Ce week-end c’était un voyage très très court à Londres pour voir un spectacle, ça m’a permis de photographier l’Angel Bear de Richard Texier devant la gare du Nord. J’aime beaucoup cette sculpture, et j’ai toujours trouvé cela follement queer, mais là avec le drapeau LGBT qui flotte sur la gare, ça l’est encore plus (c’est la seconde année je crois que les gares sont pavoisées avec le rainbow flag pour la journée contre l’homophobie du 17 mai, et durant le mois des fiertés).
C’est toujours chouette de faire un tour à Londres, qui est en train vraiment à quelques encablures de Paris, mais qui permet toujours une super sensation de dépaysement. C’est aussi l’occasion de revoir mon ami Fabrice qui vit là-bas depuis plus de vingt ans, et là j’ai eu la surprise de revoir une ancienne amie que je n’avais pas vu depuis des lustres, et qui était également en visite londonienne. C’était un peu des souvenirs de presque vingt ans qui ressurgissaient, mais vraiment un très chouette moment.
Je vous ai déjà parlé de Guillaume qui fait des podcasts passionnants à propos des cheminements de sexualité queer, mais là c’est un épisode un peu spécial et c’est une anecdote dans celui-ci qui m’a énormément intéressé. Son invité lui a expliqué avoir trouvé dans une chambre de bonne parisienne, dont il est devenu propriétaire, un fascicule tapé à la machine, et qui se refilait sous le manteau, qui doit dater des années 60.
Il s’agit d’un impressionnant document de 36 pages qui détaille par le menu l’ensemble des droits et des risques légaux attachés à des comportements homosexuels à l’époque. Et on parle d’une époque de grande répression puisque nous sommes quelques années après l’amendement Mirguet qui a officiellement inscrit l’homosexualité comme « fléau social » en 1960, ce qui a aggravé les outrages à la pudeur, par exemple, quand ils sont commis par des homos.
Ces pages ne parlent pas d’homosexuels mais d’homophile et on souligne assez directement la « dignité » qui est recommandé comme l’attitude à suivre pour les homophiles qui se respectent. L’élément juridique le plus vieux date de 1963 et c’est un jugement de cassation, donc j’imagine que ça donne une bonne idée de la période où ce document a été conçu et tapé à la machine. Donc tout cela fleure bon l’époque Arcadie et la plume des affidés d’André Baudry. Inutile de dire que ce n’est pas trop ma came, mais o tempora, o mores. On retrouve bien trop encore aujourd’hui ces homos follophobes et qui ne cherchent qu’à se conformer et lutter contre leurs propres droits, tout en profitant allègrement de ceux gagnés par leurs coreligionnaires hauts en couleur et en militantisme.
Là ce qui est drôle c’est qu’en prologue et épilogue, on rappelle que ces conseils ne sont utiles qu’à ceux qui justement manquent de cette dignité des homophiles qui ne sont pas censés draguer aux Tuileries, mater dans les vespasiennes, baiser dans les bains de vapeur etc. Mais tout de même, ça vaut le coup de connaître ses droits, et de savoir comment se comporter si on se fait arrêter. Et en cela, cela ressemble aussi aux conseils qui sont donnés à tous les militants lors des manifestations ou des actions de guérilla urbaine.
Evidemment la liste des délits donne là un vertige étourdissant. C’est tout de même une trentaine de pages pour évoquer tous les risques à envisager, et pour avoir le maximum d’armes pour se défendre et survivre dans une société répressive autant légalement que moralement. Et tout cela n’a que 60 ans…
Vous allez dire que je rapporte tout à la Bretagne (oui quand je peux ^^ ), mais voilà la petite maison où Robert Badinter a écrit son discours d’abolition de la peine de mort. Et c’est à Doëlan, à Clohars-Carnoët donc, et on est tous très fier de ce petit fait historique local. Hu hu hu.
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Il s’agit en réalité de la maison de Benoîte Groult qui l’avait prêtée au couple Badinter.
Robert Badinter est un homme important pour moi, comme pour beaucoup, et c’est un peu depuis toujours une sorte de héros familial. Le mec de gauche par excellence et qui a porté des combats beaux, justes et vraiment de gauche comme l’abolition de la peine de mort. Et un avocat de l’ancienne trempe, un orateur, un bretteur, un intello aussi de la bonne intelligentsia gauche caviar, mais qui a, selon moi, gagné ses galons de respectabilité par ses actes et son intégrité intellectuelle. Après il n’est pas parfait, il a aussi dit et agit de plein de manières répréhensibles ou discutable, mais il ne s’agit pas de jeter le bébé et l’eau du bain.
Je reprends avec plaisir les propos de Madame Mollette :
Badinter pour un avocat, ça fait partie des Dieux de l’Olympe. Je ne sais pas si vous pouvez imaginer ce que signifiait le métier d’avocat pénaliste avant 1981. Il fallait accepter l’occurrence, au terme d’un long parcours de défense aux côtés d’un homme, de se retrouver un jour en situation de se lever à l’aube pour accompagner cet homme dans une cour sordide se faire exécuter.
L’une des dernières têtes sauvées de la guillotine fût celle d’un homme de 28 ans condamné à mort par la Cour d’Assises de Vendée et rejugé à Nantes avec Badinter à ses côtés en 1977. Il a raconté qu’il ne mangeait plus ni ne dormait plus pendant le procès.
C’est aussi l’homme qui a fait dépénaliser les relations homos avec mineurs de + 15 ans, supprimer les juridictions d’exception, les QHS. C’est lui qui a révolutionné l’indemnisation des victimes d’accidents de circulation fondée sur le risque et non plus sur la faute : puisque les automobilistes ont des assurances, elles doivent payer, ça a tout changé. Bref, un Bonhomme. Un déclencheur de vocations. Quand on allait le voir en conférence, on était transporté. Alors voilà on lui rend un hommage mérité.
