ANOHNI and the Johnsons (Festival Days Off à la Philharmonie de Paris)

Lorsque ANOHNI hier a commencé à demander à la cantonade si des gens étaient là en 2006 à l’Olympia, j’ai pesté en moi-même comme je l’ai fait sur ce blog à l’époque. Je connaissais tout juste le chanteur qui s’appelait alors Antony (and the Johnsons), mais je rêvais déjà de le voir sur scène. Depuis, je pense malgré tout n’avoir manqué que peu de ses concerts parisiens. Il y eu cette première fois au Grand Rex en 2009, trois fois à la salle Pleyel (en 2009 aussi, il faut abuser des bonnes choses), dont une fois déjà pour le Festival Days Off en 2012, et en 2013 à l’invitation de l’inénarrable Laurie Anderson. A chaque fois, c’était un peu moins Antony, et ANOHNI qui se profilait telle un papillon en train de quitter sa chrysalide.

Et il y a sept ans (le post est dans ma liste de rattrapage des années de maigre blog), j’ai eu la chance de voir ANOHNI à la (toute neuve) Philharmonie de Paris. Quelle révélation !! L’album était incroyable, mais la chanteuse et ses performances aussi. Il y avait eu bien sûr une petite déception d’avoir perdu Antony et son univers (et les morceaux cultes de l’époque), même si ses lamentations étaient toujours là, mais un bonheur extraordinaire de partager cette révélation de soi, cette célébration d’une femme dont l’éclosion nécessitait un tournant artistique.

Et nous voilà en 2024, certes Antony n’est plus, mais ANOHNI est « and the Johnsons », et la voix est intacte. De plus j’ai adoré son dernier album, et comme d’habitude elle nous a gratifié d’un concert qui fut un moment d’exception, suspendu dans le temps. La communauté d’adelphes ainsi rassemblée a eu le souffle coupé comme moi pendant une bonne partie du show, tant il frise la perfection.

Formellement déjà, c’est une chanteuse d’exception, mais en plus les musiciens qui l’entourent sont ultra talentueux, et le son de la Philharmonie rend parfaitement hommage à leurs qualités. ANOHNI m’est apparue comme un étrange mix entre Lisa Gerrard et Björk. Les deux pour son allure de diva et la manière dont son aura occupe l’espace, dont sa stature et ses robes s’imposent à nous. Mais la première pour la voix qui nous habite dès les premières notes, et ne nous lâcheront jamais, aussi pour cette voix qui est son instrument et dont il joue pour nous toucher par ses modulations, son vibrato et l’ensemble de ses prouesses vocales. La seconde pour une créativité sans relâche, une droiture dans son art, pour le goût de la démesure et d’une singularité qui nous ont amené jusqu’ici, avec la surprise qu’elle a elle-même exprimé d’avoir eu du succès.

D’ailleurs ce début (et la fin) de concert avec une figure tout à fait björkesque qui danse avec des bois immenses n’est pas anodin. ^^

Mais au-delà de tout cela, ANOHNI s’est peut-être réconciliée avec Antony et embrasse sans ambages l’ensemble de son répertoire. Et elle l’étend au-delà de nos espérances, en conservant ses lamentations poétiques, son blues syncopé, son gospel transfiguré, son spleen divinisé, une sorte de free jazz où quelques phrases sont répétés et modulées, et où elle fait mouche à chaque titre. Car il faut aussi écouter les paroles, elle ne fait pas que chanter, elle raconte quelque chose à chaque morceau.

En plus de cela, elle propose des vidéos très touchantes et avec un impact très fort pour chaque chanson. On y voit beaucoup de femmes trans, dont Marsha P. Johnson lors d’une interview bouleversante.

C’était la première fois, étonnamment, que j’arrivais à embarquer mon petit mari avec moi, et j’ai été content que ça lui plaise autant. Il m’a dit « Mais jamais plus je ne pourrais écouter ses albums de la même manière. » Et je pense que cela traduit bien ce qu’est un concert de cette glorieuse femme. J’ai été au bord des larmes à plusieurs reprises, et vraiment ça ne m’arrive pas souvent pendant un concert.

Elle nous a offert aussi quelques uns des titres emblématiques de sa carrière, et la salle s’est levée à plusieurs reprises comme « un seul homme ».

Vidéo tournée par une connaissance qui me l’a envoyé. Merci PT.

On retrouvait aussi une personne finalement assez loquace et enjouée, malgré un répertoire fait de pas mal de tranches de désespoirs, mais que voulez-vous ça fait de belles chansons. ^^

Bon inutile de dire que si vous en avez l’occasion, il faut la découvrir sur scène.

