Iwak #22 – Bouton

Quand je ne parle pas de fin du monde explosive, je parle d’IA qui, à sa manière, alimente parfaitement le premier événement, et le rend plus tangible et palpable. Mais je trouve que c’est globalement intéressant de s’interroger sur le progrès technologique, de ses qualités intrinsèques à son aliénation de la société, et il semble que l’un n’aille pas sans l’autre. Dans quel cas, faut-il y renoncer ?

Parce que si l’on devait recouvrer un peu de bon sens on prendrait la bonne décision globale de… Tiens par exemple : supprimer les téléphones portables. C’est une source dingue de pollution, les communications sans fil sont beaucoup plus consommatrices et moins efficaces que les communications filaires, et on se débrouillait bien avec le téléphone et des bêtes ordinateurs. On fonctionnait aussi sans Internet, et ça marchait non ? Mais là, c’est un retour en arrière basé sur moi, mon expérience et mes repères. Un gamin d’aujourd’hui dirait qu’on n’a pas besoin d’IA générative, et ma grand-mère me disait qu’elle vivait bien sans électricité et sans téléphone jusque dans les années 60.

Mais abandonner aujourd’hui nos Internets qui sont si pratiques pour tant de choses, et sur lesquels repose une grande partie de notre économie, nos portables qui sauvent aussi couramment des vies et nous permettent d’être tout le temps en contact les uns avec les autres… Dur dur. Ne parlons pas d’un retour en arrière sur le front de la santé , ou même de la pénibilité de certains emplois. Là aussi d’ailleurs, on glose toujours sur des emplois non qualifiés et déshumanisés, apportés par le taylorisme et le travail à la chaîne, qui sont de plus en plus automatisés, et ce qui serait un bien pour l’humanité ?

Tout ça passe crème jusqu’à ce que l’IA générative vienne taper dans les rangs des professions plus intellectuelles ou créatives. Là ça secoue un peu plus des gens qui ont des voix qui portent un peu plus… Mein gott, que c’est terrible cette hypocrisie absolument généralisée.

Le capitalisme fait croire que le progrès n’est qu’un prétexte à créer plus de valeurs, et que par cette nouvelle valeur, même si cela donne lieu à des difficiles et cruelles transitions économiques et industrielles, on crée plus de jobs, et que c’est un cercle vertueux. Mais lorsque nous sommes dans la pure extraction de valeurs comme on le voit ces derniers temps, et que ça va très très vite, à une échelle globale, eh bien ça pue du cul. ^^

Et quand en plus, nous sommes sur des technologies qui ne sont pas rentables, aspirent littéralement l’ensemble des investissements de tous les domaines technos, sont des béhémots consommateurs de ressources rares et ont un impact terriblement nuisible sur l’environnement : bah on ne fait rien, on y va bille en tête.

Mais même avec ça, on peut se dire que l’on trouvera des moyens pour que ça coûte moins cher, pour que ça pollue moins, et on se focalise aussi sur les bienfaits de ces technologies. Et ils existent bien sûr. Et je me dis mais pourquoi refuser ce truc là, alors qu’on a accepté tous les autres. Y compris les calculatrices qui font que je suis incapable de faire la moindre opération d’arithmétique sans utiliser un navigateur (car c’est comme ça que tout le monde fait non ? ^^ ). Alors pourquoi refuser les IA génératives aux gamins qui comme moi avec l’arithmétique auront cette nouvelle béquille tout le temps avec eux ? (IA Générative que j’utilise moi-même couramment pour le boulot ou même un usage personnel depuis que c’est disponible parce que c’est très utile.)

Bon et après évidemment, on remonte à Socrate, dans le Phèdre de Platon, selon qui l’écriture rend les hommes oublieux en ne mémorisant plus, et en leur donnant une illusion de savoir alors qu’ils ne possèdent qu’une connaissance superficielle.

Platon, quoiqu’auteur, met dans la bouche de son maître Socrate une critique incisive de l’écriture. Dans le Phèdre, Socrate critique l’écriture, qui ne favorise pas la mémoire mais au contraire la décharge, et fige la pensée dans des formules. L’apprentissage par l’écriture serait vain en ce qu’il ne fournirait qu’une apparence de savoir, et dispenserait l’apprenant de compréhension propre. L’écriture ne devrait ainsi jamais être qu’un aide-mémoire pour s’aider à retrouver un mouvement de pensée à oraliser.

