Iwak #21 – Explosion

Je vous serine avec la polarisation des opinions, mais elle se fait si croissante ces derniers temps, et c’est aussi clairement en l’observant aux USA, qui sont toujours le facteur grossissant fascinant de nos propres sociétés, que cela fait d’autant plus flipper. Car on voit le point de rupture advenir, on voit les populations se dresser les unes contre les autres, et on se demande mais quand est-ce que tout ça va péter ?

J’ai souri malgré tout quand ce week-end j’ai vu cette vidéo de Jon Stewart, qui est un des chroniqueurs du Daily Show que j’adore, qui lui-même se dresse contre cette simplification des discours à charge qu’il observe de manière complètement symétrique, et qui donc perdent forcément de leur substance. Car il met en boîte là en l’occurrence l’ensemble des éditorialistes de gauche1 qui s’insurge contre toutes les actions de Trump en criant au fascisme. Et en même temps, est-ce qu’on peut se taire ? C’est vraiment terrible ce positionnement qui nous amène à être forcément pour ou contre, ami ou ennemi, stupide ou intelligent, obtus ou éveillé, et contre toute nuance. C’est à peu près la critique que je formulais en filigrane ici.

Et pourtant il est facile pour moi de vivre ce même exercice de raison irréconciliable, lorsque je me dis oh bah Lecornu au moins il a le mérite de reprendre les choses de manière calme et ordonnée, et de paraître vouloir un certain consensus et un jeu démocratique dépassionné. Et puis tout de suite je me dis mais nooooon, ce ne sont que des raclures de bidet qui ne cherchent qu’à nous niquer plus profondément, qu’ils aillent donc manger leurs morts. ^^

Bon bah voilà hein, tous victimes, tous bourreaux, tous responsables en tout cas.

Je suis obnubilé par les articles que je lis qui font un rapprochement auquel j’ai du mal à croire entre notre situation et celle d’avant 1939. Que ce soit en Allemagne ou en France, on avait des médias avant-guerre également extrêmement politisés et polarisés, avec des stances de plus en plus violentes et manipulant aussi leurs lectorats. Et donc sommes-nous condamnés à rejouer cette partie là de l’histoire ?

J’ai souri également quand j’ai écouté ce podcast d’Avec Philosophie, que je cite régulièrement, dont le titre m’avait bien sûr donné envie : Simplisme, polarisation et pensée binaire dans le débat public actuel. Eh bien, autant j’avais trouvé que Géraldine s’était améliorée la dernière fois, autant là c’était une catastrophe. Le sujet était pourtant bien posé, et les contributeurs de qualité, mais c’est une émission inaudible et qui ne mène nul part. Grosse déception pour moi.

Aujourd’hui en revanche, Thierry Crouzet remet le couvert avec un article sublime à lire absolument. Il se demande concrètement comment rompre avec cette polarisation et la machine qui nous pousse à encore plus de soumission à ces algorithmes infernaux. Il est dans cette incohérence que nous vivons tous à vouloir se débarrasser des GAFA et des algorithmes, mais à avoir besoin d’audience et de vouloir continuer à jouir des interactions inhérentes aux Internets. Son discours et ses réflexions sont vraiment passionnantes et d’une belle clairvoyance.

Pour autant, je suis déboussolé : durant une vingtaine d’années, j’ai fait comme tout le monde. Ma prise de conscience, mon retrait, me place dans une position inconfortable. Je ne sais plus comment exister artistiquement. Peut-être la radicalité revient désormais à se taire, à se soustraire au brouhaha, à ne plus y contribuer. Et pourtant je publie encore un article, j’ajoute une pierre à l’édifice, mais j’évite de la jeter avec force dans l’océan pour provoquer des ondes qui en annonceront la publication.

Se soustraire au monde de Thierry Crouzet

Et je pense qu’il a raison, il faut apprendre à se taire, et à aimer ça, de nouveau. Mais c’est vraiment très très dur lorsqu’on est accroc. ^^ Il cite également un article à l’étrange synchronicité de JA Westenberg qui évoque exactement cela. Elle déploie une approche merveilleuse qui part carrément de la création de l’univers et décrit toute l’Histoire en quelques paragraphes2. Mais surtout, elle explique comme on est des petites crottes de rien, et c’est sooooo refreshing.

