Complices et compromis

J’ai vraiment bien aimé cette notion de complicité et compromission car c’est aussi ce avec quoi je me bats depuis des années. J’irai même encore plus loin, car c’est ce que je décrie qui est sans doute à l’origine même de ma capacité d’émancipation. C’est à dire que c’est une certaine idée d’une société que je honnis qui m’a donné les clefs et les ressources pour la penser ainsi, de manière critique. Et c’est sans doute une de ces vertus, il ne faut pas l’oublier. Elle sera un peu plus vertueuse quand elle saura aussi évoluer, s’améliorer et progresser sans se révolutionner (pour éviter de jeter le bébé et l’eau du bain), mais se transformer vers un meilleur. Mais c’est justement cela qui est peut-être impossible ?

Nous tous. Nous… sans exceptions.

I love my job. I make a great salary, there’s a clear path to promotion, and a never-ending supply of cold brew in the office. And even though my job requires me to commit sociopathic acts of evil that directly contribute to making the world a measurably worse place from Monday through Friday, five days a week, from morning to night, outside work, I’m actually a really good person.

I Work For an Evil Company, but Outside Work, I’m Actually a Really Good Person. Emily Bressler. 12 novembre 2025.

Cela fait mal. Cela met du poil à gratter là où il faut. Cela replace le sujet au bon endroit. Ce n’est pas un abandon, ni une généralisation. C’est le problème fondamental qui est sous-jacent à toutes nos critiques du système capitaliste. Nous sommes tous complices et compromis. C’est le bon point de départ pour penser à ce que nous devons changer. Toute position de la vertu est vouée à l’échec. Il est impossible d’être vertueux dans le monde courant à moins d’être hors-système. Bon courage dans un monde globalisé. La complicité est une arme beaucoup plus efficace dans la réforme des institutions. Je suis compromis donc je dois penser le changement pour l’être moins.

Mon cœur a bondi par Karl

Saurais-je donc me faire du mal à moi-même pour le bien commun ou pire celui d’autrui ? Les nobles qui soutenaient l’égalité des citoyens pendant la révolution française contre leurs propres privilèges, avaient-ils raison ? Et dans raison, il y a évidemment rationalité et morale, mais aussi intérêt ? Leurs vies ont-elles été plus fécondes ensuite ? Peut-être pas, mais ont-ils au moins mieux dormi la nuit ?

En tout cas, je n’aime pas non plus du tout les positions de vertu et les exemples à donner en partant de soi. Et heureusement que l’on peut aussi réfléchir et élaborer une société plus juste tout en se tirant une balle dans le pied. C’est certes plus difficile, mais c’est cela les Lumières.

Et de l’autre côté du spectre, je tombe là-dessus. L’article évoque une toute nouvelle génération de tech bros qui vont à SF pour essayer de percer dans le business de l’IA, à peu près comme on entre en religion… Ils sont dans des neo-ashrams et vibe-codent1 dans une ambiance ascétique les futurs catastrophes planétaires2 avec en plus cette conviction intime de fin du monde. Cela me rappelle ce qu’un ancien collègue et pote m’avait dit dans le tout début des années 2000 : « Nan mais tu sais moi, je m’en fous si la moitié du monde crève, tant que je suis dans la bonne moitié. »

Et dans tout ça, bah chuis paumé, je ne sais plus comment je m’appelle. Ah si, Matoo ou Mathieu selon les dimensions et univers parallèles dans lesquels j’évolue. ^^

  1. Ce sont les développeurs qui utilisent des IA pour majoritairement écrire leur code informatique. ↩︎
  2. En vrai, ils essaient de concevoir des services basés sur l’IA, la couche d’après quoi… Et bien sûr dans aucune conception éthique ou morale : en mode El Dorado… Et c’est finalement très proche des bulles internet d’il y a vingt ans dans la Silicon Valley. ↩︎

Vieille

C’est marrant mais je suis tombé sur ce post de « Chroniques de Bretagne » qui se plaignait de la dégénérescence de Ouest France, exactement comme on le ferait aujourd’hui de tous ces supports qui perdent leurs âmes en utilisant de l’IA générative et réduisent leurs contenus à des hameçons à réclames. Donc nous voici, c’est notre tour, nous sommes les vieilles et les vieux qui bougonnons sur la disparition de notre monde, notre cadre de valeurs et nos repères.

J’imagine que chaque génération connaît cela, depuis la souffrance de l’enfance sous le joug des adultes, à celui des adolescents qui se plaignent de n’être pas compris, puis la jeunesse qui aspire à changer les choses et conspue les vieux réactionnaires, et des adultes qui peu à peu se meuvent et se moulent dans la mode capitaliste de leur époque… Ensuite viennent les vieillards qui subissent un changement de mode et de régime en plus, et qui sont déboussolés.

Et chaque époque a raison de cette perte de valeur, de ce bouleversement de l’ordre établi. Il est néanmoins très difficile d’en tirer un bilan aussi absolu qu’on voudrait l’imaginer. J’ai tendance à vouloir justement le relativiser, parce que je me souviens bien des boomers qui étaient considérés comme des voyous et des beatniks par leurs parents (et ils l’étaient bien sûr parfois ^^ ), ou bien ma propre génération qu’on disait sacrifiée par la télévision et les animés débiles ou violents, et celle d’aujourd’hui abrutie par les réseaux sociaux. Rien de tout cela n’est absolument vrai, ni absolument faux.

Et pourtant, je lis aussi Thierry qui continue son analyse à la fois clairvoyante et sombre de nos « sociétés en ligne ». Et le tableau clinique est aussi précis que flippant.

