Infection transgénérationnelle

Le génial David Madore se pose cette fois encore une question passionnante, et il nous entraîne dans une de ses magnifiques digressions mathématiques dont il a le secret !!

Suis-je (sommes-nous tous) un descendant direct de Charlemagne ?

Pour tenter d’y répondre, ou en tout cas essayer de se poser les bonnes questions pour cerner le problème, il utilise des modèles mathématiques épidémiologiques en se projetant dans une attaque virale qui remonterait les générations…

Parce que le truc de base c’est évidemment de se dire :

Nous avons tous 2 parents, 4 grands-parents, 8 arrière-grands-parents, 16 arrière-arrière-grands-parents, et, si on remonte 40 générations pour retomber à peu près à l’époque de Charlemagne, cela donne 1 099 511 627 776 ancêtres à ce niveau — mille milliards, soit quelque chose comme 4000 fois la population mondiale de l’époque (à la louche, 250 millions).

Mais on sait bien qu’on a tous beaucoup d’ancêtres en commun, et que c’est très contre-intuitif à quel point le phénomène est énoooorme. Donc sa proposition d’investigation est la suivante :

Imaginons que nous regardions l’histoire de l’Humanité à l’envers (je veux dire, en faisant couler le temps en sens inverse). J’imagine conceptuellement que je suis porteur d’une infection (l’infection avoir David Madore dans sa descendance) et que cette infection se transmet (en remontant le temps, donc) à mes deux parents, qui la transmettent eux-mêmes à leurs parents, etc. Nous avons là un modèle épidémiologique dont le nombre de reproduction R₀ (ou, comme j’aimais bien le noter dans mes articles de vulgarisation à ce sujet, κ) vaut 2. (Pour être un peu plus précis sur la comparaison, les individus sont considérés comme « susceptibles » à partir de leur mort — je rappelle que je joue le temps à l’envers, donc on commence par mourir —, ils sont « infectés » à partir de la naissance d’un enfant infecté, et ils le restent jusqu’à leur propre naissance, laquelle transmet l’infection à leurs propres parents.)

A lire à tête reposé… ^^

Colette et Georges

Baptiste Coulmont nous propose encore une histoire fascinante (mais tellement classique et pullulante) que l’on peut reconstituer en lisant les archives de l’administration.

On y voit s’y afficher tous les préjugés de l’époque, et notamment un sexisme décomplexé, associé à de la misogynie et du mépris de classe, qu’il vienne d’ailleurs d’hommes ou de femmes. Et forcément je me demande mais quelle vie ont-ils bien pu vivre ensuite ? Ça donne envie de retrouver les quelques marqueurs de nos vies (naissance, mariage, décès) et d’en lire les indices subliminaux (villes, professions, témoins etc.) pour eux et leurs descendants.

Une question d’air

J’ai toujours aimé son style et ces petits posts qui sont autant de délicates touches sur une peinture impressionniste qui représente maintes années de blogging. Il poste peu aujourd’hui, mais quand c’est pour nous régaler d’articles de cet acabit, bah ça vaut le coup d’attendre. ^^

C’est le matin. Un matin d’été en Bourgogne. Je viens de me lever, d’ouvrir la porte. Un café, je suis sorti. Dehors, le haut des arbres est dans un reste de brume. Le coq chante, il est, avec d’autres oiseaux qui pépient, seul à animer la campagne qui dort encore. L’air est humide et se dépose sur les arbres, les plantes, en gouttelettes transparentes. Pour la première fois, j’ai vu de la vapeur sortir de ma bouche en expirant, et réalisé que sur cette petite terrasse, à constater le réveil de ce petit monde, j’avais froid. J’aime la fin du mois d’août, quand les chaleurs d’été cèdent la place aux aurores fraîches de septembre. J’aurai aimé qu’au chant du coq, s’ajoute un léger souffle, derrière moi. Ça aurait été toi. Tu m’aurais rejoint, tu aurais collé ton torse à mon dos, tu m’aurais entouré de tes bras, mains sur mon cœur, tu aurais posé le bas de ton visage sur le haut de mon épaule, tu aurais joint ton souffle au mien et on serait resté là à vivre le moment en communion. Alors tu aurais frissonné, j’aurais souri, et tu aurais murmuré : “vient, retournons au lit”. Et j’aurais été le plus heureux des hommes.

« Juste un peu d’air » par RAL3020

Plutchik et la souris

C’est en lisant le blog Grignotages de la souris, que j’ai été happé par cette lecture « Eloge de la fadeur » au premier titre1, et ensuite par cette merveilleuse trouvaille de la roue des émotions de Robert Plutchik. Bon, déjà, le mec a un nom génial qui a l’air de sortir d’un conte de fée slave des confins de l’Oural, mais surtout c’est un système passionnant qui expose en principes simples et combinables des phénomènes humains qu’on a tellement de mal à « mettre en sciences ».

J’avais de loin entendu ce truc comme étant justement la source des émotions dépeintes dans Vice-Versa, mais comme un idiot je n’avais jamais poussé mes investigations plus loin (et Dieu sait que je suis pris dans des vortex Wikipédia pour moins que ça ^^ ).

  1. Et j’adore ce qu’elle explique du bouquin de François Jullien qui relate que la fadeur est une véritable qualité et quête idéale de la culture chinoise. ↩︎

En pensant à Stefan

Hier soir, abreuvés de ces émissions H24 sur la dissolution, les élections à venir, et cette atmosphère de peur dégueulasse distillée par des journalistes dont l’objectif est de nous garder en haleine nous proposant une dose constante et cyclique de dopamine pour nous accrocher1, nous avons pensé à Stefan Zweig.

Oui bon d’accord, on peut nous accuser de faire un peu de « drama », mais c’est difficile pour nous de ne pas faire un parallèle avec l’auteur autrichien qui a fui le nazisme, et qui s’est suicidé en 1942 d’un certain désespoir de ce que l’Europe était devenue. Et Nithou, avec qui je partage beaucoup de valeurs (et d’affect pour les mèmes décrivant nos angoisses existentiels sur les Internets), semble aussi y avoir pensé.

Contre ma volonté, j’ai été le témoin de la plus effroyable défaite de la raison et du plus sauvage triomphe de la brutalité qu’atteste la chronique des temps ; jamais — ce n’est aucunement avec orgueil que je le consigne, mais avec honte — une génération n’est tombée comme la nôtre d’une telle élévation spirituelle dans une telle décadence morale.

Le monde d’hier (Stefan Zweig)
  1. Et ça fonctionne puisque je critique ce truc dont je suis complètement le jouet conscient depuis quelques jours, où j’écoute en boucle les mêmes infos, les mêmes interviews, les mêmes craintes et espoirs de certains ou repoussoirs d’autres. C’est « moins pire » sur France Info, mais eux-mêmes convergent vers cette médiocrité journaleuse triste à mourir. ↩︎

Complexité comparée des conjugaisons

Quand un mathématicien approche la complexité des systèmes de conjugaison de plein de langues, ça donne David Madore qui, comme à son habitude, triture le truc et en sort des tas de choses passionnantes que j’ignorais sur les langues. Enfin si, on savait déjà que le français est horriblement difficile parce qu’on peut savoir le parler sans du tout savoir l’écrire correctement. ^^

Le petit livre rouge

A l’été 2020, l’ami F. avait passé un peu de temps avec nous en Bretagne, et il promenait avec lui un curieux petit carnet rouge. Il nous l’a montré plus en détail, et il s’agissait d’un journal de bord et intime de son grand-père qui racontait jour après jour son expérience en Allemagne dans le cadre du STO. F. commençait déjà à décrypter la petite écriture manuscrite de son aïeul pour la retranscrire dans un document informatique. Et voilà qu’il a lancé un passionnant blog qui va publier tous les jours les textes qui correspondent au même jour à 80 ans près.

Samedi 1er janvier 1944, mon grand-père commence son STO dans le 3ème Reich. Il durera jusqu’à la fin de la guerre.
À son départ en 2009, il me laisse un petit livre rouge où chaque jour, il a gravé ses souvenirs d’une écriture minuscule.

Le petit livre rouge

Une forme de certitude

Je crois que c’est là, encore, que tu parles du manque des 25 et 26 novembre, un manque qui, dis-tu, n’est pas une forme d’amour, mais le simple signe d’une habitude.

J’ai beau attendre une forme de certitude, de celles qui font avancer, de celles qui font regarder demain comme si demain était déjà là, j’ai beau attendre ça, je me satisfais de nous, puisque nous sommes là, bien là. Là et donc dans une autre forme de certitude : je n’attends rien du peu – du pas assez – que tu me donnes.

Je ne sais pas en quoi ce que nous sommes va se transformer, on peut simplement deviner quand, sans savoir exactement quand : ton départ, puisqu’il adviendra, un jour, pour un autre peut-être ou pour un ailleurs sûrement. Je me résous donc à ce que tu sois là sans y être vraiment, cela donne une chance à d’autres possibles pour moi, pas forcément plus réalistes, pas forcément mieux que nous. Nullement je les cherche ; je les laisse advenir. Et toi, les cherches-tu encore ?

Journal d’Arnaud Rodriguez du Mercredi 6 décembre 2023.