Clara Ysé à Stereolux (Nantes)

Je ne connais pas la chanteuse depuis très longtemps, mais quand on aime bien quelqu’un comme ça à l’écoute d’un album (sérendipité toute faussée des conseils de ma plateforme d’écoute), avec mon chérichou, on va le voir en concert pour voir si ça le fait. Parfois l’essai est transformé, parfois raté et parfois, plus rarement, sublimé. Clara Ysé rentre dans cette dernière catégorie.

Déjà c’était marrant de constater que la population pour aller écouter cette chanteuse était à bien 70 voire 80% féminine. Vraiment c’était manifeste, on était entouré de meufs !! Je me suis dit que c’était un bon signe. Hu hu hu. Chanteuse à meufs et donc à pédés !! Mais la surprise c’était aussi dans un genre assumé, une apparente candeur, gentillesse et une décontraction qui ne paraissaient bien sûr pas à la simple écoute d’un disque.

La jeune femme était pied nus avec une robe noire qui laissait apparaître une partie de son ventre, et elle passe tout le concert à accompagner ses chansons et ses déplacements sur scène de moulinets de la main et d’un ondoiement de son bras. C’est très beau et sensuel et vraiment très manifeste dans sa manière de se mouvoir sur scène. Et en plus, et c’était vraiment encore plus audible en live, elle nourrit fortement cette connivence avec la langue espagnole. Au-delà même de l’idiome, c’est tout une subtile impression arabisante qui se dégage de son répertoire et son attitude. On retrouve en cela vraiment l’influence « Al-Andalus » dans laquelle on pouvait percevoir du Flamenco ou même du Fado dans ses chansons. Et tout en chantant parfois en espagnol, mais la plupart du temps en français, on percevait tout de même cette magnifique lamentation ibère.

Et quelle puissance vocale, quelle facilité apparente dans le fait de moduler sa voix à l’envi et de donner quelques notes impressionnantes ! Vraiment on a passé un super moment, et on a eu rappel sur rappel, avec notamment des démonstrations a cappella et sans micro bluffantes ! (L’acoustique de cette salle est vraiment géniale !!)

Eno Piano par Bruce Brubaker à la Chapelle de l’Immaculée Conception (Festival Variations)

Brian Eno est un des minimalistes que j’aime beaucoup (en électro notamment), et que j’associe aussi à mon cher Philip Glass. Le dernier ayant clairement influencé le premier, avant que le contraire se fasse et vice-versa. Pour moi c’est également à Brian Eno que l’on doit le thème du Dune de Lynch ou bien la fameuse séquence des toilettes les plus sales d’Ecosse de Trainspotting, et une collaboration avec Bowie qui a fait sa renommée.

Bruce Brubaker est un pianiste déjà réputé pour un album d’interprétation de Philip Glass en « Solo Piano », et là il s’empare du répertoire de Brian Eno en adaptant ses nappes électroniques avec un « simple » piano. Néanmoins, pas si simple que cela, car pour réussir à rendre certaines notes de l’œuvre originale (notamment de Music for Airports), il a en plus installé un dispositif électronique dans le piano qui permet d’amplifier, modifier et prolonger les vibrations des cordes. Donc on le voit aussi, de temps en temps, tripoter un mac sur le piano ce qui est assez original pour un concert acoustique dans une église. ^^

Ce n’est absolument pas anodin, car les notes sonnent tout à fait analogiquement, mais en effet certaines durent infiniment longtemps. Comme si on avait une résonnance infinie sur certaines notes, qui sont en plus assénées de manière très franche et tranchante. Cela a donné un concert super tripant et planant, qui reprend vraiment parfaitement l’univers de Brian Eno et le « message » de Music for Airports (qui date de 1978). Avec en plus ce cadre singulier, une chapelle, et les lumières assez franches qui lentement changeaient de couleurs, on était plongé dans une sorte d’ambiance méditative très New-Age.

C’était dans le cadre du festival Variations du Lieu Unique, et vraiment on a de sacrés opportunités culturelles à Nantes. Cela fait plaisir aussi de constater qu’à chaque fois, les salles sont pleines à craquer, même pour des choses qui ne sont pas forcément super populaires ou classiques.

Des informations très intéressantes sur l’album Eno Piano : Pépites Troniques.