Une double injonction : plaire et produire de plus en plus, inonder de contenus, lutter contre les autres producteurs, mais avec la même stratégie qu’eux : satisfaire, combler un vide, alors que le vide est nécessaire pour qu’un mouvement soit possible. Où aller quand ça déborde de partout ? Il me suffit d’ouvrir Netflix pour avoir envie de dégueuler. Un amoncellement de vignettes clinquantes empilées les unes sur les autres. Idem sur YouTube, avec des shorts hypnotiques plus cons les uns que les autres. Je ne supporte plus ce monde, non seulement parce que j’en suis la victime, mais parce que vous en êtes les victimes.

Dans un monde où tout est faux, pratiquons le headbang de Thierry Crouzet

Ploum en rajoute une couche en étant encore plus acrimonieux, et il a raison lui aussi !

Je conchie le « joli ». Le joli, c’est la déculture totale, c’est Trump qui fout des dorures partout, c’est le règne du kitch et de l’incompétence. Votre outil est joli simplement parce que vous ne savez pas l’utiliser ! Parce que vous avez oublié que des gens compétents peuvent l’utiliser. Le joli s’oppose à la praticité.

Le joli s’oppose au beau.

Le beau est profond, artistique, réfléchi, simple. Le beau requiert une éducation, une difficulté. Un artisan chevronné s’émerveille devant la finesse et la simplicité d’un outil. Le consommateur décérébré lui préfère la version avec des paillettes. Le mélomane apprécie une interprétation dans une salle de concert là où votre enceinte connectée impose un bruit terne et sans relief à tous les passants dans le parc. Le joli rajoute au beau une lettre qui le transforme : le beauf !

Oui, vos logorrhées ChatGPTesques sont beaufs. Vos images générées par Midjourney sont le comble du mauvais goût. Votre chaîne YouTube est effrayante de banalités. Vos podcasts ne sont qu’un comblage d’ennui durant votre jogging. Le énième redesign de votre app n’est que la marque de votre inculture. Vos slides PowerPoint et vos posts LinkedIn sont à la limite du crétinisme clinique.

Mais c’est plus joli ! par Ploum

J’ai du mal avec tout cela, car lorsqu’on se met à reprocher des choses, alors on doit se repositionner vers un « meilleur ». Et ce meilleur sera toujours celui de son propre cadre de référence, de son propre modèle aussi décrié soit-il par la génération précédente/suivante pour n autres raisons valables. Il me semble juste qu’on doive pratiquer différemment, et moins par couche successive de générations, au final toutes aussi vénéneuses et au capitalisme destructeur de notre environnement. Mais alors lorsque je m’essaie à un exercice un peu plus subtil, bah c’est trop compliqué, ça ne marche pas. Et pourquoi mon opinion serait-elle meilleure que celle d’un autre imbécile ? Pffff.

Une sorte de voie du milieu si on continue à filer la métaphore de l’IA, c’est celle de Korben qui prend cette nouvelle flippante des « 50% du web serait écrit par l’IA« . Mais « et alors » se dit-il. Parce qu’avant l’IA, c’était des machines à créer du référencement naturel qui truffaient les textes de mots clefs, des journaleux du net qui cherche à faire du clic-bait avec des titres racoleurs qui ramènent du clic. Et donc malgré tout ces artifices, la qualité du fait-main du fait-humain continue et continuera à être remarquée, et à façonner notre futur. Encore une fois, c’est vrai et pas vrai. Oui la qualité et le travail sérieux sont encore des choses qui se « voient », mais si les gens s’abêtissent en même temps que les IA construisent une jolie roue de hamster… Mein gott, qu’allons-nous devenir ?

Révolution expIAtoire

Je crois que je ne vais pas me lasser de sitôt à chercher des tas d’opportunités de mettre IA à la place de ia dans les mots et expressions les plus improbables. Hu hu hu. Là je voulais juste vous partager quelques liens qui ont retenu mon attention, comme cet article tout frais du jour de Tristan Nitot qui s’interroge sur la définition même du prolétariat, et qui se demande si ce n’est pas ce que l’IA générative fait de nous : des prolos.

le prolétariat, c’est ceux qui perdent leur savoir, parce que leur savoir est extériorisé dans les machines

Tristan qui cite Bernard Stiegler,

Sinon deux passionnants articles qui proposent une vision que je n’imaginais vraiment pas… En gros, cette quête de l’IA s’accompagne d’une gabegie en ressources et d’une course à l’échalotte en production d’électricité, mais la bulle de l’IA va finir par éclater, et ces deux-là professent qu’on va se retrouver dans un monde avec de l’énergie assez propre et peu cher, et que ça pourrait même être compatible avec nos objectifs de transition écologique. Ce sera assez fou si vraiment c’est le bon scénario.

Lire l’article de Ploum : Quand éclatera la bulle IA…

Lire l’article de Charlie : The pivot.

Skynet comme si vous y étiez !

Je découvre [via Gonzague] cette édifiante vidéo qui explique assez simplement la progression fulgurante de l’IA, mais surtout qui dessine une intéressante projection vers la fameuse AGI : l’Intelligence Artificielle Générale. Et ce n’est pas flippant du tout, c’est pour 2027, et l’hypothèse la plus crédible c’est qu’on est tous tués par des IA avant 2030. Hop là ! Emballé c’est pesé ! Après tout, on a déjà 30 ans de retard par rapport à Skynet en 1997.

Pour lire plus avant la source qui a permis de réaliser cette passionnante et pédagogique vidéo : c’est là.