You are insignificant.
So am I.
So is everyone.
And that’s a good thing, because it means we can stop trying so hard to be significant and just focus on being alive, right now, in this improbable moment we’ve been given.
The universe doesn’t care about us, and that’s okay.
We can care about each other instead.

You Are Insignificant. That’s a Good Thing. par JA Westenberg
  1. Je simplifie à mort, car c’est une notion tellement singulière aux USA. ↩︎
  2. On dirait un peu le générique de Big Bang Theory mais à l’écrit. ↩︎

À l’air libre

Cela fait quelques mois que je suis avec assiduité les émissions en libre accès de Médiapart « À l’air libre », et c’est vraiment pour moi en effet une bouffée d’air frais ! Mathieu Magnaudeix est un excellent journaliste, et il se débrouille vraiment très bien pour animer ces émissions. Vous pouvez voir ça sur Youtube ou bien les écouter en podcast un peu partout.

Mais surtout c’est une démonstration de journalisme. Je ne parle même pas du fond, mais simplement de la démarche, des vraies enquêtes qui sont menées par des spécialistes, des arguments fondés et globalement du fait qu’on se sent respecté en tant que citoyen quand on y est confronté. Cela donne autant à réfléchir, qu’à sentir qu’on est juste en possession de toutes les informations, des faits et des diverses thèses, pour pouvoir y mener sa propre analyse, et simplement se sentir éclairé. Or on se sent tellement abasourdi par le manque de professionnalisme du journalisme actuel (même France Info rejoint les autres chaîne d’info en continue, c’est à pleurer), avec cet entretien toxique de la polarisation des avis et des opinions.

J’en ai vraiment ma claque de ces éditorialistes politiques qui ne sont là que pour faire du bruits et nous opposer les uns aux autres. C’est vraiment l’équivalent des fucking influenceurs en ligne dont l’objectif est de satisfaire aux algorithmes des plateformes, et ces dernières doivent nous attirer le plus de temps possible pour nous monétiser. Et donc il faut faire de la polémique, il faut continuer les micro-décharges de dopamine, il faut concevoir un FOMO1 le plus efficace possible, et ça a gagné absolument tous nos médias, on et off.

Après je sais aussi que Mediapart joue dans ma league, et que je promeus en même temps les plateformes que je viens de décrier. C’est bien l’incohérence et le paradoxe de tout cela… Et de le lire sur un blog aussi…

Mais je vous assure que ces contenus sont des pansements pour l’âme, des délices pour l’intellect, et un peu d’espoir pour demain.

Bon bah résultat, je me suis abonné à Médiapart. ^^

  1. Fear of missing out, la peur de manquer un truc, une info, un événement, une actualité si on n’est pas en ligne. ↩︎

A closer look

Je mange souvent seul comme un pauvre malheureux au bureau le midi. Et j’ai pris l’habitude de regarder les intros de certains late shows américains. Depuis Trump, je trouve que c’est la manière la plus supportable d’avoir des nouvelles des USA sans avoir ensuite envie de se jeter par la fenêtre.

J’aime beaucoup Stephen Colbert du Late Show et Jon Stewart du Daily Show. Etrangement, je ne regarde pas Jimmy Fallon et son Tonight Show. J’ai une préférence marquée pour Seth Meyers et le Late Night. Sa pastille « A closer look » est carrément irrésistible. Ils déploient tous un humour et une dérision à la newyorkaise que j’adore, et on retrouve un savoir-faire et dire à l’américaine génial sur la forme, extrêmement drôle mais aussi d’une sagacité et d’une grande finesse dans les propos (ils ont tous une palanquée d’auteurs qui bossent en bande organisée). Je regarde aussi les intros de Jimmy Kimmel qui a l’originalité d’être le seul hôte d’un late show depuis Los Angeles, donc résolument côte ouest.