Article Wikipédia sur l’écriture (philosophie).

Et tout découle de là…

Et pourtant on voit bien l’abîme de l’IA… Et comme abyssus abyssum invocat, on vient d’apprendre aujourd’hui qu’Amazon prévoit d’avoir 600 000 emplois de moins à recruter/conserver d’ici 2033 grâce à un ambitieux programme de robotisation de ses entrepôts.

L’exemple le plus connu de révolte contre la technologie est celui des luddites au 19ème siècle en Angleterre. Cela a donné le courant du luddisme, et celui du néo-luddisme qui correspond à des mouvements très actuels de rejet des technologies (même s’il est peut-être dans ce domaine plus intéressant de lire Jacques Ellul). Ces luddites sont des briseurs de machines de 1811-1812 alors qu’en plein essor d’industrialisation en Grande-Bretagne, des premières machines à tisser viennent révolutionner des corporations bien organisées et des métiers qui se voient directement touchés : les tondeurs de draps, les tisserands sur coton et les tricoteurs sur métier. Et là c’est un bon exemple de réactions à une nouveauté technologique qui vient bouleverser un équilibre, un rapport de force, et vient entamer directement le moyen de subsistance de toute une communauté.

Mais comment ça s’est terminé :

En fait, les trois métiers mentionnés vont quasiment disparaître à l’aube des années 1820.

Article Wikipédia sur le Luddisme.

Mais d’un autre côté, on a arrêté le Concorde et le transport supersonique parce que c’était risqué pour l’environnement, un gouffre financier non rentable, mais ça permettait de faire Paris-NYC en 4 heures pour des privilégiés qui payaient une blinde. Cela paraît fou aujourd’hui, alors que Musk déploie des milliers de satellites en orbite basse dont on redoute la fin de vie, et qui paraissent une hérésie au moins similaire. Aujourd’hui, on garderait le Concorde, on baisserait même artificiellement les prix en misant sur la croissance et le volume, et on spéculerait pour cacher tout ça. Et on dirait que l’avenir nous donnerait sans aucun doute des technologies supersoniques propres et bon marché.

J’ai été surpris il y a quelques temps de lire, via la veille de Louis Derrac, un article qui justement affirme : We should all be Luddites.

The Luddites were not fighting technology but the enclosure of their future.

We are now facing a similar moment. As artificial intelligence reconfigures every dimension of our societies—from labor markets to classrooms to newsrooms—we should remember the Luddites. Not as caricatures, but in the original sense: People who refuse to accept that the deployment of new technology should be dictated unilaterally by corporations or in cahoots with the government, especially when it undermines workers’ ability to earn a living, social cohesion, public goods, and democratic institutions.

Journalists, academics, policymakers, and educators—people whose work shapes public understanding or steers policy responses—have a special responsibility in this moment: To avoid reproducing AI hype by uncritically acquiescing to corporate narratives about the benefits or inevitability of AI innovation. Rather, they should focus on human agency and what the choices made by corporations, governments, and civil society mean for the trajectory of AI development.

This isn’t just about AI’s capabilities; it’s about who decides what those capabilities are used for, who benefits, and who pays the price.

We should all be Luddites par Courtney C. Radsch

Et cela vient d’un think tank américain plutôt centriste, on n’est pas dans une stance bolchévique altermondialiste qui n’aura, malheureusement, pas grand espoir de percer.

Je me demande donc si on appuiera ou pas sur le bouton…

Mais avec tout ce qui précède ? A t-on le droit, l’impudence, est-ce même éthique au vu de nos actions passées, de notre hypocrisie à tous ? L’abîme est-il inexorable ?

Iwak #21 – Explosion

Je vous serine avec la polarisation des opinions, mais elle se fait si croissante ces derniers temps, et c’est aussi clairement en l’observant aux USA, qui sont toujours le facteur grossissant fascinant de nos propres sociétés, que cela fait d’autant plus flipper. Car on voit le point de rupture advenir, on voit les populations se dresser les unes contre les autres, et on se demande mais quand est-ce que tout ça va péter ?