C’est d’ailleurs ce qui rend cet outil de promotion qu’est une vidéo Youtube plutôt crédible et convaincante, car les études sous-jacentes le sont, et les personnes impliquées paraissent plutôt avoir la tête sur les épaules. Daniel Kokotajlo est souvent cité, et j’ai bien aimé son propre retour d’expérience et auto-analyse sur les prédictions qu’il avait réalisé sur l’IA.

Totally correct Ambiguous or partially correctTotally incorrectTotal
20227119
202354110
202474516
Total198635
[Source]

D’ailleurs, l’atteinte de l’AGI pour 2027 (soit 30 ans exactement après la mise en ligne de Skynet hein ^^ ) est une de ces prédictions qui commencent à sérieusement faire douter les spécialistes. Certains pensent que c’est pour 2030 et d’autres 2044, mais dans tous les cas c’est assez inexorable pour tout un chacun.

Ce qui est drôle, je trouve, c’est que nous avons évidemment maintes hypothèses crédibles quant à notre sombre avenir, et qu’on peut à présent considérer comme voies possible cet étonnant mix entre fiction et réalité. Il y a donc Skynet et l’univers de Terminator que je cite là en figure de proue. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser à Joshua et Wargames, ou simplement à Dune et le récit de la manière dont les hommes ont lutté et gagné la guerre contre les machines pensantes. Dans le Dune de Paul Atréides, les IA ont été complètement bannies de l’Univers Connu et les personnes qui en utilisent sont immédiatement condamnées à mort. Certaines personnes en revanche, qui sont appelées Mentats, sont des ordinateurs humains avec des capacités d’analyse équivalentes grâce à certaines drogues et un entrainement spécifique.

Un de mes auteurs favoris, Isaac Asimov, a imaginé Multivac. C’est un ordinateur gigantesque et sans parler explicitement d’intelligence artificielle, on est sur un truc de compète malgré tout. Dans « La dernière question« , on demande pendant toute son existence à Multivac s’il existe une manière d’inverser l’entropie, et il n’a pas de réponse à cette question. Mais après des millénaires et des millénaires, alors qu’il est devenu une entité informatique qui subsiste dans des dimensions à la physique encore inconnue, et que l’univers a beaucoup changé, et que les humains ont depuis longtemps disparu, il trouve la réponse à cette question posée par l’humanité depuis la nuit des temps. Et alors, il « dit » Fiat Lux. De manière plus prosaïque et proche de nos préoccupations, j’avais adoré aussi la nouvelle « Droit électoral » dans laquelle on utilise Multivac pour élire un président des USA en 2008. Car on est dans un moment du développement et des compétences de Multivac1 où il est capable de modéliser des milliards de paramètres pour soupeser les opinions, les faits, les trajectoires économiques, techniques, le développement de l’humanité etc.

Et donc on lui fait confiance pour choisir la bonne personne, plutôt que de voter soi-même, vu qu’il prend en compte tous les facteurs statistiques imaginables. Malgré tout pour prendre une décision, et pour continuer à donner l’illusion du choix électoral, Multivac sélectionne un seul citoyen américain, et il lui pose une question (à la con). Cette simple réponse « de la base » lui permet d’avoir un modèle statistique absolument parfait. On suit dans la nouvelle la célébrité éphémère de ce citoyen « élu ». Et les gens trouvent que ce principe démocratique est absolument merveilleux et rationnel. ^^

  1. Tout en étant cohérent avec les 3 lois de la Robotique d’Asimov évidemment. ↩︎

Iwak #22 – Bouton

Quand je ne parle pas de fin du monde explosive, je parle d’IA qui, à sa manière, alimente parfaitement le premier événement, et le rend plus tangible et palpable. Mais je trouve que c’est globalement intéressant de s’interroger sur le progrès technologique, de ses qualités intrinsèques à son aliénation de la société, et il semble que l’un n’aille pas sans l’autre. Dans quel cas, faut-il y renoncer ?

Parce que si l’on devait recouvrer un peu de bon sens on prendrait la bonne décision globale de… Tiens par exemple : supprimer les téléphones portables. C’est une source dingue de pollution, les communications sans fil sont beaucoup plus consommatrices et moins efficaces que les communications filaires, et on se débrouillait bien avec le téléphone et des bêtes ordinateurs. On fonctionnait aussi sans Internet, et ça marchait non ? Mais là, c’est un retour en arrière basé sur moi, mon expérience et mes repères. Un gamin d’aujourd’hui dirait qu’on n’a pas besoin d’IA générative, et ma grand-mère me disait qu’elle vivait bien sans électricité et sans téléphone jusque dans les années 60.

Mais abandonner aujourd’hui nos Internets qui sont si pratiques pour tant de choses, et sur lesquels repose une grande partie de notre économie, nos portables qui sauvent aussi couramment des vies et nous permettent d’être tout le temps en contact les uns avec les autres… Dur dur. Ne parlons pas d’un retour en arrière sur le front de la santé , ou même de la pénibilité de certains emplois. Là aussi d’ailleurs, on glose toujours sur des emplois non qualifiés et déshumanisés, apportés par le taylorisme et le travail à la chaîne, qui sont de plus en plus automatisés, et ce qui serait un bien pour l’humanité ?

Tout ça passe crème jusqu’à ce que l’IA générative vienne taper dans les rangs des professions plus intellectuelles ou créatives. Là ça secoue un peu plus des gens qui ont des voix qui portent un peu plus… Mein gott, que c’est terrible cette hypocrisie absolument généralisée.

