Marions-les ! (2014-2024)

C’était bien notre anniversaire de mariage ce week-end puisque ce vendredi nous avons fêté nos dix ans de convolage en justes noces. Ce fut l’occasion, une fois de plus, de rappeler se remémorer ces bons souvenirs bretons (donc un chouïa pluvieux) d’une décennie passée.

Mais hier, c’est la date choisie par un proche ami pour se marier avec son cher et tendre. Et comme ils ont un petit bébé, je trouve que ça a un côté encore plus touchant et émouvant. Cela me fait super plaisir, car on se souviendra facilement de la date, et le calcul des années ne devrait pas trop non plus nous prendre la tête.

On a passé un très bon moment à Bordeaux avec des amis très chers, et cela m’a fait beaucoup de bien, surtout après le coup de massue des élections du jour. La fête a battu son plein, mais avant tout on a passé des petits moments à la fois intimes, précieux et uniques. Des petits trucs qui ragaillardissent, qui font chaud au cœur, et qui rassurent sur ces gens sur lesquels le dévolu mis est particulièrement idoine.

Il y avait un olivier exceptionnel au lieu du mariage, et si l’on en croit le panneau juste à côté, il s’agirait1 d’un arbre planté en 18 de notre ère (appelé Pline l’Ancien). Il a un petit côté camphrier géant de Totoro qui m’a beaucoup beaucoup plu.

Nous sommes retournés à Nantes juste à temps pour aller voter. Et j’ai été impressionné par la traversée des deux fleuves, d’abord Garonne puis Dordogne, avant même l’imposante Charente. En passant un pont ferroviaire, j’ai pris quelques photos au hasard à travers des croisillons rouillés, et celle-ci m’a bien tapé dans l’œil, pour son cadrage à l’esthétique stochastique mais bien effective.

Et sans surprise pour mon vote… sachant qu’en plus cela me procurait un petit plaisir supplémentaire à glisser dans l’urne le bulletin d’un camarade pédé. ^^

  1. C’est sans doute vrai, mais ça a rendu à juste raison quelques suiveurs sur les réseaux sociaux un peu suspicieux. Je me demande moi-même quelle raison peut rendre cette indication de date aussi précise, même si la taille de l’arbre donne un certain ordre d’idée sur sa longévité. ↩︎

En pensant à Stefan

Hier soir, abreuvés de ces émissions H24 sur la dissolution, les élections à venir, et cette atmosphère de peur dégueulasse distillée par des journalistes dont l’objectif est de nous garder en haleine nous proposant une dose constante et cyclique de dopamine pour nous accrocher1, nous avons pensé à Stefan Zweig.

Oui bon d’accord, on peut nous accuser de faire un peu de « drama », mais c’est difficile pour nous de ne pas faire un parallèle avec l’auteur autrichien qui a fui le nazisme, et qui s’est suicidé en 1942 d’un certain désespoir de ce que l’Europe était devenue. Et Nithou, avec qui je partage beaucoup de valeurs (et d’affect pour les mèmes décrivant nos angoisses existentiels sur les Internets), semble aussi y avoir pensé.

Contre ma volonté, j’ai été le témoin de la plus effroyable défaite de la raison et du plus sauvage triomphe de la brutalité qu’atteste la chronique des temps ; jamais — ce n’est aucunement avec orgueil que je le consigne, mais avec honte — une génération n’est tombée comme la nôtre d’une telle élévation spirituelle dans une telle décadence morale.

Le monde d’hier (Stefan Zweig)
  1. Et ça fonctionne puisque je critique ce truc dont je suis complètement le jouet conscient depuis quelques jours, où j’écoute en boucle les mêmes infos, les mêmes interviews, les mêmes craintes et espoirs de certains ou repoussoirs d’autres. C’est « moins pire » sur France Info, mais eux-mêmes convergent vers cette médiocrité journaleuse triste à mourir. ↩︎

Tribord

Suite à la victoire du RN aux élections européennes (et à la dissolution que j’ai évoquée juste avant), il y a eu un petit fait divers bien drolatique. Simplement quelques militants fachos qui ont décidé d’aller casser du pédé pour célébrer leur victoire, et le retour des bonnes valeurs d’antan chez eux. Et hop, v’la t’y pas que le gars y raconte même qu’il a hâte d’être dans trois semaines pour « casser du pédé autant qu’on veut ».