J’ai souri malgré tout quand ce week-end j’ai vu cette vidéo de Jon Stewart, qui est un des chroniqueurs du Daily Show que j’adore, qui lui-même se dresse contre cette simplification des discours à charge qu’il observe de manière complètement symétrique, et qui donc perdent forcément de leur substance. Car il met en boîte là en l’occurrence l’ensemble des éditorialistes de gauche1 qui s’insurge contre toutes les actions de Trump en criant au fascisme. Et en même temps, est-ce qu’on peut se taire ? C’est vraiment terrible ce positionnement qui nous amène à être forcément pour ou contre, ami ou ennemi, stupide ou intelligent, obtus ou éveillé, et contre toute nuance. C’est à peu près la critique que je formulais en filigrane ici.

Et pourtant il est facile pour moi de vivre ce même exercice de raison irréconciliable, lorsque je me dis oh bah Lecornu au moins il a le mérite de reprendre les choses de manière calme et ordonnée, et de paraître vouloir un certain consensus et un jeu démocratique dépassionné. Et puis tout de suite je me dis mais nooooon, ce ne sont que des raclures de bidet qui ne cherchent qu’à nous niquer plus profondément, qu’ils aillent donc manger leurs morts. ^^

Bon bah voilà hein, tous victimes, tous bourreaux, tous responsables en tout cas.

Je suis obnubilé par les articles que je lis qui font un rapprochement auquel j’ai du mal à croire entre notre situation et celle d’avant 1939. Que ce soit en Allemagne ou en France, on avait des médias avant-guerre également extrêmement politisés et polarisés, avec des stances de plus en plus violentes et manipulant aussi leurs lectorats. Et donc sommes-nous condamnés à rejouer cette partie là de l’histoire ?

J’ai souri également quand j’ai écouté ce podcast d’Avec Philosophie, que je cite régulièrement, dont le titre m’avait bien sûr donné envie : Simplisme, polarisation et pensée binaire dans le débat public actuel. Eh bien, autant j’avais trouvé que Géraldine s’était améliorée la dernière fois, autant là c’était une catastrophe. Le sujet était pourtant bien posé, et les contributeurs de qualité, mais c’est une émission inaudible et qui ne mène nul part. Grosse déception pour moi.

Aujourd’hui en revanche, Thierry Crouzet remet le couvert avec un article sublime à lire absolument. Il se demande concrètement comment rompre avec cette polarisation et la machine qui nous pousse à encore plus de soumission à ces algorithmes infernaux. Il est dans cette incohérence que nous vivons tous à vouloir se débarrasser des GAFA et des algorithmes, mais à avoir besoin d’audience et de vouloir continuer à jouir des interactions inhérentes aux Internets. Son discours et ses réflexions sont vraiment passionnantes et d’une belle clairvoyance.

Pour autant, je suis déboussolé : durant une vingtaine d’années, j’ai fait comme tout le monde. Ma prise de conscience, mon retrait, me place dans une position inconfortable. Je ne sais plus comment exister artistiquement. Peut-être la radicalité revient désormais à se taire, à se soustraire au brouhaha, à ne plus y contribuer. Et pourtant je publie encore un article, j’ajoute une pierre à l’édifice, mais j’évite de la jeter avec force dans l’océan pour provoquer des ondes qui en annonceront la publication.

Se soustraire au monde de Thierry Crouzet

Et je pense qu’il a raison, il faut apprendre à se taire, et à aimer ça, de nouveau. Mais c’est vraiment très très dur lorsqu’on est accroc. ^^ Il cite également un article à l’étrange synchronicité de JA Westenberg qui évoque exactement cela. Elle déploie une approche merveilleuse qui part carrément de la création de l’univers et décrit toute l’Histoire en quelques paragraphes2. Mais surtout, elle explique comme on est des petites crottes de rien, et c’est sooooo refreshing.

You are insignificant.
So am I.
So is everyone.
And that’s a good thing, because it means we can stop trying so hard to be significant and just focus on being alive, right now, in this improbable moment we’ve been given.
The universe doesn’t care about us, and that’s okay.
We can care about each other instead.

