La poule ou l’outil ?

Il y a des tas de réflexions que je trouve assez passionnantes sur la manière de s’exprimer sur les Internets. Comment le faire, sur quels espaces et avec quels outils ? L’accessibilité de tout cela, la portée aussi et les valeurs philosophiques par rapport à l’essence même des principes moraux qui ont porté le web des débuts, à ce qu’ils en sont aujourd’hui, et ce que la société (capitaliste) en a fait aussi de son côté.

Certains dinoblogueurs comme Ploum se sont mis à Gemini qui est un protocole assez récent (rien à voir avec l’IA de Gougueule hein), et qui est plutôt bien adapté à des échanges en ligne par texte, avec bien sûr ses particularités. Imaginez que c’est comme avoir un autre réseau que celui des Internets tel qu’on le connaît. Et donc on se retrouve avec Gemini (que j’ai testé aussi de mon côté évidemment) sur une toile absolument vierge ou presque. Il y a quelques points de repères et de départ où des sites sont référencés, mais il n’y a pas vraiment de moteur de recherche, c’est vraiment un retour au web de 1994. Soooo refreshing!!!

Il y a aussi cette volonté de se réinventer en partant de zéro pour également y tester de nouveaux paradigmes. Et dans cette idée, il y a de plus en plus de blogueurs qui se sont débarrassés de WordPress pour repartir avec des sites statiques plus malléables, légers et surtout minimaliste. Des textes, des idées et de quoi s’exprimer à l’écrit, tout en se liant aux autres. Evidemment je ne compte pas quitter WordPress de mon côté, pas avec 5 929 articles et 45 878 commentaires en banque depuis 2003. ^^

Alors tout cela implique une sacrée aisance et connaissance en informatique, ce que je n’ai vraiment pas, mais je regarde tout cela avec beaucoup d’attention et de curiosité intellectuelle. Mais là ce qui m’a interpelé chez Ploum, ce sont les remarques suivantes :

[…] Mais je n’ai pas rejoint Gemini parce que je me sentais un minimaliste numérique dans l’âme. Je n’ai pas quitté WordPress par amour de la low-tech. Je n’ai pas créé Offpunk parce que je suis un guru de la ligne de commande.

C’est exactement le contraire ! Gemini m’a illuminé sur une manière de voir et de vivre un minimalisme numérique. Programmer ce blog m’a fait comprendre l’intérêt de la low-tech. Créer Offpunk et l’utiliser ont fait de moi un adepte de la ligne de commande.

La pensée fait le penseur ! L’outil fait le créateur ! Le logiciel libre fait le hacker ! La plateforme fait l’idéologie ! Le vélo fait la condition physique !

Peut-être que nous devrions arrêter de nous poser la question « Qu’est-ce que cet outil peut faire pour moi ? » et la remplacer par « Qu’est-ce que cet outil va faire de moi ? ».

Car si la pensée fait le penseur, le réseau social propriétaire fait le fasciste, le robot conversationnel fait l’abruti naïf, le slide PowerPoint fait le décideur crétin.

Qu’est-ce que cet outil va faire de moi ?

Citation à partir de l’article Qu’est-ce que l’outil va faire de moi ? de Ploum.

C’est intéressant non ? On cherche d’abord un outil pour faire quelque chose, mais l’outil va aussi nous conformer à sa propre nature et son propre schéma directeur. Cette prise de conscience permet aussi sans doute d’avoir un peu plus de prise sur son destin et ses valeurs. ^^

Hypnocratie (quoi le feuque !!)

Allez, continuons de nous esbaudir sur les joyeusetés de notre monde avec cette vidéo qui explique de manière passionnante comment un philosophe italien, Andrea Colamedici, a créé un auteur et lui a fait publier un bouquin qui a édifié tous les commentateurs. « Hypnocratie » de Jianwei Xun a passionné plein de gens dans la manière extraordinairement pertinente et opiniâtre de décrire d’un point de vue philosophicosociologique les méthodes et techniques avec lesquelles l’opinion est façonnée et les fascistes arrivent en ce moment au pouvoir. Un auteur créé avec de l’IA pour un bouquin écrit avec de l’IA, pour dénoncer les oligarques qui manipulent les peuples avec de l’IA, ces mêmes peuples bientôt remplacés par de l’IA, mais qui utilisent aussi l’IA (pour faire des portraits Ghibli). ^^

Aristote et Phyllis

J’ai complètement oublié de parler de ce truc en bronze du musée Dobrée. Curieusement disposé entre des bondieuseries médiévales et le cœur d’Anne de Bretagne, il s’agit d’un aquamanile, autrement dit une petite réserve d’eau (et là en métal donc, avec un piti robinet tout mignon) pour se nettoyer les mains. Ils sont utiles dans un contexte religieux ou profane, mais là j’ose espérer qu’on est dans le profane. Hu hu hu.