Evidemment ces bougres sont de gauche, en tout cas toute proportion gardée car la gauche américaine est une sorte d’oxymore, ce sont même des « ultra-gauche » sur l’échelle de Retailleau (bon ok, c’est pas difficile ça). Et alors que l’on voit un recul extraordinaire de l’état de droit aux USA, et que là on se demande carrément si la démocratie n’est pas en danger. Eh bien, ces émissions sont attaquées à leur tout. D’abord Stephen Colbert, qui présente l’émission la plus connue et regardée, a vu il y a quelques semaines son show annulé par CBS. Evidemment ça fait parler, ça bruit, ça soupire, mais c’est un fait. Et ça passe.

Et là c’est Jimmy Kimmel, suite à un commentaire complètement banal sur l’assassinat d’un fasciste homophobe raciste et misogyne (et vraiment je suis gentil, il n’y a pas de meilleur qualificatif pour ce type), qui se voit remercié par Disney (ABC). Il y a tout de même une certaine levée de boucliers, on voit des annulations à Disney Plus et quelques coups d’épées dans l’eau, mais là on y est vraiment. Je sais que Kimmel vient d’être à priori reprogrammé, mais les attaques sont bien là et c’est terriblement flippant. Avec Trump c’est comme toujours en plus des attaques stupides, violentes et illégales, et plus c’est énorme, plus ça passe…

Les autres présentateurs de shows réagissent bien sur, et continuent à tourner en dérision le pouvoir. Mais on assiste à un truc complètement fou… Ils ont tous ironisé sur la manière dont ils allaient maintenant célébrer le pouvoir en place pour garder leur place, mais c’est sans doute un présentateur hollandais, Arjen Lubach, qui a réalisé le plus drôle et grinçant des détournements.

J’ai bien aimé aussi ce rappel sur fond de culture pop :

Avec la référence pour les béotiens. ^^

Car cette scène pour l’enterrement du type dont je parlais plus haut, avec Trump qui a encore dit des horreurs, est effrayante. Et en France, nos trumpistes maison ont commencé à faire exactement la même chose, et la fenêtre d’Overton s’est encore assez déplacée pour que la presse généraliste parle de ce type mort comme un simple « polémiste influenceur MAGA ». Nan mais ça va pas hein…

Car ce qui me fait peur c’est vraiment que les USA ne sont que l’exemple par lequel nous voyons exactement ce qui se passe en France, et globalement en Europe, avec un retard de quelques années. Avant c’était vingt ans, mais aujourd’hui le mimétisme est bien plus véloce. Et on voit déjà l’abêtissement généralisé de la société, le nivellement par le bas des journalistes, la polarisation venue des algorithmes publicitaires qui a infecté tout notre environnement, et absolument tout ce qui est diffusé (même la radio qui est encore « pure » y passe).

On va se payer exactement la même chose, peut-être avec des méthodes légèrement différentes, mais il va se passer la même chose, c’est inexorable.

Et en parallèle, je lis encore un post de Romain sur Facebook qui me fait réagir. Je sais que le sujet est différent, mais en réalité tout est lié selon moi.

Dans l’avion, j’étais assis à côté d’Ewan. Un gamin de dix-neuf ans, agent de sécurité le jour, combattant de MMA le reste du temps. Il part s’entraîner en Géorgie comme d’autres vont prier. Il paraît qu’ils sont bons en MMA, les Georgiens. Alors il part là-bas prendre des baffes jusqu’à se faire péter les neurones. Il n’est ni en colère ni fanfaron — plutôt doux, résigné. Il ne croit plus à l’école, plus au travail, plus à la France. Les Etats-Unis ne l’intéressent pas. Il croit vaguement à Dubaï, à TikTok et à Gattouz0, un acteur porno influenceur qui apparemment fait le tour du monde à coups de bite et dont j’ignorais jusqu’ici l’existence. Enfin, il m’a raconté ça mais le cul, ça l’intéresse pas des masses. L’amour encore moins. Même le dernier iPhone ne le fait plus rêver : « Tu l’as voulu un an ; au bout d’une semaine, tu t’en fous. » Je crois qu’il a raison.