You Are Insignificant. That’s a Good Thing. par JA Westenberg
  1. Je simplifie à mort, car c’est une notion tellement singulière aux USA. ↩︎
  2. On dirait un peu le générique de Big Bang Theory mais à l’écrit. ↩︎

Iwak #20 – Rivaux

Il y a quelques temps mon chérichou a acheté des anciennes cartes postales de notre coin de Bretagne, et notamment du bourg de Clohars-Carnoët, du Pouldu et de Doëlan. Et donc on s’est amusé cet été à prendre en photo la version « aujourd’hui ». Il y a une centaine d’années entre les deux périodes, et évidemment la Bretagne d’il y a cent ans était particulièrement peu développée par rapport à aujourd’hui. Malgré tout, on reconnaît bien les bâtiments qui sont encore là aujourd’hui, avec des tas d’aménagements urbains qui n’existaient pas.

Donc d’abord du côté de Doëlan et son petit port de pêche de carte postale. Est-ce que c’était mieux avant ? ^^

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C’était vraiment impossible d’avoir la même focale que la photo, mais on avait bien retrouvé le muret et le pilier carré où les petites filles se tenaient. ^^

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Un petit tour à la mairie de Clohars-Carnoët et au bourg…

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Et une petite dernière depuis la forêt de Carnoët avec l’auberge de Toulfoën qui est toujours là. ^^

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Iwak #19 – Arctique

Nan mais tu parles Arctique, à quoi tu veux que je pense d’autre hein, franchement ? Bah oui quoi, moi les narvals j’en parle depuis les commencements des Internets, et j’étais le premier à en parler, même s’ils ont depuis bien gagné en popularité et notoriété mes petits amis cétacés du pôle nord.

Eh bien, je les aime toujours autant voyez-vous. Ces petites baleines qui vivent en groupes très sociaux, et qui sont très vocales, et qui ont une dent (presque tous les mecs, et quelques meufs) qui pousse énormément, et qui forme une véritable défense qui perce leur lèvre supérieure. Et cette dent inversée, car l’émail est au centre et la pulpe à l’extérieur, est encore un mystère, même si les études convergent sur des usages liés à la détection de salinité ou de formation de glace sur l’océan (un truc pratique pour ces habitants de ch’nord).

Iwak #18 – Accord / Deal

J’en prendrai pour un dollar ! Réplique culte du non moins culte film de 1987 de Paul Verhoeven : Robocop. J’ai vu (et revu et revu) ce film adolescent avec mes parents, et le plus génial aujourd’hui reste ce témoignage rétrofuturiste des publicités imaginées par le cinéaste1. Je suis resté également marqué par la météo en mode il n’y a plus de couche d’ozone et la pub pour une crème solaire absolument opaque et dégueulasse2 dans le second opus de Robocop.

Mais ce J’en prendrai pour un dollar ! est absolument entêtant et revient tout le long du film comme un slogan subliminal, alors que ça n’a aucun impact narratif. C’est simplement une émission débile absolument au ras des pâquerettes dont on ne sait que peu de choses, sinon qu’on voit un pauvre type à lunettes next door qui dit à des bonnes meufs sa phrase culte. Et que tout le monde se marre grassement. On comprend que c’est une sorte d’émission de téléréalité et de divertissement, et qu’il y a en plus cette idée de thune.

On voyait bien évidemment la ligne droite depuis les années de télévision à la sauce 80 avec des roues de la fortunes où on fait miroiter des biens de consommation à des pauvres, un mélange de coke, de putes et de thunes, avec un masculinisme bien toxique autour et dedans, des émissions de confessions plus ou moins criardes et putassières… L’idiocratie en tant que telle n’est pas encore là, mais on peut tout de même affirmer qu’elle est en bonne voie.

Je crois que ce qui me choque, et m’attriste, le plus dans notre société et qui est aussi pour moi en filigrane de ce personnage emblématique de Robocop, c’est que la consommation et le fait d’acheter sont vraiment devenus l’alpha et l’oméga de la réalisation des gens. Je n’en suis d’ailleurs pas le moindre des représentants, à mon corps défendant. Je le reconnais aisément. Mais cette conscience me paraît totalement annihilée par une exposition de valeurs morales qui ne gravitent qu’autour de ce « pouvoir d’achat ». Mais merde, c’est le pouvoir le vivre pour lequel on devrait se battre, pour les premiers étages de la pyramide de Maslow.

