Iwak #12 – Déchiré

Dans la nuit du 6 au 7 octobre 1998, Matthew Shepard a été battu puis laissé pour mort attaché à une barrière. J’en parle depuis que je blogue, donc ça commence à faire quelques articles à ce sujet, et je crois que j’en parlerais toute ma vie, comme j’y penserai toute ma vie. Nous sommes de la même année, 1976, et dès l’annonce de son attaque, et l’immense répercussion mondiale que cela a provoqué, je ne peux que m’identifier avec lui (en plus du prénom bien sûr ^^ ). Il était à peine vivant lorsqu’il a été retrouvé puis hospitalisé, et le 12 octobre 1998, il est décédé. C’était il y a 27 ans aujourd’hui.

OOups.net était ma référence à l’époque, et ça été un site web de news LGBT francophone essentiel à l’époque. Rapidement, on a aussi eu des infos dans les journaux TV, mais c’était évidemment toujours un entrefilet qui n’avait que peu touché les grandes masses. Je me rappelle tout de même qu’à Paris, je venais d’y emménager six mois avant, il y avait une certaine effervescence autour de la mort de Matthew, et que cela avait tout de même au moins permis d’avancer la lutte contre l’homophobie.

Le film « Le projet Laramie » en 2002, qui est issu d’une pièce de théâtre absolument incroyable du même nom (de Moisés Kaufman), est un génial témoignage de toute cette histoire. C’est selon moi essentiel à voir pour tous les pédés de la Terre. ^^ Moisés Kaufman et sa troupe de théâtre sont allés à Laramie juste après le meurtre de Matthew, et ils ont interviewé tous les protagonistes de l’époque, famille, amis, proches, police, serveur du bar, et simples habitants de Laramie. Les comédiens (re)jouent ces interviews, et c’est une forme théâtrale étonnamment efficace et émouvante.

Nous sommes aujourd’hui dans une époque bien différente de connectivité et d’accès à l’information. Je me souviens de mes nuits de 1998 dans mon appartement de la rue Saint Sabin à surfer avec mon modem 56k (biiiiiip zooooouuuu frfrfrfrfrfrfrfrfrf biiiiiiiiiiippppp) avec une facture téléphonique dangereuse pour mon petit budget d’étudiant en alternance. Sans télévision, j’écoutais la radio tout le temps, et notamment France Culture avec ses « nuits magnétiques« , et je surfais évidemment, sur Citégay, sur Caramail pour tchater avec d’autres gays, et je lisais OOups et ses pages toutes simples, en HTML en noir sur fond blanc. Personne n’était encore sur les Internets, et ma mère disait d’un air suspicieux et inquiet à mes tantes : « Mathieu parle à des gens qu’il ne connaît même pas sur Internet, c’est bizarre. »

Je me souviens le déchirement après avoir eu vent de cette information là, et je me souviens avoir lu et relu, tout ce que je pouvais trouver sur le sujet. Je savais les homos qui se faisaient aussi tabasser dans les lieux de drague à Paris ou ailleurs, et là à 22 ans, cette vie qui était déjà consumée, c’était aussi la mienne, éventuellement.

Il est resté des heures attachés à cette barrière du Wyoming, le visage en sang, en souffrance. Et je garde en moi cette citation de la policière qui l’a retrouvé au petit matin :

Le seul endroit où il n’y avait pas de sang sur son visage, c’était là où ses larmes avaient coulé.

Iwak #16 – Ange

C’est drôle, j’ai tout de suite pensé à cela… Les anges de Laramie, Wyoming, qui ont ainsi inventé une tenue pour obstruer le discours de monstres homophobes alors que Matthew Shepard était décédé. L’ange en figure de proue de l’article était Delphine dans « Le projet Laramie » monté par mon cher et tendre en 2012, un merveilleux souvenir de théâtre pour moi (je l’avais vu en 2006 au théâtre à Paris également).

Et je me suis ainsi rendu compte qu’il y a quelques jours, le 12 octobre, nous étions le 25ème anniversaire du meurtre homophobe de Matthew Shepard. C’est fou, tout me ramènera toujours à cet homonyme dont je me sens si proche. Né la même année que moi, il aurait donc le même âge. Et je me souviens tellement bien de cette année 1998, de toute ces découvertes et expériences d’émancipation. Le souvenir de Matthew est de plus en plus diffus, il est presque totalement ignoré des générations actuelles, et souvent une vague réminiscence pour les plus anciens. 1998 n’était pas encore assez versée dans les Internets pour que l’on puisse trouver des tas de traces dans la presse, et pourtant dieu sait que les médias ont fait couler de l’encre, aux US bien sûr, mais aussi chez nous.

Le Projet Laramie est une pièce de théâtre de Moisès Kaufman de 2000. Il s’agit d’un principe de pièce assez génial. Moisès et sa troupe sont allés à Laramie quelques jours après le crime, alors que Matthew était encore à l’hôpital, et ils sont restés même après son décès. Ils ont interviewé les gens du coin exactement comme dans un documentaire, mais la pièce consiste donc en des comédiens et comédiennes qui « jouent » ces entretiens incroyables.

En 2002, HBO a adapté la pièce dans un film extraordinaire que je vous conseille ardemment : « Le Laramie Project« . Les moindres figurants du film sont ultra-connus aujourd’hui, soit dans des séries, soit dans des films. Ce long-métrage semi-docu est vraiment fabuleux, et le jeu des acteurs et actrices absolument hors norme selon moi. Je reste hanté par ces images qui permettent aussi de réaliser quelle ville tranquille et classiquement américaine est Laramie, Wyoming.

Il y a aussi tout un passage terrible qui décrit l’endroit où Matthew a été laissé pour mort, sur une barrière. Cela me rappelle aussi cette citation du film. On imagine aussi ce qu’il voyait, les lumières de Laramie, qu’il aimait regarder de loin…

Cette histoire d’ange est l’idée de la meilleure copine de Matthew, qui est incarnée par Christina Ricci dans le film.

Pendant que Matthew est à l’hôpital et durant le procès de ses assassins, le révérend Phelps, tristement célèbre, est là avec ses zélotes. Il est là à crier et ahaner que le SIDA guérit de l’homosexualité et que god hates fags. C’était insupportable je pense de voir ces vociférations (légales) devant le tribunal et tous les journalistes qui s’entassaient là.

L’amie de Matthew a alors l’idée de découper de grandes toges blanches avec des ailes immenses d’anges, pour dissimuler complètement les homophobes. La scène est d’une puissance redoutable dans le film.

C’est ça des anges.