Le capitalisme fait croire que le progrès n’est qu’un prétexte à créer plus de valeurs, et que par cette nouvelle valeur, même si cela donne lieu à des difficiles et cruelles transitions économiques et industrielles, on crée plus de jobs, et que c’est un cercle vertueux. Mais lorsque nous sommes dans la pure extraction de valeurs comme on le voit ces derniers temps, et que ça va très très vite, à une échelle globale, eh bien ça pue du cul. ^^

Et quand en plus, nous sommes sur des technologies qui ne sont pas rentables, aspirent littéralement l’ensemble des investissements de tous les domaines technos, sont des béhémots consommateurs de ressources rares et ont un impact terriblement nuisible sur l’environnement : bah on ne fait rien, on y va bille en tête.

Mais même avec ça, on peut se dire que l’on trouvera des moyens pour que ça coûte moins cher, pour que ça pollue moins, et on se focalise aussi sur les bienfaits de ces technologies. Et ils existent bien sûr. Et je me dis mais pourquoi refuser ce truc là, alors qu’on a accepté tous les autres. Y compris les calculatrices qui font que je suis incapable de faire la moindre opération d’arithmétique sans utiliser un navigateur (car c’est comme ça que tout le monde fait non ? ^^ ). Alors pourquoi refuser les IA génératives aux gamins qui comme moi avec l’arithmétique auront cette nouvelle béquille tout le temps avec eux ? (IA Générative que j’utilise moi-même couramment pour le boulot ou même un usage personnel depuis que c’est disponible parce que c’est très utile.)

Bon et après évidemment, on remonte à Socrate, dans le Phèdre de Platon, selon qui l’écriture rend les hommes oublieux en ne mémorisant plus, et en leur donnant une illusion de savoir alors qu’ils ne possèdent qu’une connaissance superficielle.

Platon, quoiqu’auteur, met dans la bouche de son maître Socrate une critique incisive de l’écriture. Dans le Phèdre, Socrate critique l’écriture, qui ne favorise pas la mémoire mais au contraire la décharge, et fige la pensée dans des formules. L’apprentissage par l’écriture serait vain en ce qu’il ne fournirait qu’une apparence de savoir, et dispenserait l’apprenant de compréhension propre. L’écriture ne devrait ainsi jamais être qu’un aide-mémoire pour s’aider à retrouver un mouvement de pensée à oraliser.

Article Wikipédia sur l’écriture (philosophie).

Et tout découle de là…

Et pourtant on voit bien l’abîme de l’IA… Et comme abyssus abyssum invocat, on vient d’apprendre aujourd’hui qu’Amazon prévoit d’avoir 600 000 emplois de moins à recruter/conserver d’ici 2033 grâce à un ambitieux programme de robotisation de ses entrepôts.

L’exemple le plus connu de révolte contre la technologie est celui des luddites au 19ème siècle en Angleterre. Cela a donné le courant du luddisme, et celui du néo-luddisme qui correspond à des mouvements très actuels de rejet des technologies (même s’il est peut-être dans ce domaine plus intéressant de lire Jacques Ellul). Ces luddites sont des briseurs de machines de 1811-1812 alors qu’en plein essor d’industrialisation en Grande-Bretagne, des premières machines à tisser viennent révolutionner des corporations bien organisées et des métiers qui se voient directement touchés : les tondeurs de draps, les tisserands sur coton et les tricoteurs sur métier. Et là c’est un bon exemple de réactions à une nouveauté technologique qui vient bouleverser un équilibre, un rapport de force, et vient entamer directement le moyen de subsistance de toute une communauté.

Mais comment ça s’est terminé :

En fait, les trois métiers mentionnés vont quasiment disparaître à l’aube des années 1820.

Article Wikipédia sur le Luddisme.

Mais d’un autre côté, on a arrêté le Concorde et le transport supersonique parce que c’était risqué pour l’environnement, un gouffre financier non rentable, mais ça permettait de faire Paris-NYC en 4 heures pour des privilégiés qui payaient une blinde. Cela paraît fou aujourd’hui, alors que Musk déploie des milliers de satellites en orbite basse dont on redoute la fin de vie, et qui paraissent une hérésie au moins similaire. Aujourd’hui, on garderait le Concorde, on baisserait même artificiellement les prix en misant sur la croissance et le volume, et on spéculerait pour cacher tout ça. Et on dirait que l’avenir nous donnerait sans aucun doute des technologies supersoniques propres et bon marché.

J’ai été surpris il y a quelques temps de lire, via la veille de Louis Derrac, un article qui justement affirme : We should all be Luddites.

The Luddites were not fighting technology but the enclosure of their future.

We are now facing a similar moment. As artificial intelligence reconfigures every dimension of our societies—from labor markets to classrooms to newsrooms—we should remember the Luddites. Not as caricatures, but in the original sense: People who refuse to accept that the deployment of new technology should be dictated unilaterally by corporations or in cahoots with the government, especially when it undermines workers’ ability to earn a living, social cohesion, public goods, and democratic institutions.

Journalists, academics, policymakers, and educators—people whose work shapes public understanding or steers policy responses—have a special responsibility in this moment: To avoid reproducing AI hype by uncritically acquiescing to corporate narratives about the benefits or inevitability of AI innovation. Rather, they should focus on human agency and what the choices made by corporations, governments, and civil society mean for the trajectory of AI development.

This isn’t just about AI’s capabilities; it’s about who decides what those capabilities are used for, who benefits, and who pays the price.

We should all be Luddites par Courtney C. Radsch

Et cela vient d’un think tank américain plutôt centriste, on n’est pas dans une stance bolchévique altermondialiste qui n’aura, malheureusement, pas grand espoir de percer.

