Suzanne Valadon, un monde à soi (Musée d’Arts de Nantes)

Suzanne Valadon c’était bien un de ces noms que je connaissais vaguement, plutôt comme une peintre de cette époque (postimpressionniste) mais sans trop de détails, sinon quand j’ai vu ce tableau qui m’a rappelé son talent, et que cette peinture m’était familière !! (Je le trouve juste incroyable, il s’agit de Joie de vivre – 1911.) Mais elle a été longtemps surtout connue et citée comme la mère du peintre Maurice Utrillo et la compagne de André Utter (aussi peintre).

Cette exposition est absolument remarquable (mais pour le moment je n’ai pas été déçu par les expos du Musée d’Arts de Nantes), et elle permet de se concentrer sur l’œuvre et la vie de Suzanne Valadon. On n’échappe évidemment pas à ses accointances avec les « hommes de sa vie », mais c’est vraiment l’occasion d’avoir son prisme à elle qui est mis en exergue, et le travail muséographique est vraiment très efficace et intéressant à ce niveau.

Il est déjà assez original d’avoir une femme artiste à cette époque, mais encore plus quand on a l’opportunité de la voir dans beaucoup des toiles de ses contemporains puisqu’elle a été modèle alors qu’elle était encore adolescente. Et sa vie étant aussi passionnante que son parcours artistique, c’est génial de suivre les deux en parallèle en entremêlés. On la voit donc dans plein de peintures, alors qu’elle posait nue et qu’elle était indéniablement une très belle femme de son époque (et reconnue comme telle). C’est aussi l’époque de l’explosion de la photographie, et j’ai été étonné du nombre important de clichés qui la représentent.

Mais donc il est très cool d’être ainsi sensibilisé à sa pratique artistique, et clairement ce qui (me) marque le plus c’est son appétence à peindre des nus féminins, mais sans ce regard masculin1 que l’on ne connaît que trop bien. Il y a une différence assez incroyable avec les « odalisques » de Suzanne Valadon, et les peintures de femmes nues de la même époque. Cela fait du bien de voir ça, et d’avoir toutes les explications afférentes à cela aussi.

Et clairement son existence permet un name-dropping d’un sacré niveau quand on voit qu’elle était en couple avec Erik Satie, bonne copine de Lautrec, amie intime de Degas, proche collègue de Derain, Picasso ou Braque… Donc toute l’exposition permet aussi de plonger dans toutes ces influences qui décrivent une bonne partie de l’évolution artistique postimpressionniste et en (bonne) voie vers l’abstraction.

Je ne peux que conseiller cette visite. ^^

  1. C’est ce male gaze bien connu, mais tellement répandu qu’on ne le voit plus. ↩︎

La tenture (ou les tapisseries) de l’Apocalypse du château d’Angers

C’était en réalité la raison principale de notre petite journée angevine, je voulais découvrir cette fameuse tenture qui apparemment valait le détour. Eh bien je confirme tout à fait cela, il est indispensable de voir ce truc là. Exactement comme pour la tapisserie de Bayeux, cela vaut vraiment qu’on voit un jour cette œuvre incroyable, unique en tout point et formellement sublime, à la portée encore plus mystique et spirituelle par son thème qui dépasse même le simple cadre religieux (selon moi).

Comme pour le musée de la tapisserie de Bayeux, la tenture, qui est un peu plus récente puisqu’elle date de 1375-1377, est exposée dans une salle en entier et avec une très basse lumière pour des raisons de conservation. Elle a été très abîmée à un moment où passée de mode, elle a carrément été utilisée en morceaux comme tapis ou comme couverture pour des chevaux. Hu hu hu. Mais cette merveille a heureusement été restaurée et est plutôt bien exposée (même si je trouve que la muséographie est vraiment au minimum alors que le potentiel de ce truc est illimité selon moi). Là où Bayeux est incroyable car c’est 300 ans avant et on est dans une œuvre beaucoup moins élaborée et « belle » mais un récit incroyable témoignant d’épisodes historiques, on est là dans une illustration grandeur nature et magistrale d’un texte religieux célèbre et emblématique : l’Apocalypse de Saint-Jean. Et cette tenture raconte tout cela comme dans une bédé à grand renfort de représentations formelles et de métaphores plus ou moins imagées.

La tenture est gigantesque avec à l’origine 4,5 mètres de haut sur 100 mètres de long. Quelques morceaux sont perdus, mais vraiment on a presque tout, et on peut super facilement suivre le texte de Saint-Jean en même temps qu’on chemine le long de la tapisserie. La salle est assez grande pour ne pas se gêner, et tout est remis dans l’ordre, avec un récit en 6 saisons et différents épisodes. Ce qu’on a fait c’est qu’on a ouvert la page wikipédia qui permet de se repérer et surtout qui liste les versets à lire en même temps qu’on regarde les images.

