ANOHNI and the Johnsons (Festival Days Off à la Philharmonie de Paris)

Lorsque ANOHNI hier a commencé à demander à la cantonade si des gens étaient là en 2006 à l’Olympia, j’ai pesté en moi-même comme je l’ai fait sur ce blog à l’époque. Je connaissais tout juste le chanteur qui s’appelait alors Antony (and the Johnsons), mais je rêvais déjà de le voir sur scène. Depuis, je pense malgré tout n’avoir manqué que peu de ses concerts parisiens. Il y eu cette première fois au Grand Rex en 2009, trois fois à la salle Pleyel (en 2009 aussi, il faut abuser des bonnes choses), dont une fois déjà pour le Festival Days Off en 2012, et en 2013 à l’invitation de l’inénarrable Laurie Anderson. A chaque fois, c’était un peu moins Antony, et ANOHNI qui se profilait telle un papillon en train de quitter sa chrysalide.

Et il y a sept ans (le post est dans ma liste de rattrapage des années de maigre blog), j’ai eu la chance de voir ANOHNI à la (toute neuve) Philharmonie de Paris. Quelle révélation !! L’album était incroyable, mais la chanteuse et ses performances aussi. Il y avait eu bien sûr une petite déception d’avoir perdu Antony et son univers (et les morceaux cultes de l’époque), même si ses lamentations étaient toujours là, mais un bonheur extraordinaire de partager cette révélation de soi, cette célébration d’une femme dont l’éclosion nécessitait un tournant artistique.

Et nous voilà en 2024, certes Antony n’est plus, mais ANOHNI est « and the Johnsons », et la voix est intacte. De plus j’ai adoré son dernier album, et comme d’habitude elle nous a gratifié d’un concert qui fut un moment d’exception, suspendu dans le temps. La communauté d’adelphes ainsi rassemblée a eu le souffle coupé comme moi pendant une bonne partie du show, tant il frise la perfection.

Formellement déjà, c’est une chanteuse d’exception, mais en plus les musiciens qui l’entourent sont ultra talentueux, et le son de la Philharmonie rend parfaitement hommage à leurs qualités. ANOHNI m’est apparue comme un étrange mix entre Lisa Gerrard et Björk. Les deux pour son allure de diva et la manière dont son aura occupe l’espace, dont sa stature et ses robes s’imposent à nous. Mais la première pour la voix qui nous habite dès les premières notes, et ne nous lâcheront jamais, aussi pour cette voix qui est son instrument et dont il joue pour nous toucher par ses modulations, son vibrato et l’ensemble de ses prouesses vocales. La seconde pour une créativité sans relâche, une droiture dans son art, pour le goût de la démesure et d’une singularité qui nous ont amené jusqu’ici, avec la surprise qu’elle a elle-même exprimé d’avoir eu du succès.

D’ailleurs ce début (et la fin) de concert avec une figure tout à fait björkesque qui danse avec des bois immenses n’est pas anodin. ^^

Mais au-delà de tout cela, ANOHNI s’est peut-être réconciliée avec Antony et embrasse sans ambages l’ensemble de son répertoire. Et elle l’étend au-delà de nos espérances, en conservant ses lamentations poétiques, son blues syncopé, son gospel transfiguré, son spleen divinisé, une sorte de free jazz où quelques phrases sont répétés et modulées, et où elle fait mouche à chaque titre. Car il faut aussi écouter les paroles, elle ne fait pas que chanter, elle raconte quelque chose à chaque morceau.

En plus de cela, elle propose des vidéos très touchantes et avec un impact très fort pour chaque chanson. On y voit beaucoup de femmes trans, dont Marsha P. Johnson lors d’une interview bouleversante.

C’était la première fois, étonnamment, que j’arrivais à embarquer mon petit mari avec moi, et j’ai été content que ça lui plaise autant. Il m’a dit « Mais jamais plus je ne pourrais écouter ses albums de la même manière. » Et je pense que cela traduit bien ce qu’est un concert de cette glorieuse femme. J’ai été au bord des larmes à plusieurs reprises, et vraiment ça ne m’arrive pas souvent pendant un concert.