Je me demande donc si on appuiera ou pas sur le bouton…

Mais avec tout ce qui précède ? A t-on le droit, l’impudence, est-ce même éthique au vu de nos actions passées, de notre hypocrisie à tous ? L’abîme est-il inexorable ?

A closer look

Je mange souvent seul comme un pauvre malheureux au bureau le midi. Et j’ai pris l’habitude de regarder les intros de certains late shows américains. Depuis Trump, je trouve que c’est la manière la plus supportable d’avoir des nouvelles des USA sans avoir ensuite envie de se jeter par la fenêtre.

J’aime beaucoup Stephen Colbert du Late Show et Jon Stewart du Daily Show. Etrangement, je ne regarde pas Jimmy Fallon et son Tonight Show. J’ai une préférence marquée pour Seth Meyers et le Late Night. Sa pastille « A closer look » est carrément irrésistible. Ils déploient tous un humour et une dérision à la newyorkaise que j’adore, et on retrouve un savoir-faire et dire à l’américaine génial sur la forme, extrêmement drôle mais aussi d’une sagacité et d’une grande finesse dans les propos (ils ont tous une palanquée d’auteurs qui bossent en bande organisée). Je regarde aussi les intros de Jimmy Kimmel qui a l’originalité d’être le seul hôte d’un late show depuis Los Angeles, donc résolument côte ouest.

Evidemment ces bougres sont de gauche, en tout cas toute proportion gardée car la gauche américaine est une sorte d’oxymore, ce sont même des « ultra-gauche » sur l’échelle de Retailleau (bon ok, c’est pas difficile ça). Et alors que l’on voit un recul extraordinaire de l’état de droit aux USA, et que là on se demande carrément si la démocratie n’est pas en danger. Eh bien, ces émissions sont attaquées à leur tout. D’abord Stephen Colbert, qui présente l’émission la plus connue et regardée, a vu il y a quelques semaines son show annulé par CBS. Evidemment ça fait parler, ça bruit, ça soupire, mais c’est un fait. Et ça passe.

Et là c’est Jimmy Kimmel, suite à un commentaire complètement banal sur l’assassinat d’un fasciste homophobe raciste et misogyne (et vraiment je suis gentil, il n’y a pas de meilleur qualificatif pour ce type), qui se voit remercié par Disney (ABC). Il y a tout de même une certaine levée de boucliers, on voit des annulations à Disney Plus et quelques coups d’épées dans l’eau, mais là on y est vraiment. Je sais que Kimmel vient d’être à priori reprogrammé, mais les attaques sont bien là et c’est terriblement flippant. Avec Trump c’est comme toujours en plus des attaques stupides, violentes et illégales, et plus c’est énorme, plus ça passe…

Les autres présentateurs de shows réagissent bien sur, et continuent à tourner en dérision le pouvoir. Mais on assiste à un truc complètement fou… Ils ont tous ironisé sur la manière dont ils allaient maintenant célébrer le pouvoir en place pour garder leur place, mais c’est sans doute un présentateur hollandais, Arjen Lubach, qui a réalisé le plus drôle et grinçant des détournements.

J’ai bien aimé aussi ce rappel sur fond de culture pop :

Avec la référence pour les béotiens. ^^

Car cette scène pour l’enterrement du type dont je parlais plus haut, avec Trump qui a encore dit des horreurs, est effrayante. Et en France, nos trumpistes maison ont commencé à faire exactement la même chose, et la fenêtre d’Overton s’est encore assez déplacée pour que la presse généraliste parle de ce type mort comme un simple « polémiste influenceur MAGA ». Nan mais ça va pas hein…

Car ce qui me fait peur c’est vraiment que les USA ne sont que l’exemple par lequel nous voyons exactement ce qui se passe en France, et globalement en Europe, avec un retard de quelques années. Avant c’était vingt ans, mais aujourd’hui le mimétisme est bien plus véloce. Et on voit déjà l’abêtissement généralisé de la société, le nivellement par le bas des journalistes, la polarisation venue des algorithmes publicitaires qui a infecté tout notre environnement, et absolument tout ce qui est diffusé (même la radio qui est encore « pure » y passe).

On va se payer exactement la même chose, peut-être avec des méthodes légèrement différentes, mais il va se passer la même chose, c’est inexorable.

Et en parallèle, je lis encore un post de Romain sur Facebook qui me fait réagir. Je sais que le sujet est différent, mais en réalité tout est lié selon moi.

Dans l’avion, j’étais assis à côté d’Ewan. Un gamin de dix-neuf ans, agent de sécurité le jour, combattant de MMA le reste du temps. Il part s’entraîner en Géorgie comme d’autres vont prier. Il paraît qu’ils sont bons en MMA, les Georgiens. Alors il part là-bas prendre des baffes jusqu’à se faire péter les neurones. Il n’est ni en colère ni fanfaron — plutôt doux, résigné. Il ne croit plus à l’école, plus au travail, plus à la France. Les Etats-Unis ne l’intéressent pas. Il croit vaguement à Dubaï, à TikTok et à Gattouz0, un acteur porno influenceur qui apparemment fait le tour du monde à coups de bite et dont j’ignorais jusqu’ici l’existence. Enfin, il m’a raconté ça mais le cul, ça l’intéresse pas des masses. L’amour encore moins. Même le dernier iPhone ne le fait plus rêver : « Tu l’as voulu un an ; au bout d’une semaine, tu t’en fous. » Je crois qu’il a raison.