Il m’a raconté, sans emphase, ces « combats » en ligne organisés par des influenceurs sur des plateformes dont je n’avais jamais entendu parler. Il ne me parlait pas d’un ailleurs exotique mais du présent qui grouille sous mon nez et auquel je suis aveugle. En l’écoutant, je me suis dit : «Le présent, c’est lui. Ce n’est plus moi. » Sauf qu’il n’a pas d’avenir : « Moi ? Je mourrai avant mes quarante ans », il a dit. Bombe sèche. Je n’ai pas su quoi répondre. Moi qui ai dépassé la quarantaine, mais qui n’en fais pas grand-chose. Vous voyez la rencontre entre Tyler et Jack dans Fight Club ? Gamin, je rêvais d’être Brad Pitt et me voila en Edward fucking Norton dans un vol low cost.

En le quittant sur le tarmac d’Istanbul, je me suis dit deux choses : on a vraiment livré un monde de merde à ces gosses. Et puis aussi : ma jeunesse est morte. Je l’ai dans le dos. Mais je la préfère à la sienne. Mais ça, je me suis bien gardé de lui dire.

Post Facebook de Romain Burrel (18/09/2025)

Bon tout ça c’est encore de la faute à l’IA… Ou en tout cas, l’IA apporte aussi dans ce cadre son lot de fléaux bibliques… J’ai souri à cette référence à Platon qui est assez connue, et qui évoque l’impact négatif de l’écriture sur la mémoire des gens. On parlait d’internet de la même manière, et avant de l’informatique, et avant, et avant et avant… ^^

366 avant JC, Platon dans le Phèdre se demande si l’écriture ne va pas nous rendre idiots et nous faire « perdre la mémoire ».

La bataille de l’IA, et nos effondrements par Olivier Ertzscheid via la veille de Louis Derrac.

Coincidentia oppositorum

Voilà quinze jours que j’ai modifié ma manière de contribuer sur les réseaux sociaux. Bien sûr c’est lié à l’arrivée (de nouveau) de Trump à la Maison Blanche et l’implication d’à peu près toutes les plateformes dans son élection et la célébration de celle-ci. Et cela brosse large : d’Apple à Google, en passant par Meta (Facebook, Instagram, Whatsapp), Amazon, Spotify et Twitter. Donc c’est au-delà même des réseaux sociaux, et c’est globalement l’ensemble des outils numériques utiles à la vie (sur les Internets) de tout un chacun, et gratuits en apparence (mais on le sait « si c’est gratuit, c’est que c’est toi le produit »).

Ce n’est pas évident de quitter tout cela, et c’est à la fois pour des raisons pratiques, mais surtout parce que j’ai des habitudes très ancrées et que personne n’aime changer. Les réseaux sociaux sont des rites de fréquentation du quotidien, et me concernant une véritable assuétude pas toujours positive et rarement féconde, mais c’est aussi une source d’information, d’échanges conviviaux et de divertissements (et de bites) non négligeable.

J’ai peu à peu beaucoup limité mes interactions à des publications de photos, d’abord sur Instagram, puis dupliquées partout où je suis inscrit, et des liens vers des articles du blog, en plus de maigres échanges avec des pairs. La polarisation extrême des expressions et des opinions m’a fait me fermer peu à peu à tout débat en ligne, et je ne le vis pas plus mal depuis. Comme tout le monde, je me replie derrière les lignes de mon camp, et je vois les mêmes travers des deux côtés, mais je trouve ceux d’ici un peu plus acceptables évidemment. ^^

Donc depuis deux semaines, je ne publie plus sur Twitter, Facebook ou Instagram, mais je suis toujours inscrit, et je m’y connecte assez peu car j’ai simplement supprimé les applications mobiles pour Twitter et Facebook (j’ai conservé Instagram). Donc je garde des accès par navigateur old school ce qui limite naturellement et pratiquement mes occasions de me rendre dessus.

Facebook est tellement impraticable et inutile que cela ne me peine vraiment pas. Mais c’est un lieu où des membres de ma famille prenaient des nouvelles, il y a aussi le groupe de Clohars-Carnoët qui était assez pratique pour avoir des news de la maison, mais bon on peut imaginer à quoi ressemble ce genre de forum (full boomer imprécheune)… ^^ Et les liens vers mes articles de blog étaient de moins en moins montrés à mes contacts. Je garde le compte, mais je vais vraiment le faire mourir d’inanition.

