Don’t be a sucker! (1943)

Il y a un extrait édifiant de ce film de propagande américain de 1943 qui circule sur les Internets, et je trouve que ça valait le coup de le mettre en ligne ici.

C’est fou qu’il y a 80 ans, on faisait aux USA un film pareil qui explique comme à des enfants pourquoi il ne faut pas être raciste ou s’en prendre à des minorités, et les dangers du fascisme, mais on est revenu à l’instauration insidieuse d’un système factieux dans ce même pays aujourd’hui. Et comme d’habitude, nous nous récupérons ce qu’il se passe aux US avec quelques années de décalage (de moins en moins d’ailleurs avec la globalisation allant crescendo), donc cette chienlit est l’exacte situation dans laquelle nous sommes aussi.

Lee Miller

Voilà exactement le genre de film qui pourrait être un chouïa décevant parce que formellement un peu plat et convenu. Mais c’est tout le contraire, parce que son histoire est juste DINGUE !! Et les comédiennes et comédiens sont impeccables, avec une photo superbe, et juste passionnant par sa narration. Quoi de plus fou que de raconter une histoire vraie qui relie la petite à la grande, et qui en elle-même se suffit avec son héroïne, son action trépidante, ses amours pimentées et qui est presque complètement inconnue du grand public ?

Donc on pardonne le côté un peu maladroit de la mise en scène ou même de son articulation et son rythme. On pardonne aisément car Kate Winslet est incroyable, sur tous les plans et sur tous les plans ! Elle irradie de son charisme, et elle nous fait comprendre l’aura même de cette Lee Miller qui méritait bien qu’on la connaisse après toutes ces années d’un relatif anonymat. Et en plus de cela, on a une Marion Cotillard toujours aussi sublime, et Noémie Merlant que décidément je trouve excellente, ou Alexander Skarsgård qui confirme son talent.

Mais le truc fou et génial du film repose donc sur cette histoire, tout bêtement chronologique, qui raconte la vie de Lee Miller… Une mannequin américaine, devenue égérie, muse puis photographe, grâce à Man Ray, parmi les surréalistes. Et voilà comment elle fréquente en toute intimité Éluard (et son épouse Nusch), Cocteau et Picasso… La guerre arrive, elle bosse pour Vogue à Londres en tant que photographe de mode, et rapidement en tant que photographe et grand reporter de guerre. Elle arrive à partir pour photographier le blitz avec un photographe américain de Life (David Sherman qui sera un amant). Elle couvre aussi une partie du débarquement (on voit St Malo dans le film notamment). De retour dans un Paris libéré, elle comprend que beaucoup de gens ont été déportés et manquent à l’appel, ses anciens amis sont gravement touchés par l’occupation de Paris. Elle prend alors la route en 1945, et avec David Sherman, elle traverse les pays ravagés par les bombardements et la guerre. Et c’est comme cela qu’elle arrive en Allemagne, et qu’elle rend compte dans ses milliers de photos de villes anéanties. Mais elle est aussi là à l’ouverture des camps de Dachau et Buchenwald, et elle documente tout ça.

Après cette intense et troublante période, et en plus de l’alcool qu’on comprend a permis aussi de supporter toutes ces macabres découvertes et bouleversante humanité en miettes, elle ne travaille plus vraiment, et c’est son fils qui a finalement redécouvert tout le travail (60 000 photographies au grenier) de sa mère dans les années 90.

Vous comprendrez donc que le film vaut déjà juste pour savoir et comprendre tout de cette vie là, dont l’exception seule vaut le coup d’œil. Mais en plus, avec une Kate Winslet aussi excellente et convaincue, on est suspendu et souffle coupé par le déroulé de cette existence hors norme et si discrète ou invisible à la fois (le fait qu’elle soit une femme n’y est évidement pas étranger). Il est dommage de ne pas avoir eu une manière un peu plus habile et subtile de raconter tout cela, on aurait vraiment frôlé le génie.