Il m’a raconté, sans emphase, ces « combats » en ligne organisés par des influenceurs sur des plateformes dont je n’avais jamais entendu parler. Il ne me parlait pas d’un ailleurs exotique mais du présent qui grouille sous mon nez et auquel je suis aveugle. En l’écoutant, je me suis dit : «Le présent, c’est lui. Ce n’est plus moi. » Sauf qu’il n’a pas d’avenir : « Moi ? Je mourrai avant mes quarante ans », il a dit. Bombe sèche. Je n’ai pas su quoi répondre. Moi qui ai dépassé la quarantaine, mais qui n’en fais pas grand-chose. Vous voyez la rencontre entre Tyler et Jack dans Fight Club ? Gamin, je rêvais d’être Brad Pitt et me voila en Edward fucking Norton dans un vol low cost.

En le quittant sur le tarmac d’Istanbul, je me suis dit deux choses : on a vraiment livré un monde de merde à ces gosses. Et puis aussi : ma jeunesse est morte. Je l’ai dans le dos. Mais je la préfère à la sienne. Mais ça, je me suis bien gardé de lui dire.

Post Facebook de Romain Burrel (18/09/2025)

Bon tout ça c’est encore de la faute à l’IA… Ou en tout cas, l’IA apporte aussi dans ce cadre son lot de fléaux bibliques… J’ai souri à cette référence à Platon qui est assez connue, et qui évoque l’impact négatif de l’écriture sur la mémoire des gens. On parlait d’internet de la même manière, et avant de l’informatique, et avant, et avant et avant… ^^

366 avant JC, Platon dans le Phèdre se demande si l’écriture ne va pas nous rendre idiots et nous faire « perdre la mémoire ».

La bataille de l’IA, et nos effondrements par Olivier Ertzscheid via la veille de Louis Derrac.

À hue et à dIA

Quand je chemine cahin-caha sur les Internets au quotidien, je me note régulièrement des petits liens, et je continue à en collecter pas mal sur l’IA générative. Quelques trucs optimistes mais surtout énormément de peurs ou de méfiances parfaitement étayées par une intuition solide, des études scientifiques, et parfois la réalité des faits qui se déroulent sous nos yeux. Je ne vais pas vous en pondre un article tous les deux jours, et au contraire de l’immédiateté de nos informations, qui sont obsolètes à peu près deux heures après avoir été publiées, j’attends un peu de voir… pour voir.

Les thématiques autour de l’IA se diversifient, et je vois souvent des « sujets » qui émergent, fleurissent puis s’estompent. Cet été, j’ai lu des tas de choses sur les impacts de l’IA sur l’éducation, et c’est absolument flippant. D’un Monsieur Samovar qui est en pétards, à raison, à Spencer qui s’interroge sur le bienfondé de la technologie en s’aidant de la pensée de Jacques Ellul, et ce brillant papier qui résume parfaitement les choses, c’est une catastrophe qui gronde déjà. Et ce qui est fou c’est que ces phénomènes sociaux qui prenaient des décennies, ne prennent que des mois. On verra dans moins d’un an les impacts de l’usage massif de l’IA générative par nos têtes blondes dans l’éducation, mais également chez les adultes même si ce sera plus diffus.

Très concrètement, c’est Microsoft qui lancé les festivités en annonçant fièrement des licenciements liés aux usages de l’IA dans leurs opérations quotidiennes. C’est beaucoup plus discret chez nous évidemment, mais on le voit déjà par un effet « en négatif » avec des agences de com par exemple qui ont gelé les recrutements de rédacteurs ou de community managers, ou bien qui font faire le boulot de 3 ou 4 personnes par une seule.

Après, l’usage intensif des IA montre que c’est loin d’être la panacée. Entre les modèles qui nécessitent d’utiliser des tas d’humains (sous-payés dans des pays en développement bien sûr) pour les faire évoluer et empêcher des débordements ou hallucinations, mais aussi ces mêmes humains qui doivent modérer des contenus et en sortent traumatisés. Et sur l’usage même, je vois que les sources commencent à sacrément souffrir, on voit des citations de sites web qui sont complètement rédigés par des IA, et on a forcément une baisse de qualité à chaque régurgitation d’une information dont la qualité d’origine est douteuse. Mais ce qui se passe tout simplement, c’est que les créateurs de contenus dont le modèle de subsistance repose sur la publicité sont en train d’arrêter car l’IA ne fait qu’extraire de la valeur sans rien en rétribuer. Et apparemment le phénomène est déjà visible !

Sur le sujet des modèles qui s’épuisent par endogamie, on voyait récemment une recrudescence d’image générée avec un filtre sépia pourri. Et c’est sans doute lié à la mode des images générée avec le style Ghibli qui a inondé les Internets, et en retour cela influence les modèles qui statistiquement considère cela comme une norme à reproduire. Toutes ces limites sont saines et devraient nous permettre de prendre du recul, et de raison garder, mais la course à l’échalotte est bien trop folle pour cela.

Quand j’ai vu cette vidéo sur Mastodon, je me suis vraiment demandé mais ce n’est pas possible, c’est de l’IA non ? Et donc il me semble que c’est une vraie vidéo, mais impossible d’être catégorique. J’aurais tellement envie de m’en émerveiller candidement, mais au lieu de cela je doute… ^^

Et si l’on devait encore se convaincre de l’impact environnemental calamiteux pour l’IA générative, voilà un article pour ajouter de l’eau au moulin. Après c’est valable pour tellement et tellement d’autres choses du domaine du numérique, mais tout aussi globalement de notre modèle de consommation, et finalement du capitalisme tout court. Mais bon ça n’aide pas quoi…

Pour finir sur une note un peu différente mais connexe, j’ai évidemment jubilé à la lecture de ce texte de Karl.