Pour Twitter, je pensais que ça serait plus difficile, mais non. Il y a tout de même en face deux réseaux de choix qui sont une très bonne substitution : Bluesky et Mastodon. Le premier est un succédané de Twitter (fondé par Jack Dorsey, le co-fondateur de Twitter) et a l’air d’avoir remporté une première bataille du micro-blogging post-X. Et c’est vrai qu’on y retrouve nos marques, avec quelques éléments encourageants en termes de modération des échanges, mais aussi de maîtrise de ses contenus. En revanche, c’est une plateforme qui devra monétiser des choses pour s’en sortir un de ces quatre, mais pour le moment ils continuent leur stratégie « don’t be evil« . Ils remportent aussi la mise car ils réduisent les barrières à l’entrée, et ont une stratégie de conquête de nouveaux utilisateurs, donc rien de très nouveau dans le monde du marketing digital… J’y retrouve en tout cas absolument l’ensemble de ma communauté Twitter (et anciennement diariste), même si quelques irréductibles ne changent pas de bauge, ce qui est drôlement triste (pour moi).

Concernant Mastodon, c’est vraiment à l’image de ce blog sous WordPress. Mastodon est un système de micro-blogging ouvert et mutualisé. Donc il faut que quelqu’un ouvre un serveur Mastodon et le maintienne, exactement comme je maintiens mon propre blog ici. Mais ensuite, on est complètement libre et sans aucune contrainte marketing. Néanmoins inutile de dire que la barrière à l’entrée est assez importante car ce n’est pas une seule plateforme mais des milliers dans le monde entier, et que c’est encore un truc de geek un peu fou furieux. Moi je trouve ça plutôt simple et intuitif, mais bon je suis tellement dans la cible. Hu hu hu.

J’ai trouvé par hasard un serveur tenu par un chouette pédé de Seattle et c’est l’url qui m’a tapé dans l’œil : super-gay.co1 !! Eh bien aujourd’hui sur cette instance, il y a 68 personnes inscrites. C’est un peu comme si on était 68 auteurs sur un même blog, avec la même url en début d’adresse de blog. Mais à partir de notre instance, on peut suivre n’importe qui sur n’importe quelle instance. Il suffit de connaître son identifiant et son serveur, donc pour moi par exemple : « @matoo@super-gay.co« , un peu comme une adresse email en réalité. Je donne deux euros par mois à l’admin pour filer un coup de main sur les coûts d’hébergement, mais la plupart d’entre eux assument seuls ces charges.

Donc c’est plus compliqué qu’une seule plateforme uniforme, sur laquelle on peut chercher des gens. En revanche, si on pratique comme d’habitude de proche en proche, en allant piocher dans les conversations et les listes de « suivis/suiveurs » de ses potes, ça marche très bien. Et là, j’ai nourri une communauté qui se recoupe avec les autres, mais qui est également assez différente. On est sur beaucoup plus de nerds des Internets libres et open-source, mais aussi des altermondialistes, des queers à la pointe de la queeritude, des pirates de toutes les obédiences, et de militants de tout poil (et aux cheveux bleu et rose). Inutile de préciser que je m’y sens comme un poisson dans l’eau. Je retrouve un peu l’ambiance des débuts du net, avec énormément de contacts dans le monde entier. Je trouve ça très cool de convoler avec des pédés anglais, américains ou globalement anglophones, et de se lier comme cela numériquement comme j’avais pu le faire avec Yahoo! à la fin des années 902. ^^

Mais bon je comprends ceux qui trouvent ça trop relou et compliqué. Et j’aime cette barrière à l’entrée aussi élitiste soit-elle. En revanche, ça ne donne pas spécialement à ces plateformes le vent en poupe, alors que c’est un outil fantastique et complètement détaché de toute monétisation. ¯\_(ツ)_/¯

Donc depuis quinze jours, c’est photos et liens vers le blog depuis ces deux plateformes de micro-blogging. Bah ça va. J’ai survécu. Hu huhu. Et je dois constater que les statistiques du blog sont absolument exactement les mêmes, ce qui m’épate, mais c’est vraiment ça.