Je n’oublie pas le reste, ses positions sur DSK, sur l’euthanasie, sur la libération de la parole des femmes, et probablement d’autres trucs miteux. Et aussi, le fait qu’il a accepté de servir de caution intellectuelle au démembrement du code du travail, ça je ne pardonnerai jamais. Il faut tout dire, ça n’enlève pas le mérite de l’Homme.
Certains ici disent qu’il était avant tout un bourgeois de la gauche bienséante. Ça ne rend pas justice à la complexité de l’homme, à la force de ses engagements et à ce qu’il a accompli. Le seul Dieu de l’Olympe des avocats que je pleurerai sans aucune réserve sera Henri Leclerc. Mais Badinter mérite les hommages qui lui sont faits.
Et c’est vrai que c’est marrant de se dire qu’il s’agit du « seul homme du 20ème siècle qui a été cité par Victor Hugo au 19ème, car dans son discours d’adieu au Sénat en 2011, il a cité Victor Hugo : « Heureux celui dont on pourra dire qu’il emporte avec lui la peine de mort. » [source]
Après vous me connaissez, Badinter évoque aussi pour moi cette loi de 1982 qui établit une égalité entre homos et hétéros concernant la majorité sexuelle. C’était bien une promesse de Mitterrand lors de son élection en 1981, même si la dépénalisation en tant que telle de l’homosexualité date bien de 1791.
L’Assemblée sait quel type de société, toujours marquée par l’arbitraire, l’intolérance, le fanatisme ou le racisme a constamment pratiqué la chasse à l’homosexualité. Cette discrimination et cette répression sont incompatibles avec les principes d’un grand pays de liberté comme le nôtre. Il n’est que temps de prendre conscience de tout ce que la France doit aux homosexuels comme à tous ses autres citoyens dans tant de domaines
Robert Badinter à l’Assemblée Nationale le 27 juillet 1982
Couverture du Gai Pied de juin 1981 (N°27)
Je possède 3 numéros emblématiques du mensuel Le Gai Pied (les numéros 2, 27 et 42), et il se trouve que le N°42 de septembre 1982 évoque cette nouvelle loi.
Couverture du Gai Pied de septembre 1982 (N°42)
Mais c’est là où on voit que le titre même de l’article est assez discutable. On y évoque certes l’égalité et un juste retour des choses, mais on peut aussi sentir un je ne sais quoi qui sent le soufre. Il faut rappeler qu’à l’époque des mouvements pédophiles s’exprimaient aussi sous couvert de militantisme homo pour « libérer la sexualité des plus jeunes ». Et il y a eu d’ailleurs dans l’histoire du mensuel de fortes dissensions à ce sujet, notamment avec Tony Duvert. L’affaire Dugué est aussi emblématique de cette époque, et de cette très gênante confusion qui est largement exploité par les homophobes, mais malheureusement aussi une réalité toxique de certains militants. On ressent dans l’article cette transition curieuse qui verra une séparation nette, et un refus clair de la pédophilie et des amalgames terribles que certains continuent à entretenir.
Il est en revanche fou de voir, par hasard, que l’article en complément de cette page évoque les bombardements de Beyrouth par l’armée israélienne en cette même période (été 1982). On y lit des positions assez communes avec les mouvements LGBT actuels, à 40 ans de distance on décrypte forcément cela avec une certaine ironie grinçante ou carrément désespérante.
En voyant ce film, sans avoir rien lu à son propos, je me disais à la fin « Bon ok, mais tout de même ce n’est pas super crédible comme histoire !! ». Et puis à la fin du film, on explique que c’est une histoire vraie, et on voit les photos de mariage des bonhommes. Donc non seulement le film est crédible, mais en plus ils ont plutôt bien casté les comédiens. Mouahahahahahaha.
Et contre toute attente, l’histoire c’est bien cela, nous sommes en Autriche, et nous avons le Sergent Major Eismayer qui est instructeur à l’armée. Mais alors l’archétype de l’instructeur tyran et qui terrifie les troupes, voire qui abuse et met en danger la vie de certains. Evidemment raciste et homophobe pour en ajouter une louche hein. ^^
Et voilà que débarque un aspirant, Mario Falak (joué par Luka Dimic), qui est ouvertement gay et plutôt du genre basané. En plus de cela, il a une grande gueule et refuse de se laisser faire ou abuser par quiconque. C’est donc immédiatement un fort désamour entre les deux hommes, et Eismayer (joué par Gerhard Liebmann) le brime comme il a l’habitude.
Mais ça finit par un mariage, et les deux sont encore ensemble, tout en étant militaires de carrière. Alors franchement rien que pour cela, le film vaut le coup d’œil. C’est tout à fait charmant, et apparemment ça a fait pas mal de bruit en Autriche. C’est presque dommage que le film n’ait pas une distribution ou une presse plus importante, car ça ferait du bien à certains militaires de voir ça. ^^
J’ai connu Hedwig d’abord via l’adaptation en film de ce grand succès off-Broadway (de 1998) en 2001. Je me rappelle que c’était un certain événement à l’échelle du Marais parisien, et le cinéma était une véritable Gay Pride1 à l’UGC des Halles à ce moment là. J’ai eu le film en DVD quelques années après, et je l’ai regardé maintes et maintes fois depuis, donc je connais un peu toutes les chansons par cœur. Néanmoins le film reste assez méconnu du grand public, malgré également le succès relatif de Shortbus, du même John Cameron Mitchell (auteur et interprète d’origine de Hedwig) qui avait pas mal défrayé la chronique des pédés parisiens en 2006.
Hedwig est tellement un truc pour moi, qu’à l’occasion j’en avais même pondu un article dédié en 2005, et donc vous pouvez y lire un bon résumé du film comme de la pièce.
