Iwak #21 – Explosion

Je vous serine avec la polarisation des opinions, mais elle se fait si croissante ces derniers temps, et c’est aussi clairement en l’observant aux USA, qui sont toujours le facteur grossissant fascinant de nos propres sociétés, que cela fait d’autant plus flipper. Car on voit le point de rupture advenir, on voit les populations se dresser les unes contre les autres, et on se demande mais quand est-ce que tout ça va péter ?

J’ai souri malgré tout quand ce week-end j’ai vu cette vidéo de Jon Stewart, qui est un des chroniqueurs du Daily Show que j’adore, qui lui-même se dresse contre cette simplification des discours à charge qu’il observe de manière complètement symétrique, et qui donc perdent forcément de leur substance. Car il met en boîte là en l’occurrence l’ensemble des éditorialistes de gauche1 qui s’insurge contre toutes les actions de Trump en criant au fascisme. Et en même temps, est-ce qu’on peut se taire ? C’est vraiment terrible ce positionnement qui nous amène à être forcément pour ou contre, ami ou ennemi, stupide ou intelligent, obtus ou éveillé, et contre toute nuance. C’est à peu près la critique que je formulais en filigrane ici.

Et pourtant il est facile pour moi de vivre ce même exercice de raison irréconciliable, lorsque je me dis oh bah Lecornu au moins il a le mérite de reprendre les choses de manière calme et ordonnée, et de paraître vouloir un certain consensus et un jeu démocratique dépassionné. Et puis tout de suite je me dis mais nooooon, ce ne sont que des raclures de bidet qui ne cherchent qu’à nous niquer plus profondément, qu’ils aillent donc manger leurs morts. ^^

Bon bah voilà hein, tous victimes, tous bourreaux, tous responsables en tout cas.

Je suis obnubilé par les articles que je lis qui font un rapprochement auquel j’ai du mal à croire entre notre situation et celle d’avant 1939. Que ce soit en Allemagne ou en France, on avait des médias avant-guerre également extrêmement politisés et polarisés, avec des stances de plus en plus violentes et manipulant aussi leurs lectorats. Et donc sommes-nous condamnés à rejouer cette partie là de l’histoire ?

J’ai souri également quand j’ai écouté ce podcast d’Avec Philosophie, que je cite régulièrement, dont le titre m’avait bien sûr donné envie : Simplisme, polarisation et pensée binaire dans le débat public actuel. Eh bien, autant j’avais trouvé que Géraldine s’était améliorée la dernière fois, autant là c’était une catastrophe. Le sujet était pourtant bien posé, et les contributeurs de qualité, mais c’est une émission inaudible et qui ne mène nul part. Grosse déception pour moi.

Aujourd’hui en revanche, Thierry Crouzet remet le couvert avec un article sublime à lire absolument. Il se demande concrètement comment rompre avec cette polarisation et la machine qui nous pousse à encore plus de soumission à ces algorithmes infernaux. Il est dans cette incohérence que nous vivons tous à vouloir se débarrasser des GAFA et des algorithmes, mais à avoir besoin d’audience et de vouloir continuer à jouir des interactions inhérentes aux Internets. Son discours et ses réflexions sont vraiment passionnantes et d’une belle clairvoyance.

Pour autant, je suis déboussolé : durant une vingtaine d’années, j’ai fait comme tout le monde. Ma prise de conscience, mon retrait, me place dans une position inconfortable. Je ne sais plus comment exister artistiquement. Peut-être la radicalité revient désormais à se taire, à se soustraire au brouhaha, à ne plus y contribuer. Et pourtant je publie encore un article, j’ajoute une pierre à l’édifice, mais j’évite de la jeter avec force dans l’océan pour provoquer des ondes qui en annonceront la publication.

Se soustraire au monde de Thierry Crouzet

Et je pense qu’il a raison, il faut apprendre à se taire, et à aimer ça, de nouveau. Mais c’est vraiment très très dur lorsqu’on est accroc. ^^ Il cite également un article à l’étrange synchronicité de JA Westenberg qui évoque exactement cela. Elle déploie une approche merveilleuse qui part carrément de la création de l’univers et décrit toute l’Histoire en quelques paragraphes2. Mais surtout, elle explique comme on est des petites crottes de rien, et c’est sooooo refreshing.