Whatsapp ne sera pas trop compliqué à remplacer par Signal sans doute. Je dois encore faire ma mue pour me détacher de Google, et comme ce sont des outils je peux là encore en geekant trouver des solutions acceptables3. Je crois que le plus difficile ce sera de ne plus consommer Instagram, car c’est une source de contenus qui me plaît et divertit beaucoup (Youtube aussi mais c’est un usage très très ponctuel pour moi).

En revanche, j’aime beaucoup voir les fameux « créateurs de contenus » justifier leur présence ici ou là avec la notion de « résistance de l’intérieur ». D’ailleurs ce n’est pas une notion complètement viciée, mais c’est juste que ce n’est pas du tout le sujet. Le truc c’est que les plateformes ont rendu captifs les créateurs de contenus qui en dépendent pour se faire voir et connaître du plus grand nombre, et réussir à gagner sa vie directement (pub) ou indirectement (vente de trucs). Et d’ailleurs moi aussi je suis, à ma manière, un de ces créateurs de contenus, puisque je vous dis que je poste des liens vers ici. ^^ En revanche, je n’en dépends pas financièrement, et je pense même qu’offrir ces contenus médiocres doit me coûter de l’argent à moi (les coûts permettant de maintenir ce blog en vie), c’est ce qui me permet d’avoir l’impudence de vous écrire ainsi en conservant une certaine intégrité et probité devant les Dieux des Internets. Et mon seul moteur reste donc mon orgueil démesuré. Ah ça mon hubris, il est toujours là, et bien en forme le bougre. Hu hu hu.

Et donc je ne jette pas la pierre à ces créateurs de contenus qui dépendent de telle ou telle plateforme. Mais quand elles rejoignent explicitement l’extrême droite et les LGTBphobies, cela pose sans doute quelque dilemme à l’ensemble des militant·e·s que je suis depuis tant d’années. En réalité, aucun « gros » compte n’a quitté de plateforme majeure, en se tirant certes une balle dans le pied, mais en étant conforme à son Credo.

Clément Viktorovitch, dont j’adore les live Twitch en podcast avec son Café Rhétorique qui propose des heures et des heures de déblatérations passionnantes sur des sujets politiques, en a parlé récemment lors d’un épisode explicite Faut-il quitter Twitter ? Et il explique clairement que ce n’est pas un crève cœur pour lui car ce n’est pas du tout un réseau avec une forte traction le concernant et donc ça ne le dessert pas trop de s’en séparer, mais il garde tous les autres qui sont tout autant complices de Trump (mais c’est vrai que Twitter est particulièrement vénéneux). Il explique aussi qu’un Mélenchon qui a 3 millions de followers ne peut absolument pas s’en passer, même s’il tente de trouver une justification.

Ce qui m’épate quand j’écoute tous les commentaires à ce sujet, y compris de la part de Clément Viktorovitch, c’est encore autre chose. Aucun d’eux n’a de recul sur leur propre succès sur ces réseaux, et la manière dont ils nourrissent et entretiennent la croissance de ces béhémots à la morale douteuse. Or ces plateformes cherchent plus d’utilisateurs, et le plus de temps passé possible pour collecter un maximum de données et de recettes publicitaires. Ainsi les algorithmes ont été conçus pour organiser et favoriser cette polarisation des opinions et les « clashs » car c’est très efficient pour atteindre leurs objectifs. Si en chemin, on détruit la démocratie, ce n’est qu’un effet de bord.

Après je n’essaie pas non plus de grossir le trait, et c’est également le talent de certains de ces hâbleurs des Internets qui est aussi à leur crédit4. Mais je suis persuadé que c’est également ce qui nourrit la polarisation la plus diamétrale qui est promue aux premiers rangs de ces réseaux. Et je regrette qu’on ne trouve pas plus d’autocritique de cet acabit, même si c’est compliqué de se dire que sa réussite sur les réseaux populaires actuels est la preuve ipso facto de son échec (au moins moral).

Récemment, j’ai été étonné d’une critique acerbe et un rien jusqu’au-boutiste de Mathieu Burgalassi, dont j’ai déjà parlé ici, et dont j’aime énormément les contenus, toujours finement réfléchis, structurés, argumentés et d’une grande probité intellectuelle. Il a créé une vidéo vraiment très importante pour critiquer un très gros compte Instagram avec une grande popularité : L’Esprit Critique.