Ce qui m’épate, en passant, c’est qu’en 2005 je te mettais des « transsexuels » en veux-tu en voilà, c’est marrant comme je n’écrirais plus cela aujourd’hui. Et en réalité, si je regarde l’occurrence des mots-clefs de mon blog, j’ai utilisé ce terme jusqu’en 2008, après je parlais de « trans » tout court, et à partir de 2011 c’est le terme « transgenre » qui est uniquement usité (et c’est le terme correct encore aujourd’hui). On retrouve le terme « transgenre » malgré cela dès 2005 dans un article de libé cité par le sociologue Coulmont qui évoque « l’interdiction judiciaire du mariage entre une transsexuelle et un transgenre« . Et donc la nuance est apportée dans le détail puisque la personne dénommée « transsexuelle » a en réalité mené sa transition jusqu’à un changement d’état civil et une réassignation, tandis que l’autre personne est appelée « transgenre » car ayant transitionné sans changement officiel d’état civil. C’était appelé une provocation à l’époque. Purée, les bigots !! Je pense qu’on s’en branle tellement la nouille aujourd’hui de ces questions, et c’est d’ailleurs en quoi le mariage pour tous portait bien son nom (simple et efficace).
Bref, ce spectacle extraordinaire, et qui est un truc fondateur et culte pour moi, dont on apprend que le droits de représentation en public sont libres depuis peu, bénéficie d’une toute nouvelle production au Café de la Danse à Paris. Je ne connaissais que le film, mais j’ai vite compris la forme curieuse de cette œuvre qui oscille vraiment entre performance théâtrale et musicale. Le lieu est une unique scène, et c’est une belle mise en abîme car c’est VRAIMENT la scène du Café de la Danse où Hedwig est en concert, alors que lorsqu’on ouvre la porte au fond on entend le concert dingue sur toute la Bastille de son amant et Némésis Tommy Gnosis. Et donc le concert, comme n’importe quel concert, consiste bien en des chansons entrecoupées par des histoires racontées par Hedwig. Comme dans un concert classique, la star parle un peu de sa vie, de ce que ses chansons illustrent, et ainsi on reconstitue le fil entier de l’histoire.
Tout commence à Berlin en 1961, avec la mère de Hedwig (alors Hansel) qui les embarque à l’est. On revit son enfance, puis sa rencontre avec un soldat américain qui souhaite l’épouser (pour lui permettre de fuir la RDA) et qui, pour que cela soit possible, lui fait faire une opération de réassignation sexuelle qui tourne mal. Et c’est ainsi qu’il obtient son « angry inch », fruit d’une opération ratée, et avec laquelle il tente de trouver une voie et un certain sens à sa vie et son identité brouillée. Et tout cela, quelques mois avant la chute du mur de Berlin, ce qui ajoute encore à la cruelle ironie de l’anecdote bien sûr.
Là où Hedwig est fabuleuse, et c’est ce qui m’avait tant marqué il y a presque 25 ans, c’est que c’est une personne terriblement mauvaise et vénéneuse, vraiment l’anti-héros par excellence. Je me rappelle à l’époque d’ailleurs des critiques qui pestaient contre une certaine transphobie, avec une approche aussi biologique de la transition et ce choix d’un personnage aussi négatif et en souffrance. Mais les années sont passées, et je pense qu’aujourd’hui cela passe mieux avec un regard rétrospectif, et parce que l’on a, alléluia, accès à des représentations qui nous ont enfin sorti des images de serial killer tordus.
Moi j’ai toujours trouvé qu’Hedwig transcendait cela avec son histoire singulière, et qui pour moi représentait à la fin du film une héroïne à laquelle, au contraire, je m’identifiais parfaitement (et qui m’a beaucoup apporté). Mais je peux comprendre bien sûr que cela ait pu encore ajouter à l’imaginaire « weird » de la transidentité de l’époque.
Hedwig est brillemment interprété au Café de la Danse par Brice Hillairet, et sa performance est tout bonnement hors-norme. Vraiment j’ai été subjugué par son talent, et par la manière dont il incarne ce rôle avec une justesse et une troublante authenticité. Il fait vraiment un grand honneur à John Cameron Mitchell, et est autant talentueux sur le plan vocal que le jeu ou la chorégraphie. On le suit surtout dans sa narration et toutes les émotions par lesquelles il passe du début à la fin. Et il emporte vraiment tout sur son passage, avec une énergie queer du désespoir et un panache de rockstar qui dépasse l’entendement. Les perruques, costumes et maquillages sont très proches de l’imagerie du film, et vraiment c’est une production tout à fait bien troussée.
Son côté méchant est en plus assez grinçant et fonctionne assez bien pour une scène parisienne (selon moi). Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à cette vidéo de Jennifer Coolidge qui tourne aujourd’hui et à laquelle je ne peux que souscrire.
Le passage au français passe étonnamment très bien, sans doute aussi avec l’accent allemand d’Hedwig (qu’on a aussi dans la VO, et il explique bien qu’il suite la tournée de Tommy Gnosis en France), avec les chansons qui sont sous-titrées pour qu’on puisse bien suivre ce qui est raconté. On retrouve aussi certaines illustrations vidéo qui font penser à certaines scènes du film, et qui permettent d’enrichir le dispositif scénique. Car on est dans un truc assez dépouillé au final (une scène de concert un peu minable mais irrémédiablement rock et punk), mais on n’a vraiment pas besoin de plus.
Car on est vraiment dans une toute petite salle, et l’histoire devient encore plus crédible, on se retrouve à la vivre même si la chronologie n’est pas la bonne. Et en plus d’un brillant Brice Hillairet, Anthéa Chauvière, qui joue Yitzhak2, est très très bonne. Et les musiciens qui accompagnent ne sont pas en reste, ils ont une présence scénique remarquable en plus d’être de très bons instrumentistes.