Au lieu de cela, on est en train de crever la gueule ouverte sous nos déchets, notre pollution, et l’usure à l’os de notre planète. Et cette implacable mécanique capitaliste (dont je suis parfaitement issu et reproducteur évidemment) est tellement consubstantielle de notre société, que toutes les strates doivent pouvoir consommer. Et donc les trucs de fast-fashion ou les magasins et sites sur lesquels tu peux acheter des babioles chinoises pour six sous sont les exutoires de toutes la société actuelle. Acheter, acheter, l’illusion d’une vie meilleure avec ce shoot de plus d’endorphines, équivalent à celui du scroll sur Instagram…

  1. Celles de Starship Troopers valent aussi leurs pesant de cacahouètes. ↩︎
  2. Et qui elle-même peut provoquer un cancer. ^^ ↩︎

Iwak #17 – Orné

Déjà adolescent lors de mon cours sur l’Islam au collège, j’avais été fasciné par ce terme : mudéjar. Cela traduisait le style du même nom qui consistait en un syncrétisme unique en son genre qui mêle des caractéristiques à la fois européenne (gothique et médiévale) et arabo-musulmane (du fait des royaumes qui composaient Al-Andalus entre 711 et 1492. Les ornements me tapaient dans l’œil parce que c’était terriblement moderne que ces jeux architecturaux et décoratifs qui n’étaient pas du tout figuratifs. On avait un langage visuel abstrait aussi universel que merveilleusement beau et lyrique.

Mudéjar correspond aussi à ces populations arabo-musulmanes résiduelles dans une péninsule ibérique reconquise (qui d’ailleurs écrivaient les langues romanes avec une graphie arabe : l’aljamiado). Mais elles furent assimilées ou expulsées avec plusieurs vagues soit de conversion (ce qui donne les Morisques) ou des édits qui les ont vraiment chassés de la région.

Mais il reste de merveilleux témoins de cette architecture en Andalousie. Je n’ai visité que Séville au printemps 2014, mais j’en garde un souvenir prégnant. C’était pendant la semaine Sainte et il a fallu s’habituer à ce genre d’accoutrements dans la rue…

Mais j’ai été grandement marqué par l’Alcazar de Séville et ses fameux jardins, et l’immense cathédrale qui est un véritable choc du Gothique tardif, tout étant résolument mudéjar avec son clocher qui est un ancien minaret superbe : la Giralda.

Mais les décors de l’Alcazar valent à eux seuls le détour, ces arabesques de pierre et bois sculptées, des azulejos aux couleurs flamaboyantes, ces espaces où l’eau, la nature et les décors intérieurs se croisent en toute harmonie, et les plafonds à caissons de toute beauté font de ce palais un espace qui défie absolument le temps. Ces styles décoratifs sont tellement universels qu’ils auraient encore largement leurs places dans des constructions contemporaines. C’est vraiment la magie du style mudéjar selon moi. Et c’est un bel exemple de fusion des talents et des goûts. ^^

Iwak #16 – Bourde

C’est un article facile, mais je voulais rappeler au monde à quel point je suis un gros naze du bricolage. Je dédicace cet article à Orphéus qui m’a toujours dit à quel point ça l’avait fait rigoler, et un peu halluciner aussi. Et donc voilà ce que j’ai accompli il y a 18 ans. ^^

Ce week-end, il a commencé à grave cailler sa mère, sa race. Et la porte de mon appartement étant un vrai gruyère, je sens un courant d’air sibérien quand je suis dans le salon. En plus des divers caoutchoucs pour isoler les huisseries, je me suis dit qu’une solution pragmatique et facile serait d’ajouter un rideau devant ma porte.

J’ai d’abord bien étudié la situation. Il ne fallait pas une tringle trop longue si je veux me caler en haut de la porte, car il y a un rebord. Je suis allé à mon magasin de bricolage le plus proche, et j’ai trouvé mon bonheur. Seulement en rentrant je constate que la tringle est trop longue (c’était la plus courte, mais elle mesure tout de même un mètre), et qu’elle tape contre le rebord. Zut ! Et d’un seul coup, je me demande bien pourquoi je voulais absolument poser cette tringle au-dessus de la porte. Quelle idée, il me suffit de la poser un peu plus bas, juste en dessous ce satané rebord. Et hop !!

