tant que je peux, je resterai là, bras et coeur ouverts. Même si ça fait, aussi, parfois hurler de douleur, d’être capable de ressentir ça. Inconsolable, peut-être. Mais jamais incapable d’amour, j’espère. Même quand viendra le pire.

Sacrip’Anne dans In pursuit of happiness

Alors il y a sans doute notre proximité en âge et extraction, et globalement en expériences, mais cela va au-delà. Peut-être un marqueur générationnel de ces jeunes quinquas ou en devenir ( ^^ ), mais clairement on n’arrive plus à s’enchanter d’un monde qui dépérit à vue d’œil à tant d’égards. Et malgré tout cela, on essaiera. Toujours, toujours.

Plutôt ça que de perdre son règne

Maintenant on pourrait presque enseigner aux enfants dans les écoles comment la planète va mourir, non pas comme une probabilité mais comme l’histoire du futur. On leur dirait qu’on a découvert des feux, des brasiers, des fusions, que l’homme avait allumés et qu’il était incapable d’arrêter. Que c’était comme ça, qu’il y avait des sortes d’incendie qu’on ne pouvait plus arrêter du tout. Le capitalisme a fait son choix : plutôt ça que de perdre son règne.

Marguerite Duras, Le Matin, 4 juin 1986.

Source :

Cela paraît presque avant-gardiste même si le réchauffement climatique est un phénomène scientifique qui est analysé depuis bien avant, et que l’ensemble des dogmes économiques humains sont à peu près alignés sur une destruction systémique de la planète. Mais dans les mots de Duras, cela a une saveur particulièrement agréable et encore plus nihiliste. ^^

La lecture de l’ensemble de l’article est d’ailleurs édifiante, je vous la conseille.

Commémomisération

Virgile joue régulièrement lors de commémorations dans sa ville, et il subit donc aussi les discours des édiles en question. Il raconte tout cela avec son habituel talent, clairvoyance et bon sens. ^^

La nation fracturée ? La faute à qui ? Le fond de la pensée de droite, et j’insiste là-dessus, c’en est vraiment une composante essentielle, c’est d’inventer constamment des critères pour déterminer qui est « in » et qui est « out ». La couleur de peau, la religion, l’orientation sexuelle, le corps (masculin contre féminin, valides contre invalides), la position sociale (travailleurs contre chômeurs), le moyen de transport favori (bagnolards contre cyclistes), la bouffe (viandards contre végétariens)… Tout est bon pour trier et classer les individus et jauger lesquels sont dignes d’être de bons citoyens et lesquels ne le sont pas. Le vrai problème, c’est que quand elle en a le pouvoir, la droite met en place les politiques qui découlent de cette obsession du classement : elle vote des lois contre l’immigration, elle invente Parcours Sup, elle manifeste contre le mariage pour tous, elle interdit les compétitions sportives aux trans, elle interdit aux cantines de servir des repas végétariens, elle déconventionne l’enseignement privé musulman pour des broutilles quand l’enseignement privé catho frappe et viole littéralement des enfants, elle favorise un urbanisme anti-étrangers, anti-invalides, anti-pauvres ; tout en se gargarisant de la Laïcité et de l’Universalisme À La Française qui garantissent une égalité de traitement pour tous.

Extrait de l’article « Schizophrénie commémorative » de Virgile.