Il fallait bien s’attendre à ce genre de chose, et ça a au moins le mérite de faire comprendre à toutes les tapettes qui ont voté RN, que c’est aussi cela le RN, c’est même avant tout cela.

Et en même temps, le truc auquel on ne croyait plus, un nouveau souffle à gauche avec un Nouveau Front Populaire, et tous les partis de gauche qui se rassemblent (ça fait furieusement penser à la Gauche Plurielle d’autrefois). Bon même si je déteste les appellations « nouveau », qui ne sont rapidement plus nouvelles et qui démontrent une certaine limite créative, je suis content de ce regroupement devant l’adversité. Et comme d’hab, je partage beaucoup des idées du Roncierchouchou.

Mathieu Burgalassi, dont j’ai parlé récemment, a publié lui aussi de très intéressantes vidéos à propos du RN, notamment de leurs accointances avec le terrorisme ou l’antisémitisme dans des publications édifiantes.

Insoluble dissolution

J’ai retrouvé cette photo du 16 juin 2004 que j’avais prise aux abords du boulot (à Suresnes) et qui figure Nicolas Bay (aujourd’hui Reconquête, à l’époque avec Bruno Mégret, soit 20 années d’extrême droite bien malodorantes et nazillardes). Des étrons ont été gracieusement collés sur son sourire torve et on peut lire « quand on a des idées de merde, il faut que ça sorte ». CQFD.

Rien n’a changé sinon que nous sommes arrivés à ce moment redouté, où une majorité vraiment importante d’électeurs a choisi de voter pour l’extrême droite, les ligues d’hier n’ont vraiment pas à rougir de celles d’aujourd’hui. Mais nous oui. Et je suppose que tout participe à l’explication : de la bêtise crasse, à l’espoir vain de quelques candides, en passant par le vrai racisme, l’arnaque en bonne et due forme, ou les attentes inespérées d’une France rancie. Ite missa est.

J’ai moi-même voté (par procuration) écolo, pour tout vous dire, ce dimanche. C’était entre Glucksmann et ça, mais je suis de plus en plus persuadé que l’écologie politique est une sorte d’évidence, au vu de nos enjeux actuels, et qui doit redonner justement du sens à la politique et à l’organisation de nos sociétés. C’était terrible de voir cette carte du Monde toute marron de cette extrème-droite ainsi étronisée par le peuple.

A l’exception de quelques grandes villes (bon, on a au moins fait le bon choix en s’installant à Nantes ^^ ), vraiment le schéma est troublant d’homogénéité hexagonale (y compris hors métropole). Il faut se rendre à l’évidence et accepter aussi le résultat des urnes, tout en fomentant une réponse à la hauteur de ce danger qui plane sur nous, et de ce qu’à court terme nous avons engendré à l’échelle européenne.

Mais voilà t’y pas qu’une autre échelle nous est tombée sur le coin de la binette dimanche soir, avec not’ bon président qui nous dissout l’assemblée avec un certain panache !! Et j’ai beau honnir politiquement le type, je n’arrive pas à savoir si c’est une bonne, mauvaise, bonne mauvaise ou mauvaise bonne idée. ^^

S’il ne faisait rien, on aurait pu continuer à grogner sur son attitude jupitérienne et hautaine. En démissionnant, il mettait clairement en danger la démocratie et ouvrait la voie présidentielle à cette chienlit personnifiée. En dissolvant l’assemblée, on aura peut-être un gouvernement d’extrême-droite mais en cohabitation avec Jupiter, qui nous a bien dit qu’il n’avait plus aucune ambition personnelle, sinon celle de servir la France (et ça m’a touché, oui ok, je suis un peu niais ^^ ). Cela assurerait que ce gouvernement sera tellement décrédibilisé en 2027 qu’on ne risque plus rien ? Oui c’est un sacré pari.

Soit c’est une autre cohabitation qui arrive, et on verra bien ? Soit c’est la macronie qui regagne des galons, mais je n’y crois vraiment pas. J’ai même lu qu’en démissionnant, il pourrait peut-être reconcourir pour un éventuel troisième mandat, ce qui serait bien croquignolet (mais apparemment ce serait anticonstitutionnel). En tout cas, ça a eut le mérite d’un sacré coup de fouet, et même de faire sortir du bois le président des LR qui a enfin assumé ses accointances fachos.