Ce qui nous a surpris c’est quand on s’est rapproché pour comprendre le pourquoi du comment, et qu’on a découvert qu’il s’agissait d’une représentation d’Aristote et Phyllis. Il n’y avait pas plus d’information, donc nous en sommes restés là. Mais ça me turlupinait, donc j’ai gouglé le machin pour comprendre d’où venait cette histoire du philosophe Aristote qui joue au cheval pour une gente dame. Et nous voilà sur un nouveau vortex passionnant et vertigineux !!! Le lai d’Aristote !

Ce poème raconte comment Aristote faisait la leçon à Alexandre le Grand (qui était son célèbre disciple) parce qu’il s’était trop amouraché d’une femme indienne. Cette dernière pour jouer un tour au philosophe vient le voir en mode femme fatale, et il n’en fallait pas plus pour que Môssieur Aristote accepte de se prêter à ce petit jeu érotique équestre. La jeune femme humilie le philosophe devant Alexandre, et la conclusion c’est que Amour vainc tot, & tot vaincra / tant com li monde durera. Bref, Eros est très fort, et on peut tous être son jouet.

Déjà c’est marrant car beaucoup d’autres langues ont retenu le nom de la dame comme étant Phyllis, mais elle n’est en effet mentionnée dans le lai que comme une indienne. Et surtout on lit dans l’article, qu’il s’agirait d’une vieille histoire plutôt moyen-orientale qui a été adaptée à nos contrées, et dont on trouve les plus anciennes traces au 13ème siècle.

C’est très drôle aussi de voir les différentes avec la version allemande de cette même histoire, surtout quand on apprend l’origine du manuscrit : Des manuscrits du XIIIe siècle – dont le plus ancien du tout début du siècle, qui avait servi en 1695 à colmater les fuites des tuyaux de l’orgue du couvent de Benediktbeuren et ne fut retrouvé qu’en 1964-1965 lors de la restauration de l’instrument – utilisent également le thème mais avec des différences notables.

L’article, et plusieurs autres références sur les Internets, fait comprendre que cette thématique était très très populaire au moyen-âge, et il y a clairement une fixette sur cette « domination » féminine qui a dû faire couler de l’encre et faire s’échauffer les chantres de la masculinité toxique de toutes les époques. Mais pour qu’on trouve des exemplaires multiples de cet objet (sur Wikipédia c’est une pièce du MET), c’est que c’était sans doute de la grande série, et une représentation très commune. Mais pourquoiiiiii ?

Alors moi je dis : verra-t-on des moulins à poivre en forme de bite à Griveaux !! Non vous ne croyez pas que ça passera à la postérité1 ?? ^^

*Edit du 15/01/2025 :*

Suite au commentaire de Baptiste, ci-dessous, qui évoque la présence de l’objet dans une exposition actuellement au Louvre sur les « Figures du Fou », on peut en effet voir une mention avec des explications sur notre aquamanile en page 13. Quelle drôle de synchronicité !! ^^

  1. Franchement, il mériterait. ^^ ↩︎

La résilience du Bisounours

Quand j’étais petit, j’étais un gentil petit garçon. Sympa avec mes parents, souffre-douleur de mon frangin, mais connu pour être vraiment un p’tit gars cool. On disait à mes parents que je m’endurcirai avec le temps, et qu’il le faudrait en tout cas. En mode : il ne faut pas se faire marcher sur les pieds, bla bla bla… Bah adolescent, j’étais toujours gentil. Les gens, les personnes avec qui j’étais en classe, les profs, la famille, tout le monde disait « Mathieu il est vraiment gentil, poli, respectueux et adorable. »

Mais on ajoutait que ça ne durerait pas, que mes parents allaient forcément vivre un enfer sur terre dans pas longtemps, avec une bonne crise d’ado (c’est sûr que mon frangin à 15 ans était en garde à vue, alors la barre était haute ^^ ). Mais j’attends encore ma crise d’ado, même si j’ai changé évidemment. Mais les amis plus tard, au lycée, dans les études supérieures, puis ceux de Paris, comme disait ma mère1, ont dit « Mathieu, c’est un mec trop gentil. »

Les gens rajoutent ce « trop » superlatif qui est une manière de parler, ou qui indique vraiment peut-être que c’est une disposition anormalement emphatique. J’ai voulu changer pourtant. A plusieurs reprises, je me suis dit merde il faut que j’essaie d’être méchant !! Mais je n’ai jamais réussi. Alors ça doit aussi être un truc un peu maladif et névrotique (qu’est-ce qui ne l’est pas), j’imagine que j’ai besoin qu’on me « trouve gentil » en réalité. Mais force est de constater que je vis très bien avec ça.