Je chope mon marteau et mes clous, et j’applique ma classique technique du calage approximatif et précaire de tringle à rideaux. Une heure après, j’ai un beau rideau qui isole parfaitement ma porte (à l’aide de 54 clous), et dont la tringle court merveilleusement à dix centimètres en dessous du haut de la porte (et ne tombe presque pas). Fier comme Artaban, je range mes outils, et je vaque à mes occupations.

J’ai eu une révélation, plusieurs heures plus tard, quand le livreur de pizza a frappé. J’ai vu ça. (La photo au-dessus.)

Et j’ai compris. Ah oui j’ai un petit problème du coup. Forcément, c’était pour ça que je tenais tellement à poser la tringle au-dessus de la porte… Là, je ne peux plus ouvrir la porte, ou bien je défonce tout.

J’ai poussé un grand soupir de honte, de désolation et de désespoir pour l’humanité, et puis j’ai arraché mon bel ouvrage clouté. J’ai jeté mon rideau et mes attaches, et j’ai accueilli avec sourire et circonspection ma calzone.

Iwak #15 – En lambeaux

Ma tante m’avait prêté son vieil album de famille il y a quelques années pour que je puisse scanner tout un tas d’anciennes photos, car c’est elle qui avait récupéré les albums de mes grands-parents. C’est vraiment le genre de trucs qui se perdent dans les familles, et je suis très heureux d’avoir au moins pu numériser pas mal de contenus qui ont bien nourri mon imagination et ma généalogie.

J’ai pu comme cela me faire un grand album en ligne des photos des années 40 à 60 de mes grands-parents avec des clichés de mon père enfant qui sont vraiment cool pour moi (surtout avec notre ressemblance). Il y avait aussi des très anciennes photos assez abîmées, et plus singulier : une pochette mangée par les mites avec de vieux négatifs rayés (rangée entre deux pages vierges de l’album). Ce n’était pas des négatifs comme on a(vait) l’habitude, des bandelettes marronnasses trouillotées de manière régulière, mais des rectangles de celluloïde noir et blanc de 5 ou 6 centimètres de long, à l’image exacte des photos représentées. Par le plus grand des hasards, mon scanner qui date de Mathusalem (des années 2000 en tout cas) a cette antique fonction (en voie de disparition) permettant de scanner les négatifs.

C’est ainsi que j’ai pu découvrir des photos que personne ne connaissait dans ma famille. Certaines étaient dans l’album mais en piètre état, alors que là, malgré les rayures, ça a permis d’avoir des clichés de qualité numérique plutôt correcte.

La photo du haut fait exception car le négatif était vraiment abîmé, mais on se rend compte de la situation. C’est une photo juste avant guerre que mon grand-père a pris dans son village natal de Doucen en Algérie. Et ce sont des enfants de sa famille, ma famille donc. J’avais été assez choqué globalement par toutes les photos d’enfants qui sont dans l’ensemble loqueteux, dépenaillés, en guenilles en guise d’accoutrement, et qui paraissent au mieux vaguement enveloppés de bouts de tissus crasseux et informes, tous pieds nus. Et ces va-nu-pieds, littéralement donc, sont bien les miséreux qui sont mes ascendants, et la raison pour laquelle mon grand-père est venu à Paris en 1928.

Il disait juste qu’il avait faim, et que c’était pour cela qu’il avait quitté son village.

Iwak #14 – Tronc

J’ai réalisé avec étonnement que je n’avais jamais évoqué le film Freaks de Tod Browning dans le blog, alors que c’est un de mes films cultes. Ce film de 1932 qui est plutôt un moyen-métrage avec ses 64 minutes est un chef d’œuvre selon moi. Il a fait à a fois scandale et a été un bide pour le réalisateur (qui avait eu beaucoup de succès en 1931 pour son Dracula avec Bela Lugosi), et on a longtemps cru ce film perdu jusqu’à ce qu’on en retrouve les bobines dans les années 60, et qu’il soit redécouvert.

Je l’ai vu adolescent avec mes parents, surtout mon père qui voulait absolument nous le montrer. Et nous avions été fascinés par cette histoire, et en réalité très touchés par les comédiens et comédiennes qui étaient de vrais artistes de cirques mais aussi malheureusement ce qu’on peut appeler des bêtes de foire, puisqu’il faut bien se rappeler de l’exploitation qui était faite de ces personnes à l’époque dans les cirques. Le titre en français est bien explicite c’est la monstrueuse parade. Mais c’est fou de constater que tous ces artistes ont des pages wikipédia et sont de vraies personnalités « connues » de leur époque.