PS: Merci à Arthur pour l’idée, je l’ai d’ailleurs aperçu à la sortie. ^^

Symphonie n° 7 « Leningrad » (Dmitri Chostakovitch) par l’Orchestre national du Capitole de Toulouse

Je ne connaissais pas vraiment cette symphonie (et le compositeur que de nom en réalité), et j’ai juste écouté ça deux fois avant de venir à la Philharmonie. Mais c’était l’occasion d’écouter une personne que je suis sur les Internets et qui est violoniste dans cet orchestre. Je ne connaissais pas non plus Tugan Sokhiev, mais les applaudissements nourris à son égard m’ont fait dire que ce n’est pas loin d’être une rock-star dans son domaine. ^^

Et puisque c’était la soirée des découvertes, j’étais en catégorie 2 et juste au premier rang, bille en tête dans les cordes !! Ce n’est pas vraiment la position idéale pour avoir une écoute équilibrée et la plus harmonieuse, mais il n’y a pas à dire : c’est une expérience incroyable pour vivre au cœur des instruments, et même si j’ai perçu « plus fort » la partie de l’orchestre dont j’étais le plus proche, j’ai eu l’occasion de voir de plus proche que jamais les instrumentistes et tous ces incroyables artisans de la Grande Musique1.

En plus, j’étais plutôt bien placé avec un violoniste assez agréable à regarder pendant 1h10. ^^

Ensuite, la symphonie en elle-même était une merveilleuse pièce à ressentir comme cela en « live ». Et pour une fois, en tout cas c’est assez rare pour le signaler, le programme était très intéressant et un vrai vademecum pour accompagner les morceaux. On comprenait déjà le thème « Leningrad » et toute la complexité des relations du compositeur avec le régime soviétique. Donc cette symphonie pouvant à la fois être une célébration de la résistance de Leningrad contre les allemands pendant la seconde guerre mondiale, mais également l’image de ce qu’elle a elle-même subi du régime stalinien quelques années auparavant.

On pouvait y lire également une description plutôt bien fichue (parce que proposant des pistes d’interprétation, mais sans fioriture ni style ampoulée, et même avec du conditionnel, d’un commissaire d’exposition qui aurait trop fumé) qui permet de s’y retrouver dans les différents mouvements, et qui donne quelques métaphores possibles avec la guerre ou les émotions que la ville a pu susciter à l’auteur. Cela m’a permis de suivre correctement le spectacle et j’ai l’impression de vraiment bien en profiter.

J’ai vraiment été conquis par deux passages très différents, mais les deux sont superbes selon moi. D’abord c’est ce truc tellement pompier que ça ne pouvait que me plaire. Dans le premier mouvement, j’avais lu qu’on avait une partie qui était analogue au fameux (et répétitif avant l’heure) Boléro de Ravel, c’est à dire un truc qui commence petit, avec un motif musical reconnaissable, et puis une amplification progressive, avec des instruments en plus, et une répétition de plus en plus forte, ample et emphatique. Et là la tronche dans un orchestre philharmonique, je peux vous dire que ça donnait à fond les ballons !! On est clairement dans une sorte de marche militaire qui finit dans une apothéose qui est à la fois jouissive, bordélique et l’annonce d’une destruction complète de toute vie. Mais il y a eu à ce moment un élan assez fantastique, et les musiciens étaient à fond et avaient l’air de bien prendre leur pied aussi (l’autre avantage d’être à deux centimètres de leurs pompes).

Il y a eu plusieurs moments comme cela, mais pas aussi forts, et cette symphonie N°7 n’est au moins pas du tout un truc chiant ou atonal (je n’ai rien contre, mais parfois c’est chiant ^^ ), c’est au contraire une vraie musique de film qui raconte énormément de choses. J’ai aussi beaucoup aimé un passage principalement concentré sur les violons et les cordes dans le troisième mouvement, c’était très très mélodieux, puissant et romantique à la fois, un truc qui m’a plongé dans un moment et un état très singulier, difficile à décrire.

Et puis, il faut tout de même saluer Tugan Sokhiev qui a donc été applaudi à tout rompre avec ovations d’une foule en délire (sans déc). Le chef d’orchestre était vraiment incroyable, et encore une fois l’avantage d’avoir le nez sur les musiciens c’est que j’ai parfaitement vu son jeu à lui. C’était fascinant et très instructif quelque part, il a un charisme incroyable et une vraie emprise sur l’ensemble des musiciens. Son regard et les mouvements de son visage étaient sans cesse en agitation et en train de diriger autant qu’avec les inflexions de ses mains. Et la symphonie se jouant quasiment non-stop pendant 1h10, c’est un tour de force qui doit l’avoir complètement mis sur le carreau.