Ce n’est pas compliqué, il s’agit d’un spectacle absolument remarquable qu’il faut urgemment aller voir !!! Vous ne serez pas déçu, c’est un show total et troublant, qui déploie une puissance à la fois rock, punk et poétique, résolument queer et qui ne ressemble à rien d’autre.
C’est en lisant l’article ci-dessous qui évoque ce singulier « Gay Manifesto » qui date de Stonewall (à priori écrit juste avant, mais Cy Lecerf Maulpoix explique que certaines mentions évoquent une écriture plus tardive), que j’ai découvert Carl Wittman.
Après quelques clics sur les Internets, j’ai trouvé le texte d’origine, et le voici pour votre propre curiosité ou édification. ^^
Ce truc est incroyable, et j’ai vraiment eu beaucoup d’émotion et quelques épiphanies en le lisant car ça pourrait carrément être un texte d’aujourd’hui. Et donc c’est aussi assez frustrant et cinglant, en même temps que c’est génial. Oui c’est génial de se dire qu’il y a encore une vraie filiation d’idées et de positions entre un pédé de 1970 et un pédé d’aujourd’hui, mais c’est terrible de se dire que l’on serine la même chose depuis plus de 50 ans, et que les changements ont certes eu lieu, mais ça reste tout de même encore un objectif non atteint. Evidemment cela résonne aussi particulièrement avec cet essai sur la « pédérité » que j’ai récemment évoqué, on pourrait vraiment y lire des lignes très similaires, ou même plaquées mots pour mots.
Il faudra que je lise le bouquin de Cy Lecerf Maulpoix qui offre une traduction de ce texte et surtout un commentaire qui doit être passionnant, mais c’est pas mal de d’abord le lire et se faire aussi son opinion (sans doute moins contextualisée car je suis loin d’être un spécialiste de l’histoire des mouvements LGBT). En tout cas, pour qui est un peu versé en anglais, ça se lit vraiment très facilement et ce ne sont que quelques pages de texte avec une forme très didactique et qui revêt vraiment cet effet « manifeste ».
Il y a d’abord cette introduction sur le rôle particulier de San Francisco pour les homos, et ça m’a irrémédiablement fait penser à ce que j’ai pu maintes fois écrire ici et ailleurs sur le rôle de Paris et du Marais pour moi pendant des années. Les choses ont bel et bien changé à ce sujet, et, comme SF aujourd’hui, Paris est moins le havre qu’il a été pour nous, mais ça reste une Mecque indéboulonnable pour les petit·e·s queers et torduEs qui cherchent l’émancipation.
Mais Carl Wittman commence son texte avec une métaphore forte et frappante en évoquant nos situations de « gay refugees » en parlant de SF comme « un camp de réfugiés pour gay ». Il évoque tous les américains qui ont fui de tous les coins du pays pour s’y retrouver, et c’est clairement assez analogue à Paris pour la France. Cette première métaphore est une des nombreuses qui émaillent le texte, et après une certaine solidarité avec la situation de personnes migrantes cherchant un refuge, il fait rapprochements sur rapprochements avec des luttes antérieures que ce soit celles des noires, des femmes ou plus étonnant l’écologie (en tout cas ça m’a étonné que ce soit un rapprochement aussi ancien).
Après le manifeste de manière très structurée propose plusieurs pistes de réflexions, et pour l’époque j’imagine que certains se décrochaient la mâchoire à lire cela, aujourd’hui heureusement la majorité des gens se dirait sans doute « bah oui hein ».
Donc d’abord Car Wittman explique des petites choses sur l’homosexualité, et des assertions évidemment essentielles pour expliquer ce que c’est et ce que ce n’est pas. On a donc tout une première partie sur l’orientation sexuelle, et notamment après avoir défini l’homosexualité, un second élément fort consistant à célébrer la bisexualité et on dirait aujourd’hui quelque part la « non binarité » dans les orientations ou la « pansexualité ». Il affirme avec une phrase qui m’a beaucoup fait sourire (mais à laquelle je souscris complètement) : « Les gays commenceront à se tourner vers les femmes quand 1) ce sera quelque chose de voulu et non d’obligatoire, 2) quand la libération des femmes aura transformé la nature des relations hétérosexuelles ». Et v’lan !!!
La seconde partie du manifeste est à propos des femmes, et en tout premier chef évidemment on regarde du côté de la cause lesbienne. Il reconnaît aussi que le machisme est un fléau chez les gays, et que la libération des femmes est une pierre angulaire du combat LGBT. Il évoque de manière très intéressante le rôle de la sexualité par exemple, qui chez les homos a plutôt été une source d’émancipation et un « symbole de liberté », tandis que pour les femmes une des origines de leur oppression. Et donc il y a nécessité à travailler avec ces alliées évidentes.
La troisième partie nous renseigne sur les « rôles » dans la société et les images perçues des différentes types de gays notamment. Mais il commence par fustiger le fait de vouloir rentrer dans le rang et d’imiter les hérétos dans leurs comportements, rites ou aliénations. Et évidemment le mariage dans sa forme actuelle n’est absolument pas prôné, on devra profiter de nos luttes pour le transformer et s’inventer peut-être de nouvelles manières de « faire couple ». Et ce qui m’a aussi beaucoup fait plaisir c’est de lire qu’il faut déjà à l’époque lutter contre la follophobie et cette sacro-sainte et détestable « bonne image ». Carl Wittman célèbre déjà les hurlantes, les drags et toutes les personnes « non conformes » qui sont au cœur de l’oppression et donc du combat.
J’ai été très étonné par l’insistance sur le coming-out et le fait que personne ne devrait être dans le placard, et que la finalité de tous les homos du monde est d’être « out ». Je suis vachement d’accord avec ça, mais ça m’étonne de le lire comme un des axes de libération aussi important. Mais d’un autre côté, à cette époque j’imagine que les militants devaient être super frustrés de se battre contre des moulins à vent, alors qu’ils connaissaient des tas de pédés dans le placard, et qui empêchait une visibilité dont on sait à quel point c’est une arme redoutable pour faire changer la société.