Je ne fais même pas d’effort. C’est juste comme ça. J’aime bien les gens, globalement. ^^

Alors après, je me fais niquer parfois. Notamment en restant gentil avec des boulets insupportables qui me gâchent la vie pendant des années. Mais c’est la ma vie. Hu hu hu.

On me qualifie aussi souvent de « La Suisse », et ce n’est pas tant que je fuis les conflits, mais c’est vrai que je suis souvent neutre, ou tout du moins tempéré, pesant le pour et le contre, et essayant toujours de comprendre les opinions des uns et des autres, même lorsque c’est contraire à mon propre système de valeurs. En cela d’ailleurs, je sais que je peux avoir un peu la tendance macronienne insupportable du « en même temps », et je reconnais que je prône en tout cas toujours l’empathie et la compréhension fine du prisme et de manière dont les opinions peuvent se former chez mes contradicteurs. Je trouve que c’est toujours important de bien avoir cela en tête, et que parfois c’est aussi notre cadre de valeurs qui met le bordel.

Il y a aussi un peu de Marc-Aurèle là-dedans, avec une recherche de ce sur quoi je peux agir, qui m’intéresse grandement, et ce qui m’échappe et donc auquel je renonce aisément, étant toujours en quête de mon ataraxie personnelle. J’avoue aussi ne pas souvent rencontrer de personne qui partage ces valeurs là ou cette méthode. Et ça me frustre beaucoup et souvent, car j’ai l’impression de faire un effort pour aller vers l’autre, jusqu’à comprendre, mais pas forcément valider, un raisonnement spécieux pour moi car élaboré sur des postulats très différents des miens. Et quand l’autre ne fait pas le même effort, je trouve que ce n’est pas très respectueux et… gentil. On y revient. ^^

Aujourd’hui avec la polarisation des opinions, la tempérance et la gentillesse ont complètement disparu. D’abord de nos espaces virtuels, puis de notre champ du réel, ce qui est tellement grave et triste. Et donc, ça m’affole de ne voir que des diatribes contre des diatribes, avec des deux côtés des raisonnements viciés. Alors évidemment celui qui est dans mon cadre de valeurs est plus facile à adouber, mais je n’ai vraiment plus de respect pour ces penseurs à la petite semaine, rhéteurs de pacotille et sicaires de réseaux sociaux.

Après, je vois bien qu’on ne fera pas grand chose avec des tièdes comme moi, et qu’il faut aussi avoir un mélange avec des personnalités un peu plus tranchées. Mais je ne supporte pas ces assertions hypocrites qui laissent de côté tous les défauts de leur réflexion. Moi quand je m’exprime, je défends toujours mon point de vue avec ses qualités, et j’expose aussi les limites et parfois les défauts même de ma pensée. Je trouve que c’est le seul moyen d’être honnête, et d’avancer réellement en collaboration. Je trouve que ça rend non seulement crédible, mais aussi que ça donne le droit d’émettre des critiques équilibrées et sincères, pas juste de pisser à la raie du connard d’en face. Hu hu.

Bisounours je suis, bisounours je reste donc. ^^

  1. C’était pour les nouveaux ami·e·s pédés et lesbiennes évidemment, qui n’étaient jamais autrement qualifiés par pudeur, comme si la parisianité était suffisante pour les considérer parfaitement interlopes. ↩︎

Si nous voulons être libres, ne laissons pas les mots penser à notre place

Très très intéressant texte d’Hervé Le Tellier (l’auteur de l’anomalie) dont la beauté et la sagacité font bien sourire et plaisir. ^^

Vidéo publiée sur le compte Instagram de La Grande Librairie (Hervé Le Tellier pour le texte et le discours)

Iwak #17 – Démon

J’ai toujours tripé sur notre vision judéo-chrétienne ultra flippante des démons, et du Démon suprême bien sûr, celui qui Porte la Lumière, en comparaison à celle des japonais, notamment les yōkai, totalement intégrés à leur folklore. On y trouve autant de trucs malfaisants que d’esprits assez bénéfiques, comme les petits kodama adorables de Princesse Mononoke, ou le terrifiant Kyûbi de Naruto : le renard à neuf queues.

J’avais beaucoup aimé aussi la notion de « daemon » dans le film adapté des romans À la croisée des mondes, avec des animaux qui incarnaient l’âme des humains et qui vivaient à leur côté, et étaient inséparables. De la même manière, le daimôn de Socrate est une sorte de Jiminy Cricket, une muse intérieure, qui peut nous guider, nous inspirer et nous rassurer.

Bref, je réhabilite la notion de démon. ^^