On découvre à la fin du film que les différentes scènes sont de parfaites reconstitutions de certaines photos de la photographes, et certaines où elle pose elle-même. On peut saluer là aussi la prouesse de ces reconstitutions, avec des costumes et décors vraiment extraordinaires. Et évidemment les scènes de découverte des camps de la mort sont aussi insoutenables que brillamment « montrées », avec notamment l’expression des soldats ou photographes à l’odeur qui émane des wagons, aux portes cadenassées, plein des cadavres en putréfaction des prisonniers qui sont morts avant même d’arriver dans les camps. Elle a aussi photographié les presque-survivants qui rodaient alors dans les baraquements, hagards et les yeux dans le vide… Terrible vision.

Et comme une ironie du sort, dont la véracité frappe l’imagination, il fallait vraiment que ce soit vrai pour qu’on puisse écrire une scène pareille. Lee Miller s’est retrouvée par hasard dans une maison d’Hitler, occupée par des soldats américains qui s’y restaurent et reposent. Il y a l’eau chaude courante dans la salle de bains. Elle se fait couler un bain après des semaines d’errance sans hygiène. Elle demande à David (Andy Samberg) de l’y photographier avec un portrait d’Hitler, en mettant en scène quelques éléments en plus de ses chaussures crades sur le tapis de bain. Cette photo dépasse bien sûr l’entendement.

On se dit tout de suite après la fin du film qu’elle et son œuvre devraient avoir une place de choix dans des musées ou même un lieu pour elle. En tout cas, il est bienheureux qu’un tel film existe pour ce coup de projecteur plus que mérité.

Insoluble dissolution

J’ai retrouvé cette photo du 16 juin 2004 que j’avais prise aux abords du boulot (à Suresnes) et qui figure Nicolas Bay (aujourd’hui Reconquête, à l’époque avec Bruno Mégret, soit 20 années d’extrême droite bien malodorantes et nazillardes). Des étrons ont été gracieusement collés sur son sourire torve et on peut lire « quand on a des idées de merde, il faut que ça sorte ». CQFD.

Rien n’a changé sinon que nous sommes arrivés à ce moment redouté, où une majorité vraiment importante d’électeurs a choisi de voter pour l’extrême droite, les ligues d’hier n’ont vraiment pas à rougir de celles d’aujourd’hui. Mais nous oui. Et je suppose que tout participe à l’explication : de la bêtise crasse, à l’espoir vain de quelques candides, en passant par le vrai racisme, l’arnaque en bonne et due forme, ou les attentes inespérées d’une France rancie. Ite missa est.

J’ai moi-même voté (par procuration) écolo, pour tout vous dire, ce dimanche. C’était entre Glucksmann et ça, mais je suis de plus en plus persuadé que l’écologie politique est une sorte d’évidence, au vu de nos enjeux actuels, et qui doit redonner justement du sens à la politique et à l’organisation de nos sociétés. C’était terrible de voir cette carte du Monde toute marron de cette extrème-droite ainsi étronisée par le peuple.

A l’exception de quelques grandes villes (bon, on a au moins fait le bon choix en s’installant à Nantes ^^ ), vraiment le schéma est troublant d’homogénéité hexagonale (y compris hors métropole). Il faut se rendre à l’évidence et accepter aussi le résultat des urnes, tout en fomentant une réponse à la hauteur de ce danger qui plane sur nous, et de ce qu’à court terme nous avons engendré à l’échelle européenne.

Mais voilà t’y pas qu’une autre échelle nous est tombée sur le coin de la binette dimanche soir, avec not’ bon président qui nous dissout l’assemblée avec un certain panache !! Et j’ai beau honnir politiquement le type, je n’arrive pas à savoir si c’est une bonne, mauvaise, bonne mauvaise ou mauvaise bonne idée. ^^

S’il ne faisait rien, on aurait pu continuer à grogner sur son attitude jupitérienne et hautaine. En démissionnant, il mettait clairement en danger la démocratie et ouvrait la voie présidentielle à cette chienlit personnifiée. En dissolvant l’assemblée, on aura peut-être un gouvernement d’extrême-droite mais en cohabitation avec Jupiter, qui nous a bien dit qu’il n’avait plus aucune ambition personnelle, sinon celle de servir la France (et ça m’a touché, oui ok, je suis un peu niais ^^ ). Cela assurerait que ce gouvernement sera tellement décrédibilisé en 2027 qu’on ne risque plus rien ? Oui c’est un sacré pari.