La partie suivante, sur l’oppression justement, détaille bien les stratégies ennemies, et c’est hallucinant de voir aussi comme c’est parfaitement actuel. Il suffit de voir les mouvements anti mariage pour tous d’il y a dix ans pour s’en persuader. Et on y parle aussi du grand danger de l’oppression « internalisée » (Self-oppression) par la propre communauté LGBT, celle qui notamment impose la « bonne image » et des statu quo par rapport à son propre cadre de référence et surtout son statut précaire de « parvenu ». On y comprend aussi toutes les luttes intestines et les dissensions qui ne sont que pain béni pour les ennemis de la cause.
La cinquième partie sur le sexe est un texte assez important et qui m’a pas mal étonné. Mais c’est vrai que l’on était dans une époque où la libération sexuelle n’était vraiment pas derrière nous, et à certains égards je vois bien qu’elle ne l’est toujours pas. Donc c’est aussi un élément clef du manifeste qui redit que le sexe c’est un truc sympa et pas sale. ^^ Mais il va super loin en disant qu’on doit remiser les notions d’actifs (pénétrants) et de passifs (pénétrés) et de toutes les notions de domination sociale qui s’y rapportent. C’est fou comme le texte évoque à chaque fois des choses dont j’ai l’impression qu’elles sont assez récentes, et pas du tout. (Bon, sachant que c’est Monique Wittig notre démiurge qui a tout inventé et déclenché de toute façon. Bravo les lesbiennes !!!) Et c’est marrant l’auteur va aussi jusqu’à évoquer les fantasmes sur l’âge ou la condition physique, et la nécessité de dépasser aussi ces carcans de nos propres mouvements.
La sixième sur nos ghettos est intéressante car elle reboucle déjà sur certaines notions. On y lit notamment qu’on crée ces espaces pour qu’ils soient sûrs et à notre image, et avec nos règles, mais qu’au final il y a récupération et exploitation par la société (et du capitalisme). On peut toujours être dubitatif sur celui-ci, car il faut à la fois être acceptant de tous et toutes, et utiliser aussi ces havres comme des lieux de médiation, de mélange, de sensibilisation et d’éducation, donc attractif pour tout le monde, mais gardant son âme… Un peu complexe à atteindre comme finalité.
La dernière partie se focalise sur ce qu’on appellerait aujourd’hui la « convergence des luttes », et c’est drôle et passionnant car il en fait des assertions très pratiques sur la manière dont on doit aborder les différents groupes. Donc on a des conseils de coalition et coopération avec les femmes, les noirs, les latinos etc. Et on n’est pas non plus dans l’ignorance de l’homophobie plus ou moins internalisée de ces groupes, donc ce n’est pas non plus le monde des bisounours, mais au contraire un positionnement assez rationnel et sérieux, et c’est assez épatant de se dire que 50 ans plus tard, on n’est pas loin d’écrire à peu près la même chose.
J’aime beaucoup le dernier groupe qu’il appelle les « homophiles », et qui sont aussi présents chez nous. Ce sont les gays les plus conservateurs et les moins militants en apparence, que certains taxent d’ailleurs de profiteurs (ils profitent des luttes sans faire aucun effort ou prendre aucun risque), et qui sont vraiment dans cette continuelle recherche de statu quo et de « bonne image » que j’exècre tant. Dans les années 50 à 80, c’était à peu près le terrain de l’association « Arcadie » et aujourd’hui ce serait pour moi GayLib ou L’Autre Cercle. Et il faut toujours raison garder, car on ne peut pas non plus être contre ces associations qui font aussi le job à leur manière. Roger Peyrefitte qui est un des fondateurs d’Arcadie est aussi l’auteur des Amitiés particulières qui est sorti en 1943, et dont on ne peut pas nier l’importance dans l’histoire du mouvement gay en France.
Et donc les conseils de Carl Wittman pour ce groupe :
1) réformistes ou minables1 parfois, ce sont nos frères. Ils progresseront comme nous avons progressé. 2) ignorez leurs attaques. 3) coopérez quand la coopération est possible sans compromission majeure. »
Encore une fois, c’est super actuel !! Et enfin la conclusion avec en résumé les 4 choses2 à retenir selon Carl Wittman :
1) Libérons nous : sortez du placard, lancez vous dans des activités politiques et défendez vous. 2) Libérez les autres gays : parlez tout le temps, comprenez, pardonnez, acceptez. 3) Révélez/libérez l’homosexuel en chacun : ce sera très difficile avec certaines personnes, mais il faut rester modéré et continuer à parler et agir librement. 4) Nous jouons un rôle depuis longtemps, donc nous sommes devenus des comédiens accomplis. Maintenant nous pouvons commencer à être nous-mêmes, et ça va être un très beau spectacle.
C’est vraiment marrant comme le coming-out était l’alpha et l’oméga de ce manifeste, mais après tout ça tombe sous le sens quand on se remet dans le contexte de 1969. L’existence même des LGBT et leur visibilité étaient la première pierre à l’édifice, et là au moins on peut se dire que oui les choses ont bien changé. ^^
Je vous mets aussi ce super document qui est publié par le même organisme « Red butterfly ». Il s’agissait de la cellule marxiste du New York Gay Liberation Front, et c’est passionnant de lire justement la convergence LGBT/anticapitaliste (et qui dans les faits atteint sa propre limite lorsqu’on lit le texte).
J’ai beaucoup de mal à traduire « pokey », c’est peut-être une grosse erreur de ma part. ^^ ↩︎
Encore une fois, une traduction très approximative ↩︎
95 c’est 1995 bien sûr, et c’était fascinant de lire ce bouquin pour moi car ce fut une année charnière super importante. 19 ans ce n’est pas rien, et tout juste pédé en quête d’émancipation, outé auprès de tous mes amis, encore banlieusard mais déjà très parisien, je me souviens très précisément de cette année là. La photo en figure de proue date de décembre 1995, on s’apprêtait à aller au Queen avec des anciennes copines de lycée, et de plus récents amis pédés, goudous et alliés. 1995 était l’année de transition par excellence.