Je n’avais jamais entendu l’orchestre national du Capitol mais clairement ce ne sont pas (littéralement) des petits joueurs. ^^ Bon après, c’est l’avis d’un sacré béotien, mais c’est le mien. Hu hu hu.

  1. Comme disait ma grand-mère pour la musique classique. ^^ ↩︎

Zaho de Sagazan au Zénith de Nantes

L’album tourne en boucle depuis plus de six mois, mais c’était la première occasion de voir Zaho de Sagazan en concert, et j’étais curieux de voir ce que cela pouvait donner. Je ne venais pas avec des idées dingues me disant que c’était une jeune chanteuse de 24 ans, et que ce serait peut-être un peu vert. Avec un premier album (génial) et des récompenses récentes qui l’ont propulsé un peu rapidement, cette tournée des Zéniths paraît un sacré défi.

Mais je l’aime énormément cet album et j’en connais vraiment toutes les chansons par cœur, c’est vraiment pour moi l’équivalent d’une révélation comme Juliette Armanet, et surtout Clara Luciani. On avait eu une pub importante par nos amis à Nantes, car elle est de St Nazaire et déjà assez connue sur la place nantaise. Inutile de dire donc que le Zénith hier était blindé et les gens chauds-bouillants (chauvinisme oblige) !

Le début du concert est parfois mais pas surprenant, et même plutôt convenu. Elle égraine ses chansons, et c’est assez classique mais d’une excellente tenue. On a une chanteuse qui a une voix exceptionnelle, et qui en joue avec une facilité déconcertante. Les accents électros de sa production musicale donnent une ambiance de concert à la fois dansante et planante, car les morceaux n’appellent pas spécialement à se remuer. On profite en revanche d’une superbe diction, d’une voix qui dépasse la musique (qui pourtant est assez « forte »), et une plasticité dans le chant qui m’a rappelé Lady Gaga d’une certaine manière (dans cette apparente facilité à monter en gammes et à rester d’une justesse dingue).

Mais, surtout, voilà que se déploie une chanteuse joyeuse et pimpante, qui raconte des trucs drôles, qui est absolument heureuse d’être là, et d’une générosité qui émaille tous ses gestes et toutes ses paroles. C’était un tour de chant admirable et technique, fidèle à ses enregistrements, mais son charme opère d’une telle manière que le concert devient plus intime, plus émouvant et prend une dimension plutôt inattendue. En tout cas, on repassera pour l’artiste un peu verte et immature qui tente un premier truc. Non c’est une artiste déjà accomplie à sa manière, qui n’a pas l’once d’une trace de trac et qui a l’air de follement s’amuser à faire la Lorelei devant quelques milliers de fans.

Les versions rallongées et orchestrées pour le concert sont géniales, et je n’ai eu aucune déception, absolument aucune. Tristesse est évidemment un point d’orgue majeur du concert, et ces milliers de personnes qui scandent : « Marionnettiste je suis, et sûrement pas l’inverse… Marionnette on naît et on le reste. Marionnette on est et on déteste… », bah ça le fait grave !!! ^^

Et le morceau « Ne te regarde pas » arrive, mine de rien, car elle est une chanson assez mineure de l’album selon moi. C’est sans doute pour cela que Zaho transforme ça en un manifeste fou qui enjoint le public à se lâcher, et à danser de toute l’énergie du désespoir et d’autre chose de très vivant et captivant. Alors l’ambiance change du tout au tout, car la musique se fait techno allemande industrielle, et d’ailleurs elle évoque une ambiance berlinoise et elle cite Kraftwerk à qui on pense évidemment. Elle se démonte alors pendant de longues minutes avec des accents à la Chemical brothers, et une techno qui assomme tout le public, alors qu’elle court d’un bout à l’autre de la scène, et se tort littéralement (et corporellement) devant nous.

Les accents allemands continuent et se précisent alors qu’elle crie littéralement « Hab sex mit mir », puis carrément le classique des années 80 outre-Rhin 99 Luftballons. Et ça se termine par un tour de salle du Zénith comme un tour de stade, en contact physique avec le public pour un original Ah que la vie est belle de l’inénarrable Brigitte Fontaine.