Elle nous a offert aussi quelques uns des titres emblématiques de sa carrière, et la salle s’est levée à plusieurs reprises comme « un seul homme ».

Vidéo tournée par une connaissance qui me l’a envoyé. Merci PT.

On retrouvait aussi une personne finalement assez loquace et enjouée, malgré un répertoire fait de pas mal de tranches de désespoirs, mais que voulez-vous ça fait de belles chansons. ^^

Bon inutile de dire que si vous en avez l’occasion, il faut la découvrir sur scène.

Symphonie n° 7 « Leningrad » (Dmitri Chostakovitch) par l’Orchestre national du Capitole de Toulouse

Je ne connaissais pas vraiment cette symphonie (et le compositeur que de nom en réalité), et j’ai juste écouté ça deux fois avant de venir à la Philharmonie. Mais c’était l’occasion d’écouter une personne que je suis sur les Internets et qui est violoniste dans cet orchestre. Je ne connaissais pas non plus Tugan Sokhiev, mais les applaudissements nourris à son égard m’ont fait dire que ce n’est pas loin d’être une rock-star dans son domaine. ^^

Et puisque c’était la soirée des découvertes, j’étais en catégorie 2 et juste au premier rang, bille en tête dans les cordes !! Ce n’est pas vraiment la position idéale pour avoir une écoute équilibrée et la plus harmonieuse, mais il n’y a pas à dire : c’est une expérience incroyable pour vivre au cœur des instruments, et même si j’ai perçu « plus fort » la partie de l’orchestre dont j’étais le plus proche, j’ai eu l’occasion de voir de plus proche que jamais les instrumentistes et tous ces incroyables artisans de la Grande Musique1.

En plus, j’étais plutôt bien placé avec un violoniste assez agréable à regarder pendant 1h10. ^^

Ensuite, la symphonie en elle-même était une merveilleuse pièce à ressentir comme cela en « live ». Et pour une fois, en tout cas c’est assez rare pour le signaler, le programme était très intéressant et un vrai vademecum pour accompagner les morceaux. On comprenait déjà le thème « Leningrad » et toute la complexité des relations du compositeur avec le régime soviétique. Donc cette symphonie pouvant à la fois être une célébration de la résistance de Leningrad contre les allemands pendant la seconde guerre mondiale, mais également l’image de ce qu’elle a elle-même subi du régime stalinien quelques années auparavant.

On pouvait y lire également une description plutôt bien fichue (parce que proposant des pistes d’interprétation, mais sans fioriture ni style ampoulée, et même avec du conditionnel, d’un commissaire d’exposition qui aurait trop fumé) qui permet de s’y retrouver dans les différents mouvements, et qui donne quelques métaphores possibles avec la guerre ou les émotions que la ville a pu susciter à l’auteur. Cela m’a permis de suivre correctement le spectacle et j’ai l’impression de vraiment bien en profiter.

J’ai vraiment été conquis par deux passages très différents, mais les deux sont superbes selon moi. D’abord c’est ce truc tellement pompier que ça ne pouvait que me plaire. Dans le premier mouvement, j’avais lu qu’on avait une partie qui était analogue au fameux (et répétitif avant l’heure) Boléro de Ravel, c’est à dire un truc qui commence petit, avec un motif musical reconnaissable, et puis une amplification progressive, avec des instruments en plus, et une répétition de plus en plus forte, ample et emphatique. Et là la tronche dans un orchestre philharmonique, je peux vous dire que ça donnait à fond les ballons !! On est clairement dans une sorte de marche militaire qui finit dans une apothéose qui est à la fois jouissive, bordélique et l’annonce d’une destruction complète de toute vie. Mais il y a eu à ce moment un élan assez fantastique, et les musiciens étaient à fond et avaient l’air de bien prendre leur pied aussi (l’autre avantage d’être à deux centimètres de leurs pompes).

Il y a eu plusieurs moments comme cela, mais pas aussi forts, et cette symphonie N°7 n’est au moins pas du tout un truc chiant ou atonal (je n’ai rien contre, mais parfois c’est chiant ^^ ), c’est au contraire une vraie musique de film qui raconte énormément de choses. J’ai aussi beaucoup aimé un passage principalement concentré sur les violons et les cordes dans le troisième mouvement, c’était très très mélodieux, puissant et romantique à la fois, un truc qui m’a plongé dans un moment et un état très singulier, difficile à décrire.