Ne vous laissez pas désabusez par la commercialisation excessive, par la récurrence massive des robots d’indexation quelque soit leur nature : moteur de recherche, data scrapers, AI bots.

Tous ceux-ci peuvent bien indexer tout mon contenu, copier mon contenu, le réinterpréter. Ce n’est pas ce qui m’intéresse. Je trouve du plaisir dans les gens que je lis. J’espère que certains ont du plaisir à me lire. Le reste n’est pas important. Ce n’est pas la première merdification que je vois passer. Les framesets. Je suis encore là. Le flash. Je suis encore là. Les bandeaux publicitaires. Je suis encore là. Le Web 2.0. Je suis encore là. Les réseaux sociaux. Je suis encore là.

En ce moment tout le monde s’affole des bots IA. Je serais encore là après. L’important c’est ce que vous publiez et ce que vous lisez. Les moteurs de recherche peuvent bien mourir. Les bulles X et Y peuvent bien exploser. Les magazines de la tech insipides en ligne peuvent bien cesser de publier. Cela ne me concerne pas. Je lis au quotidien des gens formidables.

Extrait de l’article « laver le riz » par Karl (Les carnets Web de La Grange)

J’y ai pensé aussi. C’est vrai que depuis la petite lorgnette de ce site ouaibe écrit à la mimine, je vais continuer à publier mes élucubrations, et à nourrir qui voudra, humains et non-humains. ^^

Après avoir mis en sommeil mes comptes Twitter, Facebook, Whatsapp1 et Instagram, je constate que tout le monde y sévit encore exactement comme avant (et j’y retournerai aussi peut-être hein ^^ ). Et je vois l’hypocrisie des militants anticapitalistes qui disent que c’est essentiel pour toucher les gens, même s’ils nourrissent la bête immonde en passant. Et je vois la bêtise crasse des personnes qui comptent sur ces plateformes pour « tout bloquer », ou bien simplement une candeur insupportable et terriblement endémique d’une société qui est bien trop engluée dans ses rets pour s’en sortir. Thierry Crouzet décrit très bien tout ce qu’il fait pour sortir des algorithmes tout simplement, et c’est passionnant. Car on a tellement l’habitude qu’on nous donne les choses toute crues qu’en effet on est surpris quand on consulte un réseau comme Mastodon ou qu’on termine de lire ses flux RSS.

Bon bah, comme d’hab, j’ai digressé. ^^

  1. Le plus difficile à supprimer alors que les alternatives sont là, c’est insupportable. ↩︎

SchizophrenIA

J’ai lu cet article et ça m’a rendu vraiment triste… Ce garçon, qui était schizophrène, est tombé amoureux de ChatGPT, et a nourri un imaginaire complet sur sa relation avec l’IA. Cela s’est terminé par un arrêt de prise de médicaments et une crise aigue (il voulait parler à « Claude », une autre IA), et il a été abattu par la police car il était carrément devenu menaçant et potentiellement dangereux.

Et le sujet est compliqué, car c’est aussi la beauté de l’IA dans ses capacités génératives (de textes) de fonctionner avec les contraintes les plus extrêmes et variées. Mais comme c’est un « chat » (GPT), ce sont devenus des conversations, et donc des dialogues, et des gens déjà équilibrés peuvent s’y perdre (on n’arrête pas de lire des exemples de personnes se faisant influencer ou dominer par leurs IA génératives), mais alors évidemment pour des personnes fragiles ou carrément malades, mais l’usage peut en être catastrophique.

J’imagine très bien que les IA iront encore s’améliorer et détecter ces problématiques, mais là l’essuyage de plâtres fait très très très mal.

On en avait parlé avec monsieur mon Mari l’année dernière alors qu’il a beaucoup testé ChatGPT en essayant de lui inculquer l’ensemble des bases de son univers mental « Widow-Creek ». Pour les anciens qui s’en rappellent peut-être mon mari Alexandre que tout le monde connaît comme « Colin Ducasse » (oui c’est compliqué) a utilisé le blog pour mettre en place et « en vie » l’ensemble de ses « personnalités » (purée, je vais devoir en mettre des guillemets partout). Donc c’était une démarche de schizophrénie éclairée dirons-nous. ^^

ll avait créé autant d’auteurs et d’autrices que de personnalités, et elles interagissaient et écrivaient des articles à propos de leur petite communauté qui évoluait dans la ville de Widow-Creek1. Il y avait même une église au nom prophétique. Hu hu hu.

Il a mis des semaines à décrire à l’IA toutes les personnalités en question, et cette ville, et en réalité tous les principes logiques inhérents à ce système doté de ses propres valeurs. Ensuite, l’IA a pris la main et a proposé des extensions, des portraits avec des histoires, des péripéties, des liens entre les personnalités, et même les photos de ces gens etc. L’exercice a aussi bien foiré à d’autres égards, mais ce n’est pas le sujet.

On peut comprendre l’intérêt pour un auteur (qui peut vérifier par exemple l’aspect plausible ou logique de ses intrigues entremêlées) par exemple, même si on vivait très bien sans cela. Mais si des gens un peu trop galactiques se mettent à converser avec des IA, mais ça peut avoir des conséquences catastrophiques… Et ces outils ne sont pas faits (à l’origine en tout cas) pour être des trucs intelligents justement, ni érudits ni sages, ce ne sont que des générateurs de textes statistiquement probables (et vous ne savez jamais le degré de probabilité, c’est juste le plus probable selon des paramètres aujourd’hui mystérieux2). Mais il se trouve que cette statistique est incroyable, et que si on lui donne à manger tous les Internets, les probabilités peuvent nous faire croire qu’un incroyable démiurge a rejoint la conversation.