J’ai un peu moins de dix ans de différence avec l’auteur, et c’est fou mais ça change beaucoup de choses. Et puis, ce qui est drôle ce sont les univers quasi parallèles dans lesquels on évolue, même si je reconnais absolument tout ce qui est décrit. Et donc alors que je débarquais tout juste à Paris en 1994 et que je faisais mes premiers pas, l’auteur était déjà un habitué du Marais avec sa bande de potes, et une vie de pédé bien épanouie.
Ce qui touche aussi beaucoup, et vient en immense contraste avec mes propres expériences, c’est bien sûr le VIH, qui dans les années 90 est encore une pandémie fatale pour les malades, et qui en plein milieu va voir un infléchissement complètement fou avec l’émergence des trithérapies. Le bouquin est exactement à ce moment de frémissement de ces nouvelles découvertes, avant de voir tous ces malades quasi « ressuscités », et pour certains éberlués de cet éloignement durable d’une mort vécue comme inexorable pendant trop d’années. Mais donc là, avec Philippe Joanny, c’est entre les années Cyrille Collard1 et les miennes. C’est le banlieusard qui apprivoise Paris, et le pédé qui s’émancipe parmi les siens, avec une drôle d’épée de Damoclès qui tombe réellement sur trop de ses proches.
Le bouquin est sur une forme assez simple, et même son style est assez direct et brut, mais il a justement la beauté du texte authentique et tiré de l’expérience vécue. J’aime beaucoup aussi, et sans doute parce que j’en suis aussi féru, son rapport à la ville et à Paris, et ses descriptions de la ville en transformation, des quartiers qui étaient encore sales et par endroit insalubres. J’ai vraiment eu des flashs de l’époque en lisant ces lignes.
La zone formait une poche dans le tissu de la ville, un endroit oublié dans la marche du temps, comme si on était tombé dans une faille spatio-temporelle et qu’on était transporté dans le Paris en noir et blanc d’avant guerre. À part les miséreux et les marginaux, les laissés-pour-compte qui se réfugient dans ce genre d’endroit, personne n’avait envie de vivre là. Les logements étaient pourris mais, les loyers étant ridiculement bas, quelques types ont flairé l’affaire et y ont ouvert les premiers bars. Ils étaient sûrs qu’ici personne ne viendrait les emmerder, pas même les bandes de fachos qui aimaient casser du pédé. Seulement, les lieux étaient chargés du poids des drames de l’histoire. Les rafles de juifs dans le ghetto, les aristocrates guillotinés deux siècles plus tôt. Le Marais était peuplé de fantômes, et je n’y ai croisé aucune ombre. Je m’enfonçais dans des rues étroites et sinueuses, des venelles étranglées sinistres où s’alignaient des hôtels particuliers vides aux vitres crasseuses, des taudis squattés ou barricadés et des maisons ventrues fissurées sur le point de s’écrouler, vouées à la démolition. Les stores des magasins baissés, les murs couverts de tags et de pisse, et les trottoirs jonchés d’ordures. J’avais l’impression de traverser le royaume des junkies et des chats crevés. J’ai remonté la fermeture éclair de mon blouson, et je me suis dépêché de filer.
Le roman raconte cette bande de potes qui évoluent dans la fête et les combines, et qui conjurent le mauvais sort ou les mauvais bilans de santé par encore plus de fêtes et de substances pour résister jusqu’au lendemain. Mais pas de misérabilisme, c’est avant tout des amis qui se racontent avec une certaine alacrité. Le narrateur explique la mort brutale d’un des potes, et il interroge toutes ses accointances pour savoir comment tout le monde se connait. Il en ressort un imbroglio génial et parfois très confus, avec plein de gens qui couchent ensemble (on est surpris ^^ ), des amitiés croisées, des enterrements abscons pour de bien trop jeunes gens, et des petits bouts de vie en écho à toutes les nôtres.
Certaines blessures ne cicatrisent jamais. En quatre-vingt-dix, je pars de chez mes parents pour partager un appartement avec Fred et Clément. Ils avaient tous les deux grandi dans l’Est et ils étaient venus ensemble à Paris. Clément menait une vie à l’opposé de la nôtre. Pendant qu’on se défonçait comme des furieux et qu’on se dépensait sur les dancefloors pour ne plus avoir à penser, Clément, lui, passait ses week-ends à randonner avec ses copines lesbiennes à travers champs et forêts. Il buvait du thé vert quand nous on s’enfilait la vodka la moins chère. On se moquait de ses cours de cuisine macrobiotique et de yoga, et lui se laissait gentiment charrier. Clément était la gentillesse et l’humilité mêmes.
C’était un garçon au charme suranné, une grande perche au visage osseux criblé de taches de rousseur, le regard doux, un tantinet efféminé, avec des manières nunuches qui me touchaient. À vingt-cinq ans, Clément était déjà contaminé depuis plusieurs années. Un an après l’emménagement, il est tombé malade. Une infection causée par un parasite de l’intestin, l’une des plus agressives qui soit. En quelques mois il s’est vidé. Il passait ses nuits à courir aux toilettes, entre les portes qui claquaient et la chasse d’eau en continu, le boucan nous réveillait et on râlait comme deux imbéciles, sans réaliser ce qui lui arrivait. J’avais vingt-deux ans, Fred vingt-quatre et on ne pouvait pas imaginer que ce soit possible, que l’horreur nous touche d’aussi près. C’est le propre de la jeunesse de se croire immortelle. On refuse de comprendre par réflexe, comme on se couvre les yeux avant l’impact. Et puis, un matin, Clément n’a plus eu la force de se lever. Lui qui n’était déjà pas gros ne pesait même pas quarante kilos. Il n’avait plus que la peau sur les os. Il était si faible qu’il a fallu l’hospitaliser. Ce jour-là, on a compris que ça ne traînerait pas, on avait intérêt à se dépêcher avant que ce soit trop tard. Il fallait aller le voir et pourtant on n’y allait pas. Il y avait toujours une excuse, et l’excuse nous rendait chaque jour un peu plus minables. Jusqu’à ce qu’il ne nous soit plus permis de reculer. On est donc allés à Saint-Louis. Je m’en souviens, c’était une fin d’après-midi, il faisait nuit, l’air était humide et un vent glacial balayait les rues. Nous allions faire des adieux, moi fixant le trottoir et Fred le bonnet sur les yeux, en silence, sans parvenir à y trouver un sens. Quand on est entrés dans la chambre, Clément a tourné la tête vers nous en étirant un étrange sourire de squelette, et ça m’a fait mal au ventre de ne pas réussir à le soutenir. On s’est assis sur des chaises contre le mur et on est restés là, ratatinés sur nous-mêmes comme deux moineaux fébriles.
Sur la thématique de la ville, de la banlieue, je ne sais pas pourquoi mais ce texte par exemple m’a énormément parlé. Cette écriture à la serpe et cette crudité des gens « vrais » me touchent.
J’habitais toujours chez mes parents, à Rosny-sous-Bois, en proche banlieue. J’avais dévalé la colline par le sentier de terre battue, par les fourrés du petit bois où les types allaient discrètement bricoler, à l’époque ce n’était pas construit comme aujourd’hui, on était tranquilles pour se tripoter. En sortant du bois, j’avais descendu des rues sinistres bordées de maisons lugubres, et une fois en bas, au centre commercial, j’avais fendu le parking à ciel ouvert pour rejoindre la non moins lugubre gare de Rosny-Bois-Perrier. Sur le quai en plein vent, j’avais allumé une cigarette en attendant mon train. Je fumais des Flash 85, c’était du foin mais je m’en foutais, le paquet était tellement classe. Arrivé à la gare de l’Est, je n’étais pas passé par les pissotières, que j’avais pourtant pratiquées pendant des années, quand on ne sait pas où aller et qu’on est sur les dents on est bien obligé, seulement la lumière agressive des néons, l’odeur puissante et âcre de pisse et de détergent, cette manière qu’ont les hommes de se pencher en avant et de zieuter de travers, coincé entre un timide et un vieux vicelard, le foutre craché sur la faïence comme un mollard, ces décharges qui laissent un sentiment de dégoût, l’impression d’être un déchet parmi les déchets, ce jour-là je m’étais dit non merci, plus jamais.
Ayant passé la majeure partie du milieu des années 90 à toute la décennie 2000 à errer de clubs en soirées ou en bars, j’ai aussi aimé ce passage qui m’a remémoré les moments où j’observais mes coreligionnaires, alors que tout autour de moi s’enfonçait dans les brumes alcoolisées ou chimiques, je me posais souvent un peu à l’écart pour les embrasser de mon regard. La chute n’était pas la même à mon époque, et on est encore à un degré en plus de libération et de quiétude aujourd’hui, ce qui est autant incroyable, qu’inespéré, et une putain de bonne chose. Mais le texte a le mérite de se remettre exactement dans l’année 1995, c’est chirurgical et précis, mais ça fonctionne diablement bien.
Si bien que, ce jour-là, les derniers rayons de soleil, en plongeant à travers les immenses baies, éclairaient les visages, les épaules et les nuques d’une nuée veloutée. La scène m’a paru d’une beauté presque sacrée, l’espace d’une seconde j’ai même pensé que ma présence relevait d’un miracle. Le bar était bourré à craquer, personne ne se bousculait mais personne ne pouvait avancer, il y avait tellement de bruit que les mecs hurlaient, partout des cris, des rires aux éclats et, pardessus le boucan, dans les haut-parleurs Donna Summer chantait son tube planétaire. Sur des plages de synthétiseur, la diva du disco répétait en boucle qu’elle sentait l’amour monter. Ses vocalises de chatte amoureuse coulaient dans la lumière dorée de cette fin de journée, sur tous ces visages radieux, insouciants. L’image était d’une perfection telle que je pensais avoir vécu jusque-là dans l’attente de voir ce jour arriver. Je le sentais dans mon ventre, mon émotion était si vive que j’aurais pu en pleurer. Je ne savais pas si c’était de l’amour, mais moi aussi je sentais quelque chose monter. Le moment était venu de boire une bonne bière fraîche. Je me suis faufilé entre les torses en me disant que ma place était là, je venais de la trouver, il ne me restait plus qu’à la prendre et à l’occuper.
Mais ce dont j’étais à mille lieues de me douter, c’est qu’au moins la moitié des gens présents étaient contaminés, et donc condamné
C’est fou comme cette personne retombe dans l’inconnu, un peu comme Guillaume Dustan, et même chez les homos. Bien sûr, ces gens sont connus de beaucoup de monde, mais je vous assure qu’en moyenne ils sont bientôt totalement enfouis dans les limbes. ↩︎
C’est drôle, j’ai tout de suite pensé à cela… Les anges de Laramie, Wyoming, qui ont ainsi inventé une tenue pour obstruer le discours de monstres homophobes alors que Matthew Shepard était décédé. L’ange en figure de proue de l’article était Delphine dans « Le projet Laramie » monté par mon cher et tendre en 2012, un merveilleux souvenir de théâtre pour moi (je l’avais vu en 2006 au théâtre à Paris également).
Et je me suis ainsi rendu compte qu’il y a quelques jours, le 12 octobre, nous étions le 25ème anniversaire du meurtre homophobe de Matthew Shepard. C’est fou, tout me ramènera toujours à cet homonyme dont je me sens si proche. Né la même année que moi, il aurait donc le même âge. Et je me souviens tellement bien de cette année 1998, de toute ces découvertes et expériences d’émancipation. Le souvenir de Matthew est de plus en plus diffus, il est presque totalement ignoré des générations actuelles, et souvent une vague réminiscence pour les plus anciens. 1998 n’était pas encore assez versée dans les Internets pour que l’on puisse trouver des tas de traces dans la presse, et pourtant dieu sait que les médias ont fait couler de l’encre, aux US bien sûr, mais aussi chez nous.
Le Projet Laramie est une pièce de théâtre de Moisès Kaufman de 2000. Il s’agit d’un principe de pièce assez génial. Moisès et sa troupe sont allés à Laramie quelques jours après le crime, alors que Matthew était encore à l’hôpital, et ils sont restés même après son décès. Ils ont interviewé les gens du coin exactement comme dans un documentaire, mais la pièce consiste donc en des comédiens et comédiennes qui « jouent » ces entretiens incroyables.
En 2002, HBO a adapté la pièce dans un film extraordinaire que je vous conseille ardemment : « Le Laramie Project« . Les moindres figurants du film sont ultra-connus aujourd’hui, soit dans des séries, soit dans des films. Ce long-métrage semi-docu est vraiment fabuleux, et le jeu des acteurs et actrices absolument hors norme selon moi. Je reste hanté par ces images qui permettent aussi de réaliser quelle ville tranquille et classiquement américaine est Laramie, Wyoming.
Il y a aussi tout un passage terrible qui décrit l’endroit où Matthew a été laissé pour mort, sur une barrière. Cela me rappelle aussi cette citation du film. On imagine aussi ce qu’il voyait, les lumières de Laramie, qu’il aimait regarder de loin…
Cette histoire d’ange est l’idée de la meilleure copine de Matthew, qui est incarnée par Christina Ricci dans le film.
Pendant que Matthew est à l’hôpital et durant le procès de ses assassins, le révérend Phelps, tristement célèbre, est là avec ses zélotes. Il est là à crier et ahaner que le SIDA guérit de l’homosexualité et que god hates fags. C’était insupportable je pense de voir ces vociférations (légales) devant le tribunal et tous les journalistes qui s’entassaient là.
L’amie de Matthew a alors l’idée de découper de grandes toges blanches avec des ailes immenses d’anges, pour dissimuler complètement les homophobes. La scène est d’une puissance redoutable dans le film.
Il y a deux jours, un copain nous envoie cette info : une toute nouvelle initiative d’une Marche des Fiertés dans la région nantaise, mais dédiée au « Vignoble Nantais » et ses patelins. C’était à Clisson qui est une jolie ville du 44 avec un chouette patrimoine historique, mais qui est surtout connue pour abriter le Hell Fest bien sûr. Là on part sur une autre ambiance, et j’imagine bien ce qui devait trotter dans la tête de certaines personnes vues aujourd’hui sur le parcours (Mouahahahaha !).
On est arrivé assez en avance, et on a fait le petit tour classique de la ville qui est vraiment toute mignonne. On est dans une ambiance assez curieuse à Clisson, et elle est connue pour cela, c’est qu’on pourrait presque se croire en Toscane, et alors pas du tout en Bretagne (la ville faisait partie du Duché de Bretagne). La Sèvres Nantaise passe dans le centre-ville avec un pont en pierres absolument pittoresque qui permet de la traverser. Et entre la vue des maisons au bord de la rivière, la forteresse en hauteur absolument gigantesque (même si ruinée) et l’église Notre Dame de Clisson (trèèèèès italienne dans l’architecture), on est dans un décor vraiment cool.
Le rassemblement s’est fait à 16h30 devant la gare SNCF de Clisson, et on a vu peu à peu des drapeaux LGBT divers et variés converger sur le parvis. Finalement, il me semble que ce sont près de 200 personnes qui se sont ainsi retrouvées pour cette première marche des fiertés.
Le parcours était finalement assez ambitieux, et on a marché pendant près d’une heure. Et comme souvent, j’ai beaucoup aimé et remarqué les pancartes des manifestant·e·s, il y avait de belles trouvailles. ^^
Et globalement c’était très fun, ce n’était pas aussi fou et surprenant que celle de Quimper, mais c’était une chouette initiative que je suis content d’avoir accompagné de ma présence. Le seul char présent diffusait de la musique et ce n’était pas vraiment suffisant pour animer l’ensemble de la marche, mais il faut un début à tout. C’était une miniature de camion avec une baffle, et l’image était vraiment drôle en elle-même.
C’est vraiment drôle cette subdivision des marches, et cette appropriation des luttes LGBT dans des zones de plus en plus diffuses. Je revois bien les tronches de certaines personnes de Clisson qui étaient un peu choquées ou en tout cas gênées par la marche. C’est une bonne raison en soi de faire cette manifestation en réalité ! Je me dis toujours que la Pride parisienne faisait dire aux gens en province « oh mais c’est juste à Paris ces gens-là »… Et puis « oh les homos, c’est un truc de grande ville… ». Mais on en est à des villes moyennes avec un maillage en France incroyablement fin, et là on attaque carrément la ruralité. C’est vraiment la qualité première pour moi de toutes ces nouvelles marches, c’est une visibilité absolument utile et nécessaire pour que les LGBT puissent se sentir bien dans leurs baskets où que ce soit.
Je voulais partager cet excellent épisode de Radiolab qui continue à produire un superbe podcast depuis plus de vingt ans maintenant. A présent c’est Latif Nasser et Lulu Miller qui présentent le show, et là en l’occurrence c’est un épisode qui se concentre sur cette dernière. J’ai trouvé très intéressant, comme d’habitude, cette enquête mais c’est l’introspection de Lulu qui est géniale et qui rend cette écoute particulièrement passionnante.