Parmi ceux-là, l’homme tronc m’avait hyper impressionné. Il s’agit de Prince Randian (1871-1934) qui venait de l’ancienne Guyane britannique, et était atteint d’une maladie génétique très rare faisant qu’il était né sans bras ni jambe. Et l’impression très forte vient de cette scène fameuse où cet homme se roule et s’allume une cigarette en toute autonomie.

Ce que j’aime dans le film, c’est que les Freaks sont les héros, un peu comme King Kong est à la fois le monstre et le héros (et je parle bien du film de 1933 qui est également culte pour moi). Le parti pris est très clair dans ce film, dans le fait de montrer un monstre qui est aussi une victime, et dont on voyait bien qu’il n’était pas un monstre (notamment avec Ann Darrow, l’héroïne), mais que l’ostracisme des humains poussait à bout. Comparaison n’est pas raison évidemment, et je ne fais qu’un lien très subliminal entre les deux films. Mais l’exposition des Freaks de Browning avec une communauté soudée et fière, avec la protection maternelle et touchante de Rose Dionne au début du film qui nous montre un bel accent français (le film se passe lors d’une tournée d’un cirque en France, et elle est une actrice américaine mais née à Dardilly près de Lyon) est à la fois frappante par la mise en exergue du handicap ou de la « curiosité » de ces personnes, mais finalement plutôt bienveillante.

Tandis que les méchants sont vraiment et très clairement méchants. Et donc c’est une logique et une philosophie à la Tarantino selon moi. Je te montre des méchants très méchants, et donc mes victimes tu vas les aimer, et tu vas supporter une vengeance impitoyable parce que c’est un prêté pour un rendu. Et même lorsque la monstrueuse parade se met en marche dans une scène parfaitement horrifique, encore aujourd’hui, on jubile en réalité pour ces héros. Et ce qu’il advient de la belle Cléopâtre est le cruel pied de nez qui frappe l’imagination (et qui fait comprendre pourquoi le film a été vraiment trop choquant pour l’époque).

Alors je sais que c’est casse-gueule au vu des considérations actuelles sur les handicaps et leurs visibilités et inclusion dans la société. Mais je trouve que le film, avec toute la relativité d’une œuvre de plus de 90 ans, reste très juste. Il est à la fois caricatural dans la représentation et les clichés véhiculés, mais en réalité il les démonte aussi dans un temps très proche. Il avait en tout cas produit sur l’adolescent que j’étais à la fois une gêne (qu’il ne faut pas nier), mais surtout une immense considération et affection pour ces personnages, et la conscience de l’importance de la communauté pour des minorités, quelles qu’elles soient.

Iwak #13 – Boire

C’est un vrai truc chez moi ce « je ne bois pas d’alcool », mais il est de plus en plus commun et donc de moins en moins ostracisant. Mais il l’a sacrément été par le passé, et reste encore aujourd’hui un marqueur social qui peut tendre à l’opprobre, ou au minimum à une certaine gêne, selon les contextes.

Au début ce n’est pas compliqué, je n’ai juste pas aimé le goût quand mes parents me faisaient boire une gorgée dans leur verre pour tester. Et donc je m’étais dit « mais ce n’est pas bon ! » et on me rétorquait « tu verras, ça changera avec le temps ». En réalité, je suis persuadé de deux autres facteurs pour ma sobriété que j’appelle souvent névrotique. D’abord il y a sans doute des exemples d’alcoolisme qui pour certains sont au contraire une filiation évidente et des travers héréditaires, et qui pour moi ont été autant de repoussoirs et d’épouvantails. Il y avait les exemples visibles et ceux racontés, celui des grands-parents que je n’ai pas connu par exemple. L’alcool n’a jamais eu une très bonne image, j’entendais plus les gens en parler comme une sorte de mal nécessaire pour faire société.

L’autre chose c’est vraiment mon caractère à la con ayant voulu à l’adolescence joué sur une singularité exacerbée. C’était un des nombreux maladroits déflecteurs à mon homosexualité évidemment, et cela consistait à être droit comme la justice quitte à frôler l’ascétisme, en mettant bien en exergue mon intégrité vis à vis d’autrui. Donc je devais être absolument irréprochable, pas de chapardage, pas de mensonge, pas de triche, pas de drogue ou d’alcool étaient donc des évidences. Et je sais que dire « Non, je ne prends pas de champagne », alors qu’adolescent on commençait à nous en proposer en famille, notamment dans les mariages, était à la fois un refus de boire, mais aussi de dire que j’étais plus vertueux qu’eux, les adultes.