Impossible de s’attendre à un truc comme ça, et surprendre autant à cet âge est tout de même de bon augure pour la suite !! Je me demande si ce tournant techno germanique est un avant-goût de la suite, mais pourquoi pas ? En tout cas je vais suivre la jeune femme avec tous les égards dus à son talent déjà bien affermi, et on voit qu’elle en a sous le pied. ^^

Trilogie Cocteau / Philip Glass à la Cité de la Musique

J’étais content de réussir à dégoter des places pour ce spectacle. C’était vraiment très original (et réussi) d’avoir comme cela une sélection de morceaux tirés de trois opéras de Philip Glass adaptés de films de Cocteau, et interprétés en solo par deux pianos. Et les deux pianistes en question sont deux sœurs virtuoses qui ont montré là l’étendue immense de leur talent. Elles sont tout de même un peu flippantes à jouer les sœurs siamoises, mais si c’est leur kif. ^^

Come and play with us, Danny!

Ce n’est pas tout car la promesse était encore plus « intense » avec l’annonce d’une scénographie, et même d’un complément olfactif original par des diffusions de parfums spécialement concoctés pour l’occasion. Bon, et là le bât blesse…. La scénographie c’était ce lustre en néon qui fluctue de temps en temps, et passe d’un couleur froide à un peu plus chaleureuse (et en couleurs pour la dernière partie). Je m’attendais en effet à un truc un peu moins minimaliste, je l’avoue (bien entendu le minimalisme de la musique est utilisé comme justification). Et même si l’on faisait bien le lien avec la Belle et la Bête, je ne vois pas trop celui avec Orphée ou Les Enfants Terribles. si vraiment le truc (qui dans l’absolu est très bien) avait eu un vrai rôle pour souligner certains moments ou illustrer des passages, pourquoi pas. Mais là c’était juste un PNJ.

Et les parfums c’était trop anecdotique, avec encore une fois un accord de roses bien sentis (hu hu hu) pour La Belle et la Bête dont la fleur est un personnage en tant que tel. Mais le reste, bah ok j’ai lu le programme, mais c’est le genre de textes boursoufflé et emphatique qui fait peur, et là à raison.

Mais heureusement le cœur d’un tel concert c’est la musique, et la qualité était au rendez-vous. Je ne suis pas un grand fan d’Orphée ou de la Belle et la Bête de Glass, mais Les Enfants Terribles vraiment j’aime beaucoup. J’avais déjà vu l’opéra en entier il y a 15 ans, et l’entendre ainsi avec ce double piano fut un plaisir immense. Et donc ce dernier morceau a complètement remporté mon adhésion. Et je salue vraiment l’appropriation très enlevée et « passionnelle » que les interprètes ont parfois apporté à une musique à la base minimaliste, et pouvant aussi être jouée de manière un peu plate et sans âme. Au contraire, ce fut un moment très fort, à l’image de l’opéra lui-même, avec une énergie superbe et un hommage très cool à la partition de Glass.

Martin Luminet à la Cigale

On avait été tellement enchanté par son Café de la Danse il y a quelques temps, qu’on avait vraiment tenu à voir Martin Luminet nous refaire son concert mais cette fois à la Cigale. Car l’effet « je passe à la télé » a évidemment fonctionné, et apparemment il a rempli sans trop de souci cette belle scène de Pigalle.

C’était encore un très beau spectacle et c’est vraiment un grand plaisir de le voir se donner sur scène avec une énergie superbe, et toujours cette noirceur dans les paroles qui contraste avec son ironie et son grand sourire charmeur. Forcément dans une salle pareille, la force du public est intense, et j’aime bien la Cigale, qui reste un établissement modeste, qui propose un théâtre de revue fin 19ème classique avec une forme de cocon qui permet vraiment de bien profiter du spectacle et d’avoir cette « intimité de foule » (bel oxymore ^^ ).

Il y a eu un petit moment d’anthologie humoristique alors que le chanteur a proposé de casser l’ambiance avec diaporama de personnalités dont le moins qu’on puisse dire est qu’il ne s’agissait pas du tout d’un panégyrique.

Et vraiment, quelle pêche et quelle vigueur sur scène, c’était parfaitement communicatif et très appréciable.

MONDE de Martin Luminet

Après si je fais la fine bouche, je vois les changements depuis qu’il est avec une maison de disque, et je crois que j’aimais beaucoup le petit qui débarquait avec sa prod imparfaite. On commence à voir poindre un vernis marketing qui n’était, selon moi, vraiment pas nécessaire à son éclosion. Mais bon c’est dans l’ordre des choses.

