C’est marrant mais je suis tombé sur ce post de « Chroniques de Bretagne » qui se plaignait de la dégénérescence de Ouest France, exactement comme on le ferait aujourd’hui de tous ces supports qui perdent leurs âmes en utilisant de l’IA générative et réduisent leurs contenus à des hameçons à réclames. Donc nous voici, c’est notre tour, nous sommes les vieilles et les vieux qui bougonnons sur la disparition de notre monde, notre cadre de valeurs et nos repères.
J’imagine que chaque génération connaît cela, depuis la souffrance de l’enfance sous le joug des adultes, à celui des adolescents qui se plaignent de n’être pas compris, puis la jeunesse qui aspire à changer les choses et conspue les vieux réactionnaires, et des adultes qui peu à peu se meuvent et se moulent dans la mode capitaliste de leur époque… Ensuite viennent les vieillards qui subissent un changement de mode et de régime en plus, et qui sont déboussolés.
Et chaque époque a raison de cette perte de valeur, de ce bouleversement de l’ordre établi. Il est néanmoins très difficile d’en tirer un bilan aussi absolu qu’on voudrait l’imaginer. J’ai tendance à vouloir justement le relativiser, parce que je me souviens bien des boomers qui étaient considérés comme des voyous et des beatniks par leurs parents (et ils l’étaient bien sûr parfois ^^ ), ou bien ma propre génération qu’on disait sacrifiée par la télévision et les animés débiles ou violents, et celle d’aujourd’hui abrutie par les réseaux sociaux. Rien de tout cela n’est absolument vrai, ni absolument faux.
Et pourtant, je lis aussi Thierry qui continue son analyse à la fois clairvoyante et sombre de nos « sociétés en ligne ». Et le tableau clinique est aussi précis que flippant.
Une double injonction : plaire et produire de plus en plus, inonder de contenus, lutter contre les autres producteurs, mais avec la même stratégie qu’eux : satisfaire, combler un vide, alors que le vide est nécessaire pour qu’un mouvement soit possible. Où aller quand ça déborde de partout ? Il me suffit d’ouvrir Netflix pour avoir envie de dégueuler. Un amoncellement de vignettes clinquantes empilées les unes sur les autres. Idem sur YouTube, avec des shorts hypnotiques plus cons les uns que les autres. Je ne supporte plus ce monde, non seulement parce que j’en suis la victime, mais parce que vous en êtes les victimes.
Dans un monde où tout est faux, pratiquons le headbang de Thierry Crouzet
Ploum en rajoute une couche en étant encore plus acrimonieux, et il a raison lui aussi !
Je conchie le « joli ». Le joli, c’est la déculture totale, c’est Trump qui fout des dorures partout, c’est le règne du kitch et de l’incompétence. Votre outil est joli simplement parce que vous ne savez pas l’utiliser ! Parce que vous avez oublié que des gens compétents peuvent l’utiliser. Le joli s’oppose à la praticité.
Mais c’est plus joli ! par Ploum
Le joli s’oppose au beau.
Le beau est profond, artistique, réfléchi, simple. Le beau requiert une éducation, une difficulté. Un artisan chevronné s’émerveille devant la finesse et la simplicité d’un outil. Le consommateur décérébré lui préfère la version avec des paillettes. Le mélomane apprécie une interprétation dans une salle de concert là où votre enceinte connectée impose un bruit terne et sans relief à tous les passants dans le parc. Le joli rajoute au beau une lettre qui le transforme : le beauf !
Oui, vos logorrhées ChatGPTesques sont beaufs. Vos images générées par Midjourney sont le comble du mauvais goût. Votre chaîne YouTube est effrayante de banalités. Vos podcasts ne sont qu’un comblage d’ennui durant votre jogging. Le énième redesign de votre app n’est que la marque de votre inculture. Vos slides PowerPoint et vos posts LinkedIn sont à la limite du crétinisme clinique.
J’ai du mal avec tout cela, car lorsqu’on se met à reprocher des choses, alors on doit se repositionner vers un « meilleur ». Et ce meilleur sera toujours celui de son propre cadre de référence, de son propre modèle aussi décrié soit-il par la génération précédente/suivante pour n autres raisons valables. Il me semble juste qu’on doive pratiquer différemment, et moins par couche successive de générations, au final toutes aussi vénéneuses et au capitalisme destructeur de notre environnement. Mais alors lorsque je m’essaie à un exercice un peu plus subtil, bah c’est trop compliqué, ça ne marche pas. Et pourquoi mon opinion serait-elle meilleure que celle d’un autre imbécile ? Pffff.
Une sorte de voie du milieu si on continue à filer la métaphore de l’IA, c’est celle de Korben qui prend cette nouvelle flippante des « 50% du web serait écrit par l’IA« . Mais « et alors » se dit-il. Parce qu’avant l’IA, c’était des machines à créer du référencement naturel qui truffaient les textes de mots clefs, des journaleux du net qui cherche à faire du clic-bait avec des titres racoleurs qui ramènent du clic. Et donc malgré tout ces artifices, la qualité du fait-main du fait-humain continue et continuera à être remarquée, et à façonner notre futur. Encore une fois, c’est vrai et pas vrai. Oui la qualité et le travail sérieux sont encore des choses qui se « voient », mais si les gens s’abêtissent en même temps que les IA construisent une jolie roue de hamster… Mein gott, qu’allons-nous devenir ?