You are insignificant.
So am I.
So is everyone.
And that’s a good thing, because it means we can stop trying so hard to be significant and just focus on being alive, right now, in this improbable moment we’ve been given.
The universe doesn’t care about us, and that’s okay.
We can care about each other instead.

You Are Insignificant. That’s a Good Thing. par JA Westenberg
  1. Je simplifie à mort, car c’est une notion tellement singulière aux USA. ↩︎
  2. On dirait un peu le générique de Big Bang Theory mais à l’écrit. ↩︎

L’effet Matilda

L’été est là, et c’est la fin de la publication régulière de mes podcasts. J’aime bien cette période où ma FOMO1 se calme un peu, et au contraire je me mets à écumer les archives pour essayer de voir ce qui pourrait me plaire dans des épisodes manqués. Et donc j’ai repris notamment les chemins de la Philosophie de France Culture, et j’avais raté cet épisode absolument génial à propos du rôle des femmes dans la science. J’ai eu un peu de mal avec l’arrivée de Géraldine Muhlmann à la tête de l’émission, mais je m’y suis fait, et elle aussi je pense, et je trouve qu’elle a bien trouvé ses marques, et imposé aussi son style.

Je ne vais pas faire genre car j’ai simplement appris pour la première fois tous les concepts et les personnalités dont on parle dans l’épisode. Hu hu hu. Mot-dièse béotien. Mais donc l’épisode disserte largement sur l’effet Matilda qui évoque la minimisation systématique et systémique des femmes dans l’univers de la recherche scientifique. Cet effet Matilda est en miroir (déformant) d’un effet Matthieu qui lui-même traite des méthodes et « systèmes » qui font qu’on ne prête qu’aux riches. J’ai bien aimé que ce soit une origine biblique, et donc de St Matthieu, avec le célèbre « car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a« .

Mais vraiment, je suis surtout content d’avoir découvert une des invitées qui était Élisabeth Bouchaud. Cette dernière a une palette de talents assez folle puisqu’elle est à la fois physicienne, actrice et dramaturge. Et elle a de quoi bien s’exprimer au sujet de l’effet Matilda, mais on apprend aussi sa contribution à sortir de l’oubli d’incroyables chercheuses et trouveuses qui ont été souvent dépecées par leurs collègues, confrères ou supérieurs hiérarchiques masculins. Pendant l’émission, elle m’a totalement bluffé et conquis avec le jeu en live d’une scène d’une pièce qu’elle a écrite, et dans laquelle elle joue le rôle de Lise Meitner.

Cette dernière a une histoire incroyable puisqu’elle est carrément à l’origine de la découverte de la fission nucléaire ! Alors qu’on balançait des neutrons en se disant que ça alourdirait des éléments (d’uranium), ils étaient plus légers !! Elle a conjecturé, avec l’aide de son neveu, Otto Frisch, qu’on avait de nouveaux noyaux qui avaient été créés par « division » de l’uranium et que cela libérait aussi une quantité dingue d’énergie au passage. Elle a collaboré surtout pendant trente ans avec Otto Hanh, mais elle a subi l’antisémitisme nazi et a dû fuir l’Allemagne. A cause de tout cela, et malgré ses contributions majeures dans ces découvertes, les scientifiques allemands (pas forcément nazis bien sûr) ont publié dans jamais la mentionner. C’est très intéressant aussi évidemment de prendre en considération toutes les autres nuances : misogynes, sexistes ou simple jalousie.

L’épisode parle aussi de Rosalind Franklin dont c’est encore plus fou puisqu’elle est maintenant bien identifiée comme la personne qui a véritablement découvert la forme en double hélice de l’ADN, ses recherches ayant été tout bonnement spoliées par Watson et Crick. La troisième personne souvent citée pour ce genre d’injustice de l’histoire des sciences est Marietta Blau. Elle a été clef dans l’étude des particules, et surtout leurs manifestations empiriques sous forme de traces photographiques.

Bon bah hop, rattrapez donc moi ça mes chéris et chéries ! ^^

  1. Fear Of Missing Out ou littéralement la peur de rater un truc. ↩︎