La fin était aussi un peu bordélique peut-être pas super menée, avec des chansons en duo pas terribles, des impros qu’il aurait peut-être dû éviter. Alors que finir sur MONDE était, je pense, un peu dans les esprits de tout le monde, et aurait été une plus grande apothéose que là. Mais je fais mon chieur, je reconnais.

L’orchestre de Paris dirigé par Klaus Mäkelä à la Philharmonie de Paris (Thorvaldsdottir, Chopin, R. Strauss)

Cela faisait quelques temps que je n’étais pas allé dans la grande salle de la Philharmonie de Paris, et c’est vraiment un endroit génial, un cocon architectural et acoustique avec une forme asymétrique enveloppante et très chaleureuse.

Et là c’était un petit concert de l’orchestre de Paris avec son jeune et talentueux chef d’orchestre Klaus Mäkelä, qui a l’air complètement dingue mais très doué et dynamique. Le mec vraiment se donne à fond pendant ses concerts, et c’est une sacrée séance de cardio pour lui. Il m’a fait penser à ce célèbre cartoon de Tex Avery.

Attention, le dessin-animé ci-dessous (Magical Maestro de 1952) véhicule des représentations caricaturales, désuètes et parfaitement racistes, qui l’étaient très ordinairement à l’époque.

Ce qui était vraiment très cool, c’était la sélection du soir, car on a eu droit à un assemblage plutôt hétéroclite mais impeccablement dirigé et interprété. Cela a commencé par une œuvre super contemporaine de Anna Thorvaldsdottir (islandaise comme son nom l’indique) qui était d’ailleurs présente (c’était apparemment la première fois que la pièce était jouée).

Il s’agissait de ARCHORA (création française), et j’ai vraiment beaucoup aimé. Cela pouvait être un peu déstabilisant pour les première mesure, mais en réalité on se fait vite happer par l’ambiance globale et les évocations très « organiques » qui viennent tout de suite à l’esprit. Très très cool !!

On aperçoit les tuyaux de l’orgue au fond et les trappes ouvertes permettant de bien entendre l’instrument.

Après on était dans le suuuuuper classique avec un bon Frédéric Chopin de chez nous, et une méga-star au piano avec Daniil Trifonov (qui a aussi l’air complètement dingue comme le bon musicien qu’il est). Mais je ne connaissais pas ce « Concerto pour piano n° 1 » qui est vraiment une œuvre de jeunesse, et que j’ai adoré découvrir ainsi. Il fallait voir l’apparente facilité avec laquelle le pianiste faisait voler ses mains au-dessus du clavier, c’était d’une virtuosité assez épatante et surréaliste. Mais surtout cette pièce est d’une beauté folle, et vraiment tout l’orchestre était à l’unisson pour nous faire apprécier ce petit bonheur musical.

On a fini également par du classique mais un peu plus proche de nous avec un poème symphonique de Richard Strauss : « Une vie de héros ». Et là on était bien dans le post-romantisme allemand bien pompier que j’aime. Mes coreligionnaires ont moins aimé que moi, mais je reconnais que c’est terriblement ma came. Hu hu hu.

Cela m’a donné envie de revenir rapidement, et donc j’ai déjà repris des places, huhuhu.

Hedwig and the Angry Inch au Café de la Danse (Paris)

J’ai connu Hedwig d’abord via l’adaptation en film de ce grand succès off-Broadway (de 1998) en 2001. Je me rappelle que c’était un certain événement à l’échelle du Marais parisien, et le cinéma était une véritable Gay Pride1 à l’UGC des Halles à ce moment là. J’ai eu le film en DVD quelques années après, et je l’ai regardé maintes et maintes fois depuis, donc je connais un peu toutes les chansons par cœur. Néanmoins le film reste assez méconnu du grand public, malgré également le succès relatif de Shortbus, du même John Cameron Mitchell (auteur et interprète d’origine de Hedwig) qui avait pas mal défrayé la chronique des pédés parisiens en 2006.

Hedwig est tellement un truc pour moi, qu’à l’occasion j’en avais même pondu un article dédié en 2005, et donc vous pouvez y lire un bon résumé du film comme de la pièce.