Et puis, il faut tout de même saluer Tugan Sokhiev qui a donc été applaudi à tout rompre avec ovations d’une foule en délire (sans déc). Le chef d’orchestre était vraiment incroyable, et encore une fois l’avantage d’avoir le nez sur les musiciens c’est que j’ai parfaitement vu son jeu à lui. C’était fascinant et très instructif quelque part, il a un charisme incroyable et une vraie emprise sur l’ensemble des musiciens. Son regard et les mouvements de son visage étaient sans cesse en agitation et en train de diriger autant qu’avec les inflexions de ses mains. Et la symphonie se jouant quasiment non-stop pendant 1h10, c’est un tour de force qui doit l’avoir complètement mis sur le carreau.

Je n’avais jamais entendu l’orchestre national du Capitol mais clairement ce ne sont pas (littéralement) des petits joueurs. ^^ Bon après, c’est l’avis d’un sacré béotien, mais c’est le mien. Hu hu hu.

  1. Comme disait ma grand-mère pour la musique classique. ^^ ↩︎

L’orchestre de Paris dirigé par Klaus Mäkelä à la Philharmonie de Paris (Thorvaldsdottir, Chopin, R. Strauss)

Cela faisait quelques temps que je n’étais pas allé dans la grande salle de la Philharmonie de Paris, et c’est vraiment un endroit génial, un cocon architectural et acoustique avec une forme asymétrique enveloppante et très chaleureuse.

Et là c’était un petit concert de l’orchestre de Paris avec son jeune et talentueux chef d’orchestre Klaus Mäkelä, qui a l’air complètement dingue mais très doué et dynamique. Le mec vraiment se donne à fond pendant ses concerts, et c’est une sacrée séance de cardio pour lui. Il m’a fait penser à ce célèbre cartoon de Tex Avery.

Attention, le dessin-animé ci-dessous (Magical Maestro de 1952) véhicule des représentations caricaturales, désuètes et parfaitement racistes, qui l’étaient très ordinairement à l’époque.

Ce qui était vraiment très cool, c’était la sélection du soir, car on a eu droit à un assemblage plutôt hétéroclite mais impeccablement dirigé et interprété. Cela a commencé par une œuvre super contemporaine de Anna Thorvaldsdottir (islandaise comme son nom l’indique) qui était d’ailleurs présente (c’était apparemment la première fois que la pièce était jouée).

Il s’agissait de ARCHORA (création française), et j’ai vraiment beaucoup aimé. Cela pouvait être un peu déstabilisant pour les première mesure, mais en réalité on se fait vite happer par l’ambiance globale et les évocations très « organiques » qui viennent tout de suite à l’esprit. Très très cool !!

On aperçoit les tuyaux de l’orgue au fond et les trappes ouvertes permettant de bien entendre l’instrument.

Après on était dans le suuuuuper classique avec un bon Frédéric Chopin de chez nous, et une méga-star au piano avec Daniil Trifonov (qui a aussi l’air complètement dingue comme le bon musicien qu’il est). Mais je ne connaissais pas ce « Concerto pour piano n° 1 » qui est vraiment une œuvre de jeunesse, et que j’ai adoré découvrir ainsi. Il fallait voir l’apparente facilité avec laquelle le pianiste faisait voler ses mains au-dessus du clavier, c’était d’une virtuosité assez épatante et surréaliste. Mais surtout cette pièce est d’une beauté folle, et vraiment tout l’orchestre était à l’unisson pour nous faire apprécier ce petit bonheur musical.

On a fini également par du classique mais un peu plus proche de nous avec un poème symphonique de Richard Strauss : « Une vie de héros ». Et là on était bien dans le post-romantisme allemand bien pompier que j’aime. Mes coreligionnaires ont moins aimé que moi, mais je reconnais que c’est terriblement ma came. Hu hu hu.

Cela m’a donné envie de revenir rapidement, et donc j’ai déjà repris des places, huhuhu.