Soit c’est une autre cohabitation qui arrive, et on verra bien ? Soit c’est la macronie qui regagne des galons, mais je n’y crois vraiment pas. J’ai même lu qu’en démissionnant, il pourrait peut-être reconcourir pour un éventuel troisième mandat, ce qui serait bien croquignolet (mais apparemment ce serait anticonstitutionnel). En tout cas, ça a eut le mérite d’un sacré coup de fouet, et même de faire sortir du bois le président des LR qui a enfin assumé ses accointances fachos.

Je croise les doigts pour que le Front Populaire soit un mouvement bien tangible, et qu’on mette de côté les bisbilles, aussi importantes soient elles, pour se rassembler et faire front à gauche.

Mais au-delà de ces tergiversations, ça y est, nous sommes dans une scène de plus de Years and Years, et juste ça ça fait très peur.

La Zone d’intérêt (Jonathan Glazer)

J’avais vraiment beaucoup de curiosité pour ce film tout en ayant pas lu grand chose à son sujet. Et comme beaucoup, je me demandais comment filmer une histoire pareille, et les répercussions ou les messages passés plus ou moins subliminalement à montrer des nazis aussi comme des gens « comme tout le monde ». Mais j’ai trouvé le stratagème brillant et simple comme tout au final. Et ça fonctionne terriblement bien, et le film a donc tout son intérêt et déploie toute ses qualités au fur et à mesure que l’intrigue (très fine) se déroule.

Il faut dire que l’intrigue est secondaire, puisque ce sont les deux personnages centraux, et historiques, qui tiennent le film, et donc l’acteur et l’actrice qui les incarnent au premier chef. Le film évoque la vie quotidienne du directeur des camps de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau et de son épouse : Rudolf (Christian Friedel) et Hedwig Höss (Sandra Hüller).

Mais on ne verra jamais directement les camps, ni même les prisonniers, ou fugacement, on est vraiment dans la facette de vie quotidienne où la famille Höss vit dans une grande et luxueuse maison avec un immense jardin (à quelques mètres des murs d’enceinte des camps de la mort), et profite aussi de la nature des environs pour faire des pique-niques et se baigner dans une rivière. Le film insiste bien sur cette vision idyllique du couple avec ses enfants, et sur l’attention portée à l’équipement de la maison, les nombreuses plantes et fleurs qui ornent le jardin, la piscine et les tobogans pour les enfants et leurs amis etc.

Mais on n’est jamais dupe, car il y a trop d’indices qui montrent où on est et ce qu’il s’y passe. Et cela rend la vision idéale de cet endroit encore plus flippant et empreint d’une odeur absolument méphistophélique. La vue étant troublée par ce qu’on voit, Jonathan Glazer utilise beaucoup le son pour nous faire comprendre ce qu’il se passe à quelques mètres. Et on a donc une bande-son terrible à base de cris, de pleurs, d’aboiement, d’insultes et de coups de feu, mais tout est étouffé et comme feutré, et parfaitement ignoré ou feint par les Höss, et surtout par Hedwig.

Cette dernière est la plus dingue et elle respire littéralement la folie à chaque plan. Elle se focalise complètement sur la chance qu’elle a, et les efforts qu’elle met à avoir son paradis à elle. D’ailleurs quand l’occasion est donnée à déménager à Berlin, elle refuse tout de go, et fait des pieds et des mains pour rester dans cet environnement paradisiaque et idéal pour élever leurs enfants.