Et c’est très cool, car c’est un texte très beau et mystérieux, qui mêle vraiment le fantastique et l’horreur à la religion catholique, mais qui peut vraiment se lire assez littéralement et donc se découvrir avec des illustrations saisissantes dans ce musée. On retrouve en plus tout un tas de notions qui sont de l’ordre de la culture générale, quand on voit les cavaliers de l’apocalypse ou qu’on évoque la Bête et son nombre (666) etc.

Je vous conseille vraiment si vous visitez l’endroit de faire comme nous, cela fournit un génial guide, avec cette chance de lire les mêmes mots qui ont inspiré les artistes d’il y a 650 ans, et de voir ce que ça peut concrètement donner. ^^

Certaines tapisseries sont vraiment flippantes et dignes de films d’horreur, et c’est vraiment cool de voir ce genre de représentations aussi anciennes, et auxquelles on n’est pas trop habitué (même si les imageries d’enfers dantesques ou les danses macabres ne sont pas joyeuses). Mais là il y a une qualité des cartons et des tissages qui vraiment fournissent un matériel captivant et très « vivace ». Quand on poursuit en plus la lecture du texte de manière synchrone, on est vraiment pris dans ce conte d’épouvante, et on peut comprendre l’impact que cela pouvait avoir sur les gens à l’époque.

Bon, je comprends vraiment pourquoi ce machin est inscrit à l’UNESCO depuis cette année, et il faut avoir vu ça. ^^

Musée de la Vie Romantique de Paris

Cela faisait des années qu’on m’en parlait, pour ses collections mais surtout pour le lieu, le bâtiment, les jardins et le petit café, et puis la gratuité des musées de la Ville de Paris qui rend ça encore plus accessible. Et force est de constater que l’écrin est superbe et très très charmant, ce qui convient plutôt bien à une « Vie Romantique » parisienne.

C’est assez curieux comme musée, on sent bien que le truc a un peu le cul entre plusieurs chaises. C’est avant-tout l’ancienne demeure et atelier d’un peintre romantique d’origine néerlandaise : Ary Scheffer (jamais entendu parler de ce mec ^^ ). Et autour de ses œuvres, on trouve tout un tas d’objets ou d’œuvres assez connexes du mouvement romantique, mais on sent bien que c’est opportuniste et pas spécialement « riche ». Donc on a par exemple pas mal d’objets de George Sand suite à une donation, ou des tas de petits bronzes qui étaient très populaires à l’époque (et qui m’ont énormément plu), ou encore des tableaux rassemblés là pour donner une ambiance de ce que pouvait être la production artistique de cette période romantique.

Après je me suis dit que ç’aurait été assez cool d’avoir du Chopin pendant la visite par exemple, et que vraiment ça méritait d’aller jusqu’au bout de cette reproduction d’une atmosphère « romantique ». Car même le parcours pédagogique n’est pas très lisible ou facilement compréhensible, et je trouve que tout cela manquait un peu d’explications historiques, de contexte ou de précisions sur le mouvement artistique même qui est censé être là illustré.

En revanche, on est vraiment dans une demeure d’époque avec la sensation de passer réellement de pièces en pièces dans un logement privé, et cela fonctionne vraiment bien. En plus de ce jardin adorable, et la sensation d’être dans un espace hors du temps, à la fois très parisien, et plus du tout en regard des contraintes parisiennes actuelles. Je comprends que l’endroit soit prisé pour aller prendre un petit kawa ou un thé tranquillement.

Cela vaut vraiment le coup d’y passer une heure en flânant. ^^

Le musée Antoine Bourdelle

C’est un endroit que j’avais beaucoup aimé quand je l’avais découvert en 2006 à l’occasion d’une exposition Felice Varini. Et comme j’avais du temps à tuer dimanche après-midi à Montparnasse, je me suis dit que j’allais y recoller mes guêtres pour voir ce qui avait changé. Et beaucoup a changé !! Clairement l’endroit a été rénové et sérieusement dépoussiéré. Le parcours pédagogique est passionnant et le lieu bourré de charmes.

C’est déjà un endroit très authentique puisque c’est réellement son atelier et son appartement qui sont là, et qui se visitent avec les sols et meubles d’époque. Le sculpteur était très réputé, et le musée a vu le jour seulement vingt ans après son décès. Les bâtiments attenant ont été construits au fur et à mesure, et l’ensemble est vraiment chouette. La collection en tant que telle est incroyable, mais le jardin est superbe aussi, et toutes les explications pédagogiques autour de la sculpture ou de la conception des bronzes sont passionnantes.