Ce qui m’épate, en passant, c’est qu’en 2005 je te mettais des « transsexuels » en veux-tu en voilà, c’est marrant comme je n’écrirais plus cela aujourd’hui. Et en réalité, si je regarde l’occurrence des mots-clefs de mon blog, j’ai utilisé ce terme jusqu’en 2008, après je parlais de « trans » tout court, et à partir de 2011 c’est le terme « transgenre » qui est uniquement usité (et c’est le terme correct encore aujourd’hui). On retrouve le terme « transgenre » malgré cela dès 2005 dans un article de libé cité par le sociologue Coulmont qui évoque « l’interdiction judiciaire du mariage entre une transsexuelle et un transgenre« . Et donc la nuance est apportée dans le détail puisque la personne dénommée « transsexuelle » a en réalité mené sa transition jusqu’à un changement d’état civil et une réassignation, tandis que l’autre personne est appelée « transgenre » car ayant transitionné sans changement officiel d’état civil. C’était appelé une provocation à l’époque. Purée, les bigots !! Je pense qu’on s’en branle tellement la nouille aujourd’hui de ces questions, et c’est d’ailleurs en quoi le mariage pour tous portait bien son nom (simple et efficace).

Bref, ce spectacle extraordinaire, et qui est un truc fondateur et culte pour moi, dont on apprend que le droits de représentation en public sont libres depuis peu, bénéficie d’une toute nouvelle production au Café de la Danse à Paris. Je ne connaissais que le film, mais j’ai vite compris la forme curieuse de cette œuvre qui oscille vraiment entre performance théâtrale et musicale. Le lieu est une unique scène, et c’est une belle mise en abîme car c’est VRAIMENT la scène du Café de la Danse où Hedwig est en concert, alors que lorsqu’on ouvre la porte au fond on entend le concert dingue sur toute la Bastille de son amant et Némésis Tommy Gnosis. Et donc le concert, comme n’importe quel concert, consiste bien en des chansons entrecoupées par des histoires racontées par Hedwig. Comme dans un concert classique, la star parle un peu de sa vie, de ce que ses chansons illustrent, et ainsi on reconstitue le fil entier de l’histoire.

Tout commence à Berlin en 1961, avec la mère de Hedwig (alors Hansel) qui les embarque à l’est. On revit son enfance, puis sa rencontre avec un soldat américain qui souhaite l’épouser (pour lui permettre de fuir la RDA) et qui, pour que cela soit possible, lui fait faire une opération de réassignation sexuelle qui tourne mal. Et c’est ainsi qu’il obtient son « angry inch », fruit d’une opération ratée, et avec laquelle il tente de trouver une voie et un certain sens à sa vie et son identité brouillée. Et tout cela, quelques mois avant la chute du mur de Berlin, ce qui ajoute encore à la cruelle ironie de l’anecdote bien sûr.

Là où Hedwig est fabuleuse, et c’est ce qui m’avait tant marqué il y a presque 25 ans, c’est que c’est une personne terriblement mauvaise et vénéneuse, vraiment l’anti-héros par excellence. Je me rappelle à l’époque d’ailleurs des critiques qui pestaient contre une certaine transphobie, avec une approche aussi biologique de la transition et ce choix d’un personnage aussi négatif et en souffrance. Mais les années sont passées, et je pense qu’aujourd’hui cela passe mieux avec un regard rétrospectif, et parce que l’on a, alléluia, accès à des représentations qui nous ont enfin sorti des images de serial killer tordus.

Moi j’ai toujours trouvé qu’Hedwig transcendait cela avec son histoire singulière, et qui pour moi représentait à la fin du film une héroïne à laquelle, au contraire, je m’identifiais parfaitement (et qui m’a beaucoup apporté). Mais je peux comprendre bien sûr que cela ait pu encore ajouter à l’imaginaire « weird » de la transidentité de l’époque.

Hedwig est brillemment interprété au Café de la Danse par Brice Hillairet, et sa performance est tout bonnement hors-norme. Vraiment j’ai été subjugué par son talent, et par la manière dont il incarne ce rôle avec une justesse et une troublante authenticité. Il fait vraiment un grand honneur à John Cameron Mitchell, et est autant talentueux sur le plan vocal que le jeu ou la chorégraphie. On le suit surtout dans sa narration et toutes les émotions par lesquelles il passe du début à la fin. Et il emporte vraiment tout sur son passage, avec une énergie queer du désespoir et un panache de rockstar qui dépasse l’entendement. Les perruques, costumes et maquillages sont très proches de l’imagerie du film, et vraiment c’est une production tout à fait bien troussée.

Son côté méchant est en plus assez grinçant et fonctionne assez bien pour une scène parisienne (selon moi). Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à cette vidéo de Jennifer Coolidge qui tourne aujourd’hui et à laquelle je ne peux que souscrire.