Je croise les doigts pour que le Front Populaire soit un mouvement bien tangible, et qu’on mette de côté les bisbilles, aussi importantes soient elles, pour se rassembler et faire front à gauche.

Mais au-delà de ces tergiversations, ça y est, nous sommes dans une scène de plus de Years and Years, et juste ça ça fait très peur.

Robert Badinter (1928-2024)

Vous allez dire que je rapporte tout à la Bretagne (oui quand je peux ^^ ), mais voilà la petite maison où Robert Badinter a écrit son discours d’abolition de la peine de mort. Et c’est à Doëlan, à Clohars-Carnoët donc, et on est tous très fier de ce petit fait historique local. Hu hu hu.

Compte Instagram Le Pouldu

Il s’agit en réalité de la maison de Benoîte Groult qui l’avait prêtée au couple Badinter.

Robert Badinter est un homme important pour moi, comme pour beaucoup, et c’est un peu depuis toujours une sorte de héros familial. Le mec de gauche par excellence et qui a porté des combats beaux, justes et vraiment de gauche comme l’abolition de la peine de mort. Et un avocat de l’ancienne trempe, un orateur, un bretteur, un intello aussi de la bonne intelligentsia gauche caviar, mais qui a, selon moi, gagné ses galons de respectabilité par ses actes et son intégrité intellectuelle. Après il n’est pas parfait, il a aussi dit et agit de plein de manières répréhensibles ou discutable, mais il ne s’agit pas de jeter le bébé et l’eau du bain.

Je reprends avec plaisir les propos de Madame Mollette :

Badinter pour un avocat, ça fait partie des Dieux de l’Olympe.
Je ne sais pas si vous pouvez imaginer ce que signifiait le métier d’avocat pénaliste avant 1981. Il fallait accepter l’occurrence, au terme d’un long parcours de défense aux côtés d’un homme, de se retrouver un jour en situation de se lever à l’aube pour accompagner cet homme dans une cour sordide se faire exécuter.

L’une des dernières têtes sauvées de la guillotine fût celle d’un homme de 28 ans condamné à mort par la Cour d’Assises de Vendée et rejugé à Nantes avec Badinter à ses côtés en 1977. Il a raconté qu’il ne mangeait plus ni ne dormait plus pendant le procès.

C’est aussi l’homme qui a fait dépénaliser les relations homos avec mineurs de + 15 ans, supprimer les juridictions d’exception, les QHS. C’est lui qui a révolutionné l’indemnisation des victimes d’accidents de circulation fondée sur le risque et non plus sur la faute : puisque les automobilistes ont des assurances, elles doivent payer, ça a tout changé.
Bref, un Bonhomme. Un déclencheur de vocations. Quand on allait le voir en conférence, on était transporté. Alors voilà on lui rend un hommage mérité.

Je n’oublie pas le reste, ses positions sur DSK, sur l’euthanasie, sur la libération de la parole des femmes, et probablement d’autres trucs miteux. Et aussi, le fait qu’il a accepté de servir de caution intellectuelle au démembrement du code du travail, ça je ne pardonnerai jamais.
Il faut tout dire, ça n’enlève pas le mérite de l’Homme.

Certains ici disent qu’il était avant tout un bourgeois de la gauche bienséante. Ça ne rend pas justice à la complexité de l’homme, à la force de ses engagements et à ce qu’il a accompli.
Le seul Dieu de l’Olympe des avocats que je pleurerai sans aucune réserve sera Henri Leclerc. Mais Badinter mérite les hommages qui lui sont faits.

Madame Mollette sur Mastodon

Il y a aussi Athenavocat qui a eu la réaction suivante :

Et c’est vrai que c’est marrant de se dire qu’il s’agit du « seul homme du 20ème siècle qui a été cité par Victor Hugo au 19ème, car dans son discours d’adieu au Sénat en 2011, il a cité Victor Hugo : « Heureux celui dont on pourra dire qu’il emporte avec lui la peine de mort. » [source]

Après vous me connaissez, Badinter évoque aussi pour moi cette loi de 1982 qui établit une égalité entre homos et hétéros concernant la majorité sexuelle. C’était bien une promesse de Mitterrand lors de son élection en 1981, même si la dépénalisation en tant que telle de l’homosexualité date bien de 1791.