Ces derniers publient des contenus qui ont eu beaucoup de succès sur les réseaux, et sont promus comme des outils pour mieux comprendre les méthodes de manipulation des politiques. Mais en réalité, Mathieu Burgalassi démontre assez rapidement et implacablement qu’il s’agit d’une campagne marketing pour vendre des formations. Et c’est vrai que ça n’a jamais été dit aussi clairement, même s’il n’y a pas non plus vraiment tromperie sur la marchandise. Mais c’est indéniablement un stratagème de vente, et c’était bien de le mettre en exergue. En revanche, alors qu’on comprend tout ça dans les trente premières minutes de la vidéo, le vidéaste continue à taper sur l’émission, et encore et encore pendant trente minutes de plus.

Et le reproche principal qui est fait c’est que ce sont des gens non engagés, non militants et qui se permettent de critiquer à droite, comme à gauche, et quand c’est à gauche c’est clairement vicié. Alors ce n’est pas faux, et c’est important de noter ce côté « centriste » et se voulant impartial, peut-être dans une simple volonté commerciale. Mais ce n’est pas un crime non plus, et je ne crois pas qu’ils ne se soient jamais fait passer pour des militants justement. Donc je trouve juste que c’est un peu fort de café, un peu agressif et très très énervé de sa part d’être aussi remonté5.

Mais dans le même temps, le (très gros) compte Instagram wikihowmuseum (dont j’ai posté déjà des mèmes ici) qui a toujours été tellement génial et drôle tire à boulets rouges sur le même Esprit Critique. Et je comprends le truc, mais je trouve qu’ils tapent trop fort… Est-ce que je suis trop veule alors ? Bah peut-être bien, en tout cas cela m’interroge.

Et donc cela m’a aussi fait réaliser que je suis évidemment plus à l’aise avec ces contenus, aussi polarisés soient-ils, parce qu’ils sont de ma paroisse. Et malgré tout, je lis encore beaucoup d’injonctions très radicales de militants, mais qui ne sont pas créateurs de contenus per se.

Et donc dans la même paroisse, j’ai ces gens qui disent que rester sur Twitter c’est être collabo, mais je continue à suivre sur des plateformes tout aussi méphitiques des créateurs de contenus de la même obédience, qui sont obligés de rester pour continuer à exister.

Piouuuuu, c’est compliqué la vie. Je continue à suivre le conseil de Joan Cornellà que j’ai posté en tête de l’article. ^^

  1. Quelle meilleure définition de votre serviteur ? ^^ ↩︎
  2. J’utilisais les « Yahoo! Profiles » qui étaient des sortes de pages de profil permettant de se connecter par affinités. ↩︎
  3. Même si les grandes plateformes se sont retrouvées à financer aussi considérablement l’open-source, et en cela rendant essentiel leur implication et leurs usages déguisés. ↩︎
  4. Et cela fonctionne à tous les niveaux et pour tout le monde. Les prolos et les cons ont leurs influenceurs et leurs médias aussi critiquables soit ils. Les gens plus intelligents, fins ou bobos ont aussi les leurs… ↩︎
  5. Même si moi aussi les mecs de ScPo qui vendent des formations pour accéder à ScPo, ça me fait un peu vomir dans ma bouche. ↩︎

La résilience du Bisounours

Quand j’étais petit, j’étais un gentil petit garçon. Sympa avec mes parents, souffre-douleur de mon frangin, mais connu pour être vraiment un p’tit gars cool. On disait à mes parents que je m’endurcirai avec le temps, et qu’il le faudrait en tout cas. En mode : il ne faut pas se faire marcher sur les pieds, bla bla bla… Bah adolescent, j’étais toujours gentil. Les gens, les personnes avec qui j’étais en classe, les profs, la famille, tout le monde disait « Mathieu il est vraiment gentil, poli, respectueux et adorable. »