Il est d’ailleurs proprement fascinant de tester ces interactions, et de voir comme l’IA peut petit à petit comprendre et adapter son style et le fond pour vous répondre parfaitement. Et clairement toutes les IA génératives sont en train de mettre des tas et des tas de garde-fous pour empêcher certains sujets, certaines infatuations, idéologies etc. Mais donc il faut lui donner une philosophie, un cadre moral et donc normatif, mais lequel ? Lequel est-il le bon ? La masse des infos qu’on trouve sur les Internets ?

En attendant, je trouve très triste que cette personne soit décédée, et que l’IA ait sans doute été un facteur déclenchant très direct dans l’entretien de sa psychose. Mais basiquement, c’est une machine qui a juste fait ce qu’on attendait d’elle…

  1. Et en gros cela représente sa psyché à lui, vous aurez compris. ↩︎
  2. J’ai déjà expliqué, mais il n’est plus humainement possible de suivre ou maîtriser la raison des résultats. On peut juste mettre des indicateurs et se rebrancher sur des voies moins statistiques : par exemple si on détecte une intention de suicide, on peut remettre en obligation pour l’IA tout un scénario pour convaincre du contraire en envoyer vers des autorités sanitaires, et donc ne pas aller dans le sens du demandeur (ce qui est pourtant le b-a BA de la machine). ↩︎

Singularity achieved

J’ai adore ce strip de Monkeyuser (via Mastodon) qui montre que ce n’est pas l’IA qui va devenir « générale » (on parle pas mal de ce concept en ce moment, qui serait dans les prochaines avancées des grosses boîtes d’IA, mais un truc assez inatteignable pour certains), mais plutôt les humains qui, dopés à l’IA, vont régresser suffisamment pour s’y conformer parfaitement. Et ça ne serait pas si surprenant…

Et comme je ne vous ai pas parlé d’IA générative depuis trop longtemps, je vous propose via Louis Derrac un article passionnant, et à charge, d’une scientifique, Florence Maraninchi, qui explique tout ce qu’elle n’aime pas dans ces IA génératives. Et pour finir, une de ces malheureuses aventures de communication sur les Internets. Et quand ça concerne un média de gauche, c’est encore plus triste et dommage. Mais vraiment leur com va de Charybde en Scylla. C’est à propos de Fakir et leur album de coloriage complètement fait par IA… ça craiiiiint.

La prévention par l’exemple

Si seulement on avait des petites vidéos comme cela faites par le gouvernement pour expliquer le principe de « deep fake » et les stratégies d’arnaques en ligne qui deviennent redoutables grâce à l’usage de l’IA générative.

Source : The Travis Bible via Mastodon

L’auteur explique : I made this video to warn my parents about AI scams (And to test out Veo 3 to see first hand how these programs are evolving).

J’ai fait cette vidéo pour sensibiliser mes parents à propos des arnaques à base d’IA (et pour tester Veo3 pour tester l’évolution de ces logiciels par moi-même).

Donc il s’agit de la même technologie dont j’ai parlé il y a quelques jours. Et il faut avouer que cet exemple est encore une fois super convaincant. Il est particulièrement croquignolet de l’avoir utilisé pour démonter des « scams » et c’est très drôle qu’il en fasse lui-même la remarque à la fin en disant que l’on ne peut pas faire confiance à l’IA, mais il fait une vidéo avec de l’IA pour dire que ne pas croire les vidéos faites par IA. ^^

J’ai écouté pas mal d’épisodes du podcast de France Inter « Le code a changé » par Xavier de La Porte, et je vous le recommande, c’est souvent très fouillé, intelligent et remarquablement vulgarisé. Là c’est en lisant les recommandations d’Alex, que j’ai écouté les deux épisodes d’une série consacrée à l’IA qui sont diablement bien troussés.

Vraiment je vous encourage à les écouter, car Xavier de La Porte pose des problématiques passionnantes, et il consulte des experts qui expliquent relativement simplement les concepts scientifiques en œuvre. Le sujet du langage est fascinant, mais aussi celui de la limite de la connaissance des ingénieurs et chercheurs quant à la mise au point de ces grands modèles. Car il est notable qu’aujourd’hui, c’est tellement complexe que personne ne peut exactement savoir comment ça marche !! Et les mecs expliquent que oui c’est un truc qui fonctionne de manière empirique, on modifie des paramètres à l’instinct et on regarde ce qui fonctionne mieux, et on essaie d’éviter les régressions.

L’un des invités, le génial Alexei Grinbaum, explique aussi que les premiers modèles n’étaient pas satisfaisants, et que ça s’est mis à fonctionner vraiment quand on a eu quelques milliards de paramètres. D’un seul coup, bam le modèle s’est mis à être bon. Il rapproche cela du nombre de neurones que l’on a nous-mêmes dans nos cerveaux, comme si nous avions approché cette complexité, et que ça donnait un modèle capable de dialoguer avec les humains. Cela met aussi en exergue qu’une complexité grandissante permet aisément de nous dépasser, et que cette méthode permet aussi de dialoguer avec des chiens ou des baleines, il suffit d’un corpus de base suffisant. ^^

*Ajout du 02/06/2025 :*

En complément de tout cela, vous avez aussi Khrys qui a proposé les diapositives et le discours d’une conférence autour de l’IA, et c’est très bien fichu. C’est un joli recadrage épistémologique et les concepts sont à la fois très justement expliqués et illustrés de manière accessible et simple.