Badinter a aussi eu de beaux mots à ce propos :

https://twitter.com/xavierheraud/status/1755903807748235439

L’Assemblée sait quel type de société, toujours marquée par l’arbitraire, l’intolérance, le fanatisme ou le racisme a constamment pratiqué la chasse à l’homosexualité. Cette discrimination et cette répression sont incompatibles avec les principes d’un grand pays de liberté comme le nôtre. Il n’est que temps de prendre conscience de tout ce que la France doit aux homosexuels comme à tous ses autres citoyens dans tant de domaines

Robert Badinter à l’Assemblée Nationale le 27 juillet 1982
Couverture du Gai Pied de juin 1981 (N°27)

Je possède 3 numéros emblématiques du mensuel Le Gai Pied (les numéros 2, 27 et 42), et il se trouve que le N°42 de septembre 1982 évoque cette nouvelle loi.

Couverture du Gai Pied de septembre 1982 (N°42)

Mais c’est là où on voit que le titre même de l’article est assez discutable. On y évoque certes l’égalité et un juste retour des choses, mais on peut aussi sentir un je ne sais quoi qui sent le soufre. Il faut rappeler qu’à l’époque des mouvements pédophiles s’exprimaient aussi sous couvert de militantisme homo pour « libérer la sexualité des plus jeunes ». Et il y a eu d’ailleurs dans l’histoire du mensuel de fortes dissensions à ce sujet, notamment avec Tony Duvert. L’affaire Dugué est aussi emblématique de cette époque, et de cette très gênante confusion qui est largement exploité par les homophobes, mais malheureusement aussi une réalité toxique de certains militants. On ressent dans l’article cette transition curieuse qui verra une séparation nette, et un refus clair de la pédophilie et des amalgames terribles que certains continuent à entretenir.

Il est en revanche fou de voir, par hasard, que l’article en complément de cette page évoque les bombardements de Beyrouth par l’armée israélienne en cette même période (été 1982). On y lit des positions assez communes avec les mouvements LGBT actuels, à 40 ans de distance on décrypte forcément cela avec une certaine ironie grinçante ou carrément désespérante.

A Gay Manifesto (Carl Wittman) : « Out of the closets and into the streets »

C’est en lisant l’article ci-dessous qui évoque ce singulier « Gay Manifesto » qui date de Stonewall (à priori écrit juste avant, mais Cy Lecerf Maulpoix explique que certaines mentions évoquent une écriture plus tardive), que j’ai découvert Carl Wittman.

Après quelques clics sur les Internets, j’ai trouvé le texte d’origine, et le voici pour votre propre curiosité ou édification. ^^

Ce truc est incroyable, et j’ai vraiment eu beaucoup d’émotion et quelques épiphanies en le lisant car ça pourrait carrément être un texte d’aujourd’hui. Et donc c’est aussi assez frustrant et cinglant, en même temps que c’est génial. Oui c’est génial de se dire qu’il y a encore une vraie filiation d’idées et de positions entre un pédé de 1970 et un pédé d’aujourd’hui, mais c’est terrible de se dire que l’on serine la même chose depuis plus de 50 ans, et que les changements ont certes eu lieu, mais ça reste tout de même encore un objectif non atteint. Evidemment cela résonne aussi particulièrement avec cet essai sur la « pédérité » que j’ai récemment évoqué, on pourrait vraiment y lire des lignes très similaires, ou même plaquées mots pour mots.

Il faudra que je lise le bouquin de Cy Lecerf Maulpoix qui offre une traduction de ce texte et surtout un commentaire qui doit être passionnant, mais c’est pas mal de d’abord le lire et se faire aussi son opinion (sans doute moins contextualisée car je suis loin d’être un spécialiste de l’histoire des mouvements LGBT). En tout cas, pour qui est un peu versé en anglais, ça se lit vraiment très facilement et ce ne sont que quelques pages de texte avec une forme très didactique et qui revêt vraiment cet effet « manifeste ».

Il y a d’abord cette introduction sur le rôle particulier de San Francisco pour les homos, et ça m’a irrémédiablement fait penser à ce que j’ai pu maintes fois écrire ici et ailleurs sur le rôle de Paris et du Marais pour moi pendant des années. Les choses ont bel et bien changé à ce sujet, et, comme SF aujourd’hui, Paris est moins le havre qu’il a été pour nous, mais ça reste une Mecque indéboulonnable pour les petit·e·s queers et torduEs qui cherchent l’émancipation.