Mais on ajoutait que ça ne durerait pas, que mes parents allaient forcément vivre un enfer sur terre dans pas longtemps, avec une bonne crise d’ado (c’est sûr que mon frangin à 15 ans était en garde à vue, alors la barre était haute ^^ ). Mais j’attends encore ma crise d’ado, même si j’ai changé évidemment. Mais les amis plus tard, au lycée, dans les études supérieures, puis ceux de Paris, comme disait ma mère1, ont dit « Mathieu, c’est un mec trop gentil. »

Les gens rajoutent ce « trop » superlatif qui est une manière de parler, ou qui indique vraiment peut-être que c’est une disposition anormalement emphatique. J’ai voulu changer pourtant. A plusieurs reprises, je me suis dit merde il faut que j’essaie d’être méchant !! Mais je n’ai jamais réussi. Alors ça doit aussi être un truc un peu maladif et névrotique (qu’est-ce qui ne l’est pas), j’imagine que j’ai besoin qu’on me « trouve gentil » en réalité. Mais force est de constater que je vis très bien avec ça.

Je ne fais même pas d’effort. C’est juste comme ça. J’aime bien les gens, globalement. ^^

Alors après, je me fais niquer parfois. Notamment en restant gentil avec des boulets insupportables qui me gâchent la vie pendant des années. Mais c’est la ma vie. Hu hu hu.

On me qualifie aussi souvent de « La Suisse », et ce n’est pas tant que je fuis les conflits, mais c’est vrai que je suis souvent neutre, ou tout du moins tempéré, pesant le pour et le contre, et essayant toujours de comprendre les opinions des uns et des autres, même lorsque c’est contraire à mon propre système de valeurs. En cela d’ailleurs, je sais que je peux avoir un peu la tendance macronienne insupportable du « en même temps », et je reconnais que je prône en tout cas toujours l’empathie et la compréhension fine du prisme et de manière dont les opinions peuvent se former chez mes contradicteurs. Je trouve que c’est toujours important de bien avoir cela en tête, et que parfois c’est aussi notre cadre de valeurs qui met le bordel.

Il y a aussi un peu de Marc-Aurèle là-dedans, avec une recherche de ce sur quoi je peux agir, qui m’intéresse grandement, et ce qui m’échappe et donc auquel je renonce aisément, étant toujours en quête de mon ataraxie personnelle. J’avoue aussi ne pas souvent rencontrer de personne qui partage ces valeurs là ou cette méthode. Et ça me frustre beaucoup et souvent, car j’ai l’impression de faire un effort pour aller vers l’autre, jusqu’à comprendre, mais pas forcément valider, un raisonnement spécieux pour moi car élaboré sur des postulats très différents des miens. Et quand l’autre ne fait pas le même effort, je trouve que ce n’est pas très respectueux et… gentil. On y revient. ^^

Aujourd’hui avec la polarisation des opinions, la tempérance et la gentillesse ont complètement disparu. D’abord de nos espaces virtuels, puis de notre champ du réel, ce qui est tellement grave et triste. Et donc, ça m’affole de ne voir que des diatribes contre des diatribes, avec des deux côtés des raisonnements viciés. Alors évidemment celui qui est dans mon cadre de valeurs est plus facile à adouber, mais je n’ai vraiment plus de respect pour ces penseurs à la petite semaine, rhéteurs de pacotille et sicaires de réseaux sociaux.

Après, je vois bien qu’on ne fera pas grand chose avec des tièdes comme moi, et qu’il faut aussi avoir un mélange avec des personnalités un peu plus tranchées. Mais je ne supporte pas ces assertions hypocrites qui laissent de côté tous les défauts de leur réflexion. Moi quand je m’exprime, je défends toujours mon point de vue avec ses qualités, et j’expose aussi les limites et parfois les défauts même de ma pensée. Je trouve que c’est le seul moyen d’être honnête, et d’avancer réellement en collaboration. Je trouve que ça rend non seulement crédible, mais aussi que ça donne le droit d’émettre des critiques équilibrées et sincères, pas juste de pisser à la raie du connard d’en face. Hu hu.

Bisounours je suis, bisounours je reste donc. ^^

  1. C’était pour les nouveaux ami·e·s pédés et lesbiennes évidemment, qui n’étaient jamais autrement qualifiés par pudeur, comme si la parisianité était suffisante pour les considérer parfaitement interlopes. ↩︎