Et je voyais bien les réactions contrastées entre le faux compliment « Oh mais tu as raison, c’est très mauvais de boire », les commentaires relativistes avec un peu d’espoir que je rejoigne le troupeau : « Et puis tu as bien le temps de t’y mettre, ah ah. Tu verras les pintes avec les potes bientôt », ou carrément déjà des reproches déguisés : « Ah bon c’est bizarre, tu ne veux pas essayer ? Tu ne veux pas trinquer avec nous, et faire comme tout le monde ? C’est sympa, tu verras, picoler en faisant la fête ! ».

C’était à peu près les mêmes qu’avec le fait que je poursuive des études. « Quoi à 20 ans, tu continues encore à être étudiant ? Mais pour quoi faire ? » En gros, à partir d’un certain âge, on a considéré que je faisais mon intéressant. Et ce n’était pas faux, je le reconnais. Mais c’était encore une fois principalement pour mieux cacher mon homosexualité avec « autre chose ». Et donc avec toutes ces névroses et ces stratagèmes, j’ai fait des études, et je n’ai jamais bu d’alcool ou consommer de drogues. Ce qu’on appelle couramment des « qualités » (qui n’en sont vraiment pas hein) ne sont pour moi que des effets de bord d’une dissimulation névrotique. ^^ (Hu hu hu.)

Et comme j’étais parti comme ça, bah j’ai continué. Et plus je continuais, plus je me disais que je ne pouvais tout de même pas me mettre à me bourrer la gueule à cet âge là, que j’avais raté le coche et que tant pis, je continuerai sans. Dans le fond, en revanche, je le sens bien, il y avait tout de même toujours cette ombre transgénérationnelle d’alcooliques et de junkies en tout genre qui planait. J’en avais peur, et j’en ai toujours peur, ou en tout cas j’ai toujours ces mêmes images qui sont en filigranes des fêtes où je vais, des apéros un peu trop arrosés ou des retours de soirées à marcher ou conduire pas droit (je préfère conduire du coup hein ^^ ).

Après j’ai des exemples parfaitement équilibrés et tempérés de gens qui profitent des joies de l’alcool, sans trop grosse dépendance, et avec un bilan vraiment positif. Et là je sais, que je rate un truc. Mais tant pis, ça reste ma singularité !

Le truc c’est que j’ai beaucoup fait la fête dans ma vie, j’ai passé entre 20 et 30 ans notamment, un temps fou au Queen et au Scorp’, à la Scream ou aux Follivores. Bref j’étais un pédé parisien narmol de la fin des années 90 aux années 2000 qui aimait remuer son popotin avec ses copaines sur les dancefloors. J’ai aussi pas mal fréquenté entre 95 et 99, les free parties techno dans les forêts de banlieue parisienne. Et tout cela dans ma parfaite sobriété, et j’ai donc eu le bonheur extraordinaire de vivre tous ces moments sans distorsion de temps, d’émotions ou des sens. J’ai beaucoup expliqué à mes amis ce qu’ils avaient fait comme frasques, je les ai aussi beaucoup conduit au petit matin en toute sécurité. ^^ Bon j’ai aussi beaucoup nettoyé de vomis et pris soin de dizaines de copains et copines qui étaient malades et qui vraiment faisaient mal au cœur à voir de souffrances, néanmoins renouvelées tous les week-ends. ^^

Mon seul regret, c’est de n’avoir jamais pu utiliser le fait d’être bourré pour draguer sans vergogne qui me plaisait, soit par désinhibition réelle ou parfaitement simulée. Cela vraiment, c’était mon vrai regret quand je voyais tous ces gens qui s’emballaient en fin de soirée, ou qui finissaient par se choper entre deux voitures dans la rue, ou même comme mon mari qui a ainsi niqué un mec entre eux colonnes du Palais Royal (on n’était pas ensemble hein, c’était le temps de sa folle jeunesse, tumultueuse et arrosée, au Club 18).