On entre par une cour avec un cheval énorme, et encore la vue sur la tour Montparnasse qui est littéralement à une minute à pied. Tout le musée dans sa partie extérieur est constellé d’œuvres de l’artiste, et c’est génial d’avoir un si bel écrin de verdure pour que de telles sculptures métalliques puissent se déployer dans toute leur majesté.

On aperçoit aussi rapidement Héraklès, celui-là même des douze travaux et en particulier celui qui tire à l’arc sur les oiseaux du lac Stymphale. Il est également très connu par les enfants, devenus cacochymes, de ma génération car une marque de cahiers d’école très connue l’avait en symbole sur ses couvertures cartonnées. Il est incroyablement impressionnant en vrai, il émane de cette sculpture une force, une puissance musculaire toute en tension, et une véhémence à travers ce visage coupée à la serpe presque inhumain. Je comprends que ce soit son œuvre la plus célébrée et reproduite dans le monde.

Le patio présente aussi ses sculptures les plus connues et sublimes, dont le centaure mourant qui est très célébre avec sa tête penchée d’un côté. Il y a aussi sa taille qui impressionne et sa présence en même temps discrète dans un ilôt arboré qui dissimule une partie des détails. Il faut s’approcher et se contorsionner pour bien le regarder. Je suis très très fan de cette sculpture !!

On en revoit aussi le plâtre dans l’atelier du maître, autour d’autres œuvres disparates.

On trouve aussi en extérieur deux versions de La France qui est donc une représentation allégorique surprenante de notre pays. Normalement c’était prévu pour être une installation face à la mer et illustrant la France qui surveille les flots en attendant d’être aidée par les USA, c’est une France « Athéna » en armes, mais avec des rameaux d’olivier sur sa lance (symboles de paix) et des serpents de sagesse à ses côtés. Vraiment dommage que le projet en question n’ait jamais vu le jour.

Dans le jardin, j’ai aussi été très impressionné par cette sculpture très détaillée d’un enfant qui a l’air de capturer un aigle. C’est en réalité d’ailleurs Hannibal enfant qui étouffe l’oiseau, et la vision est vraiment très impressionnante.

La collection permanente des œuvres de Bourdelle permet aussi de se familiariser avec son style et ses choix artistiques. Les explications sont vraiment super intéressantes, et pas du tout ampoulées ou absconses. On comprend vraiment bien sa démarche, et la vigueur de sa créativité, tout en étant un sculpteur très artisanal et technique dans l’approche (pas le genre à attaquer bille en tête sa sculpture sans mesure par exemple). J’adore ses visages tourmentés ou souffrant, et la beauté des traits de son Appolon ou une de ses élèves.

Cette dernière sculpture m’avait déjà tapé dans l’œil en 2006, il s’agit du Jour et de la Nuit qui est tapie et recroquevillée derrière l’épaule du premier. Trop trop beau. ^^

Le hall des plâtres vient terminer une visite avec les modèles intermédiaires, de simples maquettes des sculptures finalisées en réalité, mais qui en eux-mêmes ont une valeur artistique certaine, et surtout prennent une place pharaonique dans cette gigantesque salle. Impressionnant !!

Dernier jour du Voyage à Nantes 2023

C’est en se promenant en ville hier (il faisait moins chaud qu’aujourd’hui, où c’est un cagnard incroyable), qu’on a voulu rattraper deux endroits, ignorés jusque-là, du Voyage à Nantes de cette année.

On a commencé par ces énigmatiques et superbes têtes en céramiques de très grande taille, posées sur le sol de la cour d’un hôtel particulier (celui de Châteaubriant, rue de Briord). L’œuvre de Maen Florin (même artiste céramiste à qui on doit les œuvres aquatiques de la fontaine de la place Royale) s’appelle Commedia et les têtes : Performer, Whitewashed, Soutine et Black Beard.

Difficile d’en dire beaucoup plus sinon que c’est très beau, que l’incongruité de leur emplacement est vraiment sympa et intrigante, et que l’on se pose des tas de questions à propos de ces personnages. Leur genre, le maquillage, les yeux ouverts ou clos etc.

Dernier jour du Voyage à Nantes pour découvrir (tout s’arrête ce dimanche) également ces allégories (Justice, Histoire, Jurisprudence et Éloquence) qui faisaient partie d’une ancienne statue du 19e en l’honneur d’Adolphe Billault (ministre de Napoléon III), qui a été fondue pendant la seconde guerre mondiale (par Vichy). Elles sont exposées devant le tribunal (aka l’accueil de l’Étoile Noire), et c’est chouette de les voir d’aussi près. Ce sont de belles œuvres, et ce serait dommage qu’elle reparte dans des sous-sols de réserves…

J’aime bien cette idée de présenter ce qui à la base n’étaient que des faire-valoir d’une statue d’un personnage réel, et de se rendre compte que ce sont de très belles œuvres en tant que telles.