Le passage au français passe étonnamment très bien, sans doute aussi avec l’accent allemand d’Hedwig (qu’on a aussi dans la VO, et il explique bien qu’il suite la tournée de Tommy Gnosis en France), avec les chansons qui sont sous-titrées pour qu’on puisse bien suivre ce qui est raconté. On retrouve aussi certaines illustrations vidéo qui font penser à certaines scènes du film, et qui permettent d’enrichir le dispositif scénique. Car on est dans un truc assez dépouillé au final (une scène de concert un peu minable mais irrémédiablement rock et punk), mais on n’a vraiment pas besoin de plus.

Car on est vraiment dans une toute petite salle, et l’histoire devient encore plus crédible, on se retrouve à la vivre même si la chronologie n’est pas la bonne. Et en plus d’un brillant Brice Hillairet, Anthéa Chauvière, qui joue Yitzhak2, est très très bonne. Et les musiciens qui accompagnent ne sont pas en reste, ils ont une présence scénique remarquable en plus d’être de très bons instrumentistes.

Ce n’est pas compliqué, il s’agit d’un spectacle absolument remarquable qu’il faut urgemment aller voir !!! Vous ne serez pas déçu, c’est un show total et troublant, qui déploie une puissance à la fois rock, punk et poétique, résolument queer et qui ne ressemble à rien d’autre.

  1. A l’époque, on appelait ça comme ça. ^^ ↩︎
  2. Autre personnage dont je me souviens que le parcours était assez critiqué à l’époque dans l’image FtoM qui se révèle dans la détransition. ↩︎

Métamorphoses à la Cité de la Musique

Ce concert faisait partie d’événements de découverte et d’initiation à la musique, et donc c’est très familial, et en plus ce n’est pas cher du tout (15€). Je n’ai pas bien compris en revanche pourquoi les gens emmènent des tous petits enfants pour un tel concert avec de la musique minimaliste et Kafka comme thème… Vraiment des gamins de 4 ou 6 ans étaient là, et c’était clairement chiant pour eux (et il y avait même des parents avec des bébés, ce qui paraît juste dingo).

C’était tout un spectacle autour de la nouvelle de Franz Kafka, la Métamorphose, et illustré par de la musique minimaliste avec une place importante à Philip Glass (pourquoi pensez-vous que j’étais là ^^ ). Ce dernier dans ses célèbres Metamorphosis avait déjà travaillé le sujet et cette thématique. Mais le plus original et vraiment chouette, c’était que la pianiste sur scène (tous les morceaux étaient uniquement interprétés au piano), Shani Diluka, était accompagnée par un dessinateur, Matthias Lehmann. Ce dernier avait une table avec une caméra qui filmait du dessus ses œuvres en pleine « création ». Et la diffusion était en live sur un grand écran au-dessus d’eux.

Pendant que la pianiste jouait, il illustrait l’histoire de La Métamorphose de Kafka à grand renfort de cartons avec des écrits comme dans des films muets, de dessins en live, ou d’animation manuelle d’images qui bougent sur des découpages illustrés etc. C’était vraiment un spectacle fascinant avec une correspondance troublante entre la musique et la narration graphique. Le fait que le dessin apparaît au fur et à mesure que Matthias Lehmann crayonne, est assez hypnotique et cela résonne particulièrement avec la musique sérielle et répétitive.

La liste des œuvres aussi était originale avec des compositeurs connus pour leur minimalisme comme Philip Glass, Meredith Monk ou John Cage, mais aussi un truc inattendu comme Daft Punk (toujours adapté au piano par Shani Diluka) ou encore Jules Massenet pour du classique plus « classique ». ^^

Voilà la liste des œuvres jouées :

  • Meredith Monk (Railroad)
  • John Cage (Dream)
  • Philip Glass (Mad Rush, Etude n°9, Metamorphosis V, Floe, Metamorphosis II)
  • Moondog (Barn Dance)
  • Philip Glass (Metamorphosis III, Opening)
  • Daft Punk (Giorgio by Moroder, arrangement Shani Diluka)
  • Jules Massenet (Méditation de Thaïs)
  • Philip Glass (Tirol concerto, 2ème mouvement)

Je n’ai pas été ultra convaincu par Shani Diluka sur les œuvres de Glass que je connais vraiment particulièrement bien. C’était tout à fait ok, mais pas aussi achevé et inspiré selon moi que Vanessa Wagner lorsque je l’avais vu jouer Metamorphosis également. Néanmoins, l’accord entre les deux artistes et l’inventivité du procédé ont très très bien fonctionné, et le spectacle était super agréable, fun et de grande qualité.