Lee Miller

Voilà exactement le genre de film qui pourrait être un chouïa décevant parce que formellement un peu plat et convenu. Mais c’est tout le contraire, parce que son histoire est juste DINGUE !! Et les comédiennes et comédiens sont impeccables, avec une photo superbe, et juste passionnant par sa narration. Quoi de plus fou que de raconter une histoire vraie qui relie la petite à la grande, et qui en elle-même se suffit avec son héroïne, son action trépidante, ses amours pimentées et qui est presque complètement inconnue du grand public ?

Donc on pardonne le côté un peu maladroit de la mise en scène ou même de son articulation et son rythme. On pardonne aisément car Kate Winslet est incroyable, sur tous les plans et sur tous les plans ! Elle irradie de son charisme, et elle nous fait comprendre l’aura même de cette Lee Miller qui méritait bien qu’on la connaisse après toutes ces années d’un relatif anonymat. Et en plus de cela, on a une Marion Cotillard toujours aussi sublime, et Noémie Merlant que décidément je trouve excellente, ou Alexander Skarsgård qui confirme son talent.

Mais le truc fou et génial du film repose donc sur cette histoire, tout bêtement chronologique, qui raconte la vie de Lee Miller… Une mannequin américaine, devenue égérie, muse puis photographe, grâce à Man Ray, parmi les surréalistes. Et voilà comment elle fréquente en toute intimité Éluard (et son épouse Nusch), Cocteau et Picasso… La guerre arrive, elle bosse pour Vogue à Londres en tant que photographe de mode, et rapidement en tant que photographe et grand reporter de guerre. Elle arrive à partir pour photographier le blitz avec un photographe américain de Life (David Sherman qui sera un amant). Elle couvre aussi une partie du débarquement (on voit St Malo dans le film notamment). De retour dans un Paris libéré, elle comprend que beaucoup de gens ont été déportés et manquent à l’appel, ses anciens amis sont gravement touchés par l’occupation de Paris. Elle prend alors la route en 1945, et avec David Sherman, elle traverse les pays ravagés par les bombardements et la guerre. Et c’est comme cela qu’elle arrive en Allemagne, et qu’elle rend compte dans ses milliers de photos de villes anéanties. Mais elle est aussi là à l’ouverture des camps de Dachau et Buchenwald, et elle documente tout ça.

Après cette intense et troublante période, et en plus de l’alcool qu’on comprend a permis aussi de supporter toutes ces macabres découvertes et bouleversante humanité en miettes, elle ne travaille plus vraiment, et c’est son fils qui a finalement redécouvert tout le travail (60 000 photographies au grenier) de sa mère dans les années 90.

Vous comprendrez donc que le film vaut déjà juste pour savoir et comprendre tout de cette vie là, dont l’exception seule vaut le coup d’œil. Mais en plus, avec une Kate Winslet aussi excellente et convaincue, on est suspendu et souffle coupé par le déroulé de cette existence hors norme et si discrète ou invisible à la fois (le fait qu’elle soit une femme n’y est évidement pas étranger). Il est dommage de ne pas avoir eu une manière un peu plus habile et subtile de raconter tout cela, on aurait vraiment frôlé le génie.

On découvre à la fin du film que les différentes scènes sont de parfaites reconstitutions de certaines photos de la photographes, et certaines où elle pose elle-même. On peut saluer là aussi la prouesse de ces reconstitutions, avec des costumes et décors vraiment extraordinaires. Et évidemment les scènes de découverte des camps de la mort sont aussi insoutenables que brillamment « montrées », avec notamment l’expression des soldats ou photographes à l’odeur qui émane des wagons, aux portes cadenassées, plein des cadavres en putréfaction des prisonniers qui sont morts avant même d’arriver dans les camps. Elle a aussi photographié les presque-survivants qui rodaient alors dans les baraquements, hagards et les yeux dans le vide… Terrible vision.

Et comme une ironie du sort, dont la véracité frappe l’imagination, il fallait vraiment que ce soit vrai pour qu’on puisse écrire une scène pareille. Lee Miller s’est retrouvée par hasard dans une maison d’Hitler, occupée par des soldats américains qui s’y restaurent et reposent. Il y a l’eau chaude courante dans la salle de bains. Elle se fait couler un bain après des semaines d’errance sans hygiène. Elle demande à David (Andy Samberg) de l’y photographier avec un portrait d’Hitler, en mettant en scène quelques éléments en plus de ses chaussures crades sur le tapis de bain. Cette photo dépasse bien sûr l’entendement.

On se dit tout de suite après la fin du film qu’elle et son œuvre devraient avoir une place de choix dans des musées ou même un lieu pour elle. En tout cas, il est bienheureux qu’un tel film existe pour ce coup de projecteur plus que mérité.