Mais Carl Wittman commence son texte avec une métaphore forte et frappante en évoquant nos situations de « gay refugees » en parlant de SF comme « un camp de réfugiés pour gay ». Il évoque tous les américains qui ont fui de tous les coins du pays pour s’y retrouver, et c’est clairement assez analogue à Paris pour la France. Cette première métaphore est une des nombreuses qui émaillent le texte, et après une certaine solidarité avec la situation de personnes migrantes cherchant un refuge, il fait rapprochements sur rapprochements avec des luttes antérieures que ce soit celles des noires, des femmes ou plus étonnant l’écologie (en tout cas ça m’a étonné que ce soit un rapprochement aussi ancien).

Après le manifeste de manière très structurée propose plusieurs pistes de réflexions, et pour l’époque j’imagine que certains se décrochaient la mâchoire à lire cela, aujourd’hui heureusement la majorité des gens se dirait sans doute « bah oui hein ».

Donc d’abord Car Wittman explique des petites choses sur l’homosexualité, et des assertions évidemment essentielles pour expliquer ce que c’est et ce que ce n’est pas. On a donc tout une première partie sur l’orientation sexuelle, et notamment après avoir défini l’homosexualité, un second élément fort consistant à célébrer la bisexualité et on dirait aujourd’hui quelque part la « non binarité » dans les orientations ou la « pansexualité ». Il affirme avec une phrase qui m’a beaucoup fait sourire (mais à laquelle je souscris complètement) : « Les gays commenceront à se tourner vers les femmes quand 1) ce sera quelque chose de voulu et non d’obligatoire, 2) quand la libération des femmes aura transformé la nature des relations hétérosexuelles ». Et v’lan !!!

La seconde partie du manifeste est à propos des femmes, et en tout premier chef évidemment on regarde du côté de la cause lesbienne. Il reconnaît aussi que le machisme est un fléau chez les gays, et que la libération des femmes est une pierre angulaire du combat LGBT. Il évoque de manière très intéressante le rôle de la sexualité par exemple, qui chez les homos a plutôt été une source d’émancipation et un « symbole de liberté », tandis que pour les femmes une des origines de leur oppression. Et donc il y a nécessité à travailler avec ces alliées évidentes.

La troisième partie nous renseigne sur les « rôles » dans la société et les images perçues des différentes types de gays notamment. Mais il commence par fustiger le fait de vouloir rentrer dans le rang et d’imiter les hérétos dans leurs comportements, rites ou aliénations. Et évidemment le mariage dans sa forme actuelle n’est absolument pas prôné, on devra profiter de nos luttes pour le transformer et s’inventer peut-être de nouvelles manières de « faire couple ». Et ce qui m’a aussi beaucoup fait plaisir c’est de lire qu’il faut déjà à l’époque lutter contre la follophobie et cette sacro-sainte et détestable « bonne image ». Carl Wittman célèbre déjà les hurlantes, les drags et toutes les personnes « non conformes » qui sont au cœur de l’oppression et donc du combat.

J’ai été très étonné par l’insistance sur le coming-out et le fait que personne ne devrait être dans le placard, et que la finalité de tous les homos du monde est d’être « out ». Je suis vachement d’accord avec ça, mais ça m’étonne de le lire comme un des axes de libération aussi important. Mais d’un autre côté, à cette époque j’imagine que les militants devaient être super frustrés de se battre contre des moulins à vent, alors qu’ils connaissaient des tas de pédés dans le placard, et qui empêchait une visibilité dont on sait à quel point c’est une arme redoutable pour faire changer la société.

La partie suivante, sur l’oppression justement, détaille bien les stratégies ennemies, et c’est hallucinant de voir aussi comme c’est parfaitement actuel. Il suffit de voir les mouvements anti mariage pour tous d’il y a dix ans pour s’en persuader. Et on y parle aussi du grand danger de l’oppression « internalisée » (Self-oppression) par la propre communauté LGBT, celle qui notamment impose la « bonne image » et des statu quo par rapport à son propre cadre de référence et surtout son statut précaire de « parvenu ». On y comprend aussi toutes les luttes intestines et les dissensions qui ne sont que pain béni pour les ennemis de la cause.

La cinquième partie sur le sexe est un texte assez important