On a bien sûr cherché à attribuer les allégories aux sculptures présentées, et il était facile d’identifier la Justice avec son glaive et sa couronne de pointes, assez évident aussi pour la Jurisprudence qui tient des lois représentant un code romain. Quand j’ai vu celle avec l’air pensive qui regarde au loin, et qui tient un crayon comme pour chercher l’inspiration, j’ai pensé à l’Éloquence en représentant (mais c’est étonnant) l’orateur en train d’écrire son discours. Mais la quatrième est assez énigmatique, ce serait l’Histoire, et donc elle porte d’une main une couronne de lauriers et de l’autre une palme…

Et puis j’ai remarqué qu’il y a un papier avec une gravure et les noms de Cicéron et Démosthène. En pensant aux « Vies parallèles » de Plutarque qui évoquent ces deux noms ensemble, je me suis dit que c’était deux orateurs célèbres, et que nous avions sans doute à faire à l’Éloquence. Et donc l’Histoire est cette autrice qui réfléchit et contemple l’existence pour transcrire tout cela… Est-ce que c’est ça selon vous ?

Hyper sensible au Musée d’Arts de Nantes

C’est l’exposition parfaite en complètement de celle de Ron Mueck à la Fondation Cartier d’il y a quelques semaines. Mais cette exposition là propose une scénographie très efficace et un parcours pédagogique vraiment excellent. C’est un fabuleux tour d’horizon du genre, et on apprend exactement ce qu’est la sculpture hyperréaliste, et ses artistes majeurs avec des œuvres qui couvrent tous les genres et les époques.

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Le Voyage à Nantes 2023 sous le signe de la sculpture

Je sais que l’année dernière ce n’était pas une très bonne année pour le Voyage à Nantes, les œuvres n’avaient pas été très plébiscitées, mais pour une première année nous n’avions pas une grande base de comparaisons. Cette année n’a pas meilleure presse (laule !) mais un peu mieux tout de même, cette thématique de la sculpture donnant au moins une certaine unité et proposant un ensemble avec une petite cohérence.

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Ron Mueck à la Fondation Cartier (2023)

J’étais content de prendre un petit moment avant de repartir à Nantes pour voir cette exposition. Ron Mueck m’avait marqué avec beaucoup de gens en 2005 avec une œuvre incroyable au sein de l’exposition « Mélancolie » au Grand Palais (expo qui a marqué tant de gens). C’était un gros bonhomme surdimensionné et nu, prostré et d’un hyper-réalisme troublant et fascinant. En 2013, il y avait eu cette exposition à la Fondation Cartier qui avait eu un succès fou mérité, et dont les sculptures poursuivaient cet hyper-réalisme et une narration très subtile, parfois subliminale, mais aussi souvent très obscure ou laissant la place à beaucoup d’interprétations. Mais le truc c’est que ces œuvres ne laissent absolument pas de marbre, on est obligé de ressentir quelque chose.

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A year in Normandie (David Hockney)

En visitant pour la seconde fois le génial musée de la Tapisserie de Bayeux, on a aussi visité cette petite expo bien sympathique et inattendue. Je ne savais pas que David Hockney avait passé le COVID dans sa maison vers Bayeux (et j’ai l’impression qu’il y vit depuis), et qu’il en avait profité pour créer une œuvre en résonnance avec la fameuse Tapisserie. Rien à voir pour la thématique puisqu’il a voulu représenter une année et les 4 saisons dans sa maison de campagne normande, mais c’est une incroyable œuvre plus longue encore que la tapisserie de Bayeux.

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EXPOSÉ·ES

Le sida a marqué mon enfance et mon adolescence, mais c’était très loin de moi avant que je ne devienne moi-même actif sexuellement (pas spécialement pédé, vu que je suis pédé depuis la naissance ^^ ). Je me rappelle de la peur qui était instillée chez tout un chacun, et ce n’était pas facile de vivre avec cette peur de la sexualité (raccourcis vraiment très courant à l’époque, même certains vivaient encore l’insouciance des vertes années). La maladie ayant décimé nos aînés pédés, elle a aussi énormément marqué les artistes, eux-mêmes queers ou allié·e·s, et cette exposition est passionnante dans ce qu’elle convoque les oeuvres d’hier et d’aujourd’hui sur cette épidémie qui comme on le voit sur le bandeau d’accueil ne fait que commencer.

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