On aperçoit en même temps par les interstices du film des prisonniers émaciés et en guenilles qui viennent rapidement et le plus discrètement possible, véritables esclaves apeurés et déshumanisés, chercher les bottes du commandant pour les nettoyer lorsqu’il rentre chez lui le soir, ou préparer son cheval pour qu’il parte pour ses inspections. On n’en verra pas plus, sinon les cheminées qui crachent fumées noires, flammes et braises, et le balai des convois qui est évoqué en filigrane.

On comprend juste que tout est affaire de logistique et d’efficacité, et que c’est la spécialité de Rudolf Höss. Il est célébré comme le meilleur et celui aux méthodes les plus productives. Il présente des plans pour améliorer les procédés d’élimination, depuis l’arrivée des trains à la tuerie en masse, puis à la suppression des corps de manière industrielle et parfaitement maîtrisée : comme des rouages bien huilées et à la redoutable ingénierie et ingéniosité. Pendant ce temps, Hedwig et ses amies se partagent les manteaux de fourrure des femmes juives qui sont arrivées pour mourir dans le camps, et en toute conscience pérorent sur le bienfondé de leur destin.

Et tout cela avec cette démonstration continue de petit paradis exclusif, mais qui donc sue un soufre démoniaque de tous ses pores. La démonstration la plus explicite vient avec la visite de la mère d’Hedwig qui essaie de se convaincre que sa fille a décroché la timbale, et vit vraiment dans un endroit superbe. Mais alors qu’Hedwig est tout sourire et paraît guillerette, sa mère ne peut s’empêcher de tousser avec les fumées qui les entourent, et de s’inquiéter de ces murs d’enceinte si proches, d’entendre les bruits et cris du camp, et de voir ces cheminées qui crachent du feu et de comprendre parfaitement ce qui s’y trame. Elle fuit la maison le lendemain en secret, sans ne rien dire à personne, au grand dam de sa fille.

On a aussi les enfants qui s’amusent dans la rivière avec leur père, et qui doivent en sortir urgemment, car Rudolf Höss réalise que des morceaux d’os humains sont charriés par les eaux.

Bref ce procédé m’a vraiment paru aussi flippant qu’efficace, et en filigrane il permet de comprendre un peu mieux les personnalités de ce couple « extraordinaire ». Et même si on comprend aussi que c’était des êtres humains et des familles qui vivaient là avec leurs enfants, on a la juste et complète peinture avec le peu qui transparaît et dont le pouvoir suggestif est tout sauf négligeable.

En revanche, Jonathan Glazer a rajouté des effets qui m’ont paru un peu trop décalé et « arty » et peu nécessaire. On a ces passages où une petite fille se déplace la nuit pour mettre des pommes un peu partout sur le passage des prisonniers et travailleurs forcés. C’est filmé en « négatif » peut-être pour montrer l’envers du décor, mais ça ne sert pas très bien le propos selon moi, et c’est juste bizarre. De même les plans abruptement disposés à la fin du film entre une scène avec Rudolf Höss et la manière dont les femmes de ménage préparent le site historique actuel d’Auschwitz ne m’ont pas convaincu. C’était très bien de filmer et de monter ces scènes, mais ç’aurait pu être fait avec moins d’emphase. Le film est bien assez flippant comme ça.

Je retiens vraiment l’intérêt de voir la vie de ces personnes, et ce parti pris de ne pas montrer l’extermination de manière directe, mais bien de se focaliser sur le « paradis » pour le rendre encore plus malaisant et malfaisant, véritable illusion de théâtre derrière une usine à torturer, tuer et incinérer les gens.

Sandra Hüller déjà vu dans Anatomie d’une chute aurait aussi largement mérité un prix pour ce rôle, c’est assez fou d’ailleurs puisque c’est un sacré grand écart de jeu, mais elle confirme un talent vraiment dingue.

Je vous conseille la critique ci-dessous d’une keupine des Internets, je souscris à la plupart de ses remarques. Et il écrit fort bien !!