Napoléon (Ridley Scott)

Je n’y allais vraiment pas du tout rassuré par les différentes critiques que j’avais lu au sujet de ce film. Mais bah moi, j’ai bien aimé ce film. Ce n’est pas un chef d’œuvre qui marquera l’histoire du cinématographe, et ce n’est certes pas le Napoléon (1927) d’Abel Gance. Mais c’est un très beau film en costumes, plutôt bien réalisé, qui propose son biopic d’un grand personnage historique avec assez de panache, d’originalité et une action soutenue, et sans, il me semble, des énormes conneries super honteuses sur not’ Empereur des Français.

Alors évidemment, il manque des tas de trucs, énormément d’information, de faits majeurs et même des pans entiers de l’histoire napoléonienne, mais en 2h40 c’est déjà bien de réussir à faire le tour des péripéties les plus marquantes, et d’essayer de dresser un portrait plus ou moins télégénique. C’est-à-dire de mettre un peu de charisme déformant sur le gars, d’ajouter de la passion amoureuse, quelques travers bien franchouillards, et de conclure malgré tout sur le nombre de morts dans ses guerres pour rappeler que c’était un grand boucher de l’histoire. Mais donc c’est vrai qu’on a rien de la campagne d’Italie, ni sur les changements politiques et administratifs en France (qui sont énormes), ni le rétablissement du code noir dans les Antilles, les exécutions dont le célèbre tableau de Goya témoigne, ou encore les 134 départements français en 1812 (la France n’en a jamais comporté autant), ou même les rapports avec les maréchaux d’Empire, sa famille ou le peuple.

Mais malgré tous ces manques, on a un récit assez circonstancié qui nous mène de la Révolution Française, vers l’accession au pouvoir d’un général ambitieux et talentueux, surtout doué pour la guerre évidemment, et jusqu’à cet Empire des Français incroyable après une monarchie dont on venait tout juste de se débarrasser. Et surtout il y a Joaquin Phoenix qui est égal à lui-même c’est à dire complètement dingue dans ce rôle. On le sent totalement possédé par le personnage et d’une authenticité très « Actors Studio » (même si le comédien affirme ne pas du tout utiliser cette approche). Et donc même si on peut raisonnablement mettre en doute le choix d’incarnation d’un Napoléon aussi fantasque que colérique, et amoureux passionné de Joséphine au point de se faire mener par le bout du nez (tout en la dominant clairement, c’est assez étrange et bien foutu comme relation), la proposition a le mérité d’être crédible dans le film. Joaquin Phoenix en Napoléon et Vanessa Kirby en Joséphine jouent remarquablement bien, et ça aide carrément je pense à rendre le film tout à fait digeste.

Les décors et les costumes sont somptueux, vraiment superbes à tout point de vue, et le détail de la scène de couronnement qui se veut une réplique du fameux tableau de David force le respect. Enfin Ridley Scott s’est éclaté sur les scènes de bataille, et on sent que c’était vraiment ce qui animait le réalisateur. On a des moments épiques et diablement bien filmés, avec énormément de figurants, des décors réels à grands renforts de plans aériens qui montrent les stratégies de plans de bataille, et comment les affrontements se faisaient en avançant comme sur un échiquier. Il y a un mélange très habile de plans réels et d’images de synthèse, avec un montage très dynamique et efficace, qui produisent une action très soutenue. Globalement le film alterne bien entre les moments de guerre et sa progression en tant qu’homme d’état. Et comme rien n’est calme, cela a au moins le mérite de produire un film historique très enlevé et romanesque.

On oublie rapidement que la langue n’est pas la bonne, mais surtout parce que l’anglais est devenu une lingua franca des films et séries TV. J’aurais été choqué pour n’importe quelle autre langue sans doute. C’est un petit peu étrange quand il se bat contre les anglais à Toulon, car tous parlent la même langue, mais ça prête juste à sourire.

Le point d’orgue dans les batailles est sans doute Austerlitz qui est un très beau moment de cinéma. Même si Ridley Scott fait de l’anecdote un point central, cette scène de la fuite des armées sur un lac gelé, avec l’artillerie qui fait céder la couche de glace, et les ennemis : hommes, chevaux et canons, qui disparaissent dans les eaux glacés est vraiment à couper le souffle.

Mais on sent tout de même que le film est « trop court », et qu’on a eu la main lourde sur le montage (pauvre Ludivine Sagnier a été coupée sur cette version cinéma). Comme la version Apple fait 4h30, on ressent tout de même que l’enchainement d’événements là est un peu trop saccadé et « pressé ». A peine a-t-il libéré Toulon, qu’il devient général de Brigade, et hop le Directoire, et il est déjà premier consul, et on n’attend pas dix minutes que l’Empire est là. Et c’est un peu pareil pour sa relation avec Joséphine. Donc c’est compliqué car on peut lui reprocher de n’en dire pas assez, mais il dure déjà 2h40 et a un montage hyper serré.

Eh bien globalement, avec ces contraintes, avoir réussi à traiter aussi la chute avec la retraite de Russie, quelques scènes bien senties avec Talleyrand (sacré Charles-Maurice !), la période île d’Elbe et son retour flamboyant pour les 100 jours, avant la fin des haricots à Ste-Hélène, c’est une chouette réussite. Avec un Joaquin Phoenix évidement omniprésent et particulièrement investi, de beaux costumes et décors, un fond historique pas déconnant, et une action soutenue, j’ai passé un bon moment.