Miséricorde (Alain Guiraudie)

J’ai vu ce film dans le cadre de la soirée de clôture du festival CinéPride nantais1, et évidemment on avait tous en tête le film d’Alain Guiraudie qui l’avait rendu célèbre en 2013 : L’inconnu du lac. Présenté au festival de Cannes, le film avait aussi fait émerger le comédien Pierre Deladonchamps. Ce film là m’a beaucoup plu car il est vraiment dans la lignée de l’inconnu du lac tout en allant plus loin dans sa fibre surréaliste, voire comique, avec des ruptures de narration d’abord troublantes, puis carrément poilantes.

C’est marrant d’y voir Catherine Frot, qui est toujours impeccable, avec d’autres comédiens qui ne sont vraiment pas exactement au même niveau, mais avec cette manière de filmer assez naturaliste, et parfois barrée, il n’y a rien de choquant dans un jeu parfois un peu hésitant. Alain Guiraudie sait en tout cas vraiment bien filmer, c’est indéniable, on y voit des cadrages, un montage et des plans qui ont une vraie qualité cinématographique.

Félix Kysyl joue Jérémie qui débarque dans un petit village reculé de l’Aveyron, à proximité de Millau, chez Catherine Frot. Cette dernière accueille avec enthousiasme Jérémie qui vient pour le décès de son mari, qu’il a connu il y a pas mal d’années puisqu’il était son apprenti boulanger. On devine rapidement que Jérémie était amoureux de son patron, et cela semble être su et accepté de son épouse. De même, le fils, Vincent, débarque et c’est un mélange détonnant d’agressivité et d’une sorte de passion amicale ou amoureuse. De véritables pulsions entraînent les amis à se confronter à plusieurs reprises. Et avec chaque protagoniste, Jérémie nourrit des relations tout aussi haute en couleur, avec soit de sa part, ou de celle d’autrui, une tension sexuelle hors norme.

Le film commence comme un Chabrol, puis passe au thriller et nous emmène encore ailleurs avec des scènes qui sont carrément nawak et deviennent plutôt drôles (ce qui apparaissait déjà en filigrane dans l’Inconnu du lac mais qui là paraît plus assumé) malgré le fond scabreux de l’intrigue, et son insolence formelle (j’adore sa manière de filmer des bites en assumant complètement le truc). Cela donne un OVNI assez charmant, un peu déroutant, et sulfureux, mais qui ne se prend pas trop au sérieux. ^^

  1. J’avais déjà assisté à quelques films et courts en 2022. ↩︎

All of Us Strangers (Sans jamais nous connaître) de Andrew Haigh

Depuis Weekend et Looking, je suis très attentif et j’ai un a priori très positif pour les œuvres d’Andew Haigh, et donc j’étais super content d’avoir l’opportunité de découvrir ce film en avant-première à Nantes en fin d’année dernière. De savoir en plus que le premier rôle est tenu par Andrew Scott (que j’adore dans toutes ses performances) et que cette histoire flirte avec le surnaturel m’ont encore plus convaincu que ce serait ma came. Le film est basé sur un livre japonais qui a déjà été adapté une fois, mais là on est sans doute sur une inspiration un peu plus lointaine, disons que l’idée majeure a été conservée, mais contextualisée de manière très différente.

Le personnage principal Adam (Andrew Scott) habite dans un immeuble neuf, et il n’y a que très peu de locataire. Naturellement solitaire, le scénariste neurasthénique n’a pas l’air de vivre ça trop mal. Un soir, un voisin, manifestement plus jeune (joué par Paul Mescal), frappe à sa porte et vient lui faire du rentre-dedans. Adam refuse poliment ses avances, mais on le sent malgré tout intrigué et émoustillé par le petit jeune. En faisant des recherches pour un scénario, il revoit des photos de famille, et il décide de retourner sur le lieu de son enfance pour voir la maison où il a grandi. Il prend le train, et finit par arriver près d’une bâtisse. Il est accueilli par ce qui semble être ses parents (le père c’est Jamie Bell et la mère Claire Foy), mais qui ont l’air plus jeunes de lui.

Le début est donc un peu confus, mais on comprend vite que ses parents sont morts (il en ont conscience), et qu’il les rencontre donc avec une dimension fantastique très assumée. Les parents sont morts d’un accident de voiture il y a longtemps, mais ils sont très heureux de voir leur fils. Et lui en profite pour renouer avec eux, et leur raconter sa vie sans eux. Le film tourne autour de ces voyages en train jusqu’à cette maison « hors du temp », avec une série d’échanges avec ses parents. En parallèle, le soir dans son immeuble dépeuplé, il s’affirme de plus en plus dans une relation amoureuse avec son jeune voisin.

Le film fait irrémédiablement penser à Weekend dans la forme, et l’excellence de la réalisation. On y retrouve aussi une bande-son très efficace et très présente dans la narration. Il y a ces plans rapprochés des visages qui sont absolument incroyables, et une vraie célébration de la beauté des comédiens. C’est aussi une manière de montrer la relation amoureuse et les sentiments par leurs regards magnifiés et particulièrement expressifs (mais « comme dans la vie » selon moi, et qui sont finalement assez rarement rendus dans des longs-métrages). Et il faut noter que malgré le peu de protagonistes, c’est une énorme réussite sur les comédiens et la comédienne, et la direction d ‘acteur y est aussi sans doute pour quelque chose.

Je suis déjà très fan d’Andrew Scott mais là, ça ne fait que confirmer mon entichement pour le bonhomme. Il incarne ce rôle avec un naturel et une authenticité frappante, et il a vraiment le chic pour jouer ces introvertis qui laissent en apparence peu passer les émotions. Paul Mescal est également très bon, mais c’est surtout le couple Jamie Bell et Claire Foy qui sont absolument parfaits.

C’est vraiment d’amour dont il s’agit tout le long du film, que ce soit d’abord l’amour-propre du personnage principal, mais aussi cette relation naissante avec son petit voisin, et surtout l’amour pour ses parents, et son parcours singulier avec cette mort accidentelle quand il était enfant. On comprend que c’est aussi cette rupture extraordinaire qui l’a marqué toute sa vie, et une sorte de rédemption est à la clef, à la fois dans la réalité de ses sentiments pour son voisin, que dans une réassurance sur ce que ses parents lui auraient apporté, et sur une sorte de réconciliation de toutes les « timelines« .

J’ai beaucoup aimé le film pour sa délicatesse, et son approche calme et posée de l’histoire, les plans sont lents, silencieux et parfois impressionnistes. Et la photo comme la mise en scène sont d’une telle beauté et efficacité, que le film n’est jamais chiant ou « trop long ». Et j’ai été vraiment très très touché par la relation avec les parents. Mais je crois que je me suis fait moi-même des films pendant le film. ^^

Andrew Scott est de 1976 comme moi, et le film explique qu’Adam (son personnage donc) a perdu ses parents en 1988 quand il avait douze ans. Donc on est de retour en 88, et c’est difficile de ne pas s’identifier… Cette maison avec cette déco, cette musique (New Wave bien sûr) et l’attitude des parents, je ne pouvais qu’être très attentif à tout cela, et bien évidemment j’ai laissé la résonnance venir à moi, en moi. Il est très drôle aussi d’avoir un coming-out à ses parents alors qu’on est plus âgé qu’eux, et qu’ils sont dans un contexte « 1988 ». La scène avec Claire Foy notamment est vraiment drôle et cruelle à la fois (elle parle évidemment du VIH…). Et le rapport avec le père est extrêmement touchant et surprenant.

Le film est clairement moins dans une dimension culte comme « Weekend » l’est pour moi aujourd’hui, mais c’est vraiment une œuvre de grande qualité, et qui a encore cette faculté d’évoquer des relations qui transcendent réellement l’orientation sexuelle. Il y a un vrai déclic universel à cette relation amoureuse, certes entre deux pédés, et celle filiale, qui touchera tout le monde, et met la sexualité plutôt au second plan (même si elle est très présente). Et puis formellement, il n’y a pas à dire mais Andrew Haigh est vraiment fortiche. Et avec en plus des super comédiens, une histoire intrigante qui flirte avec le fantastique, de la musique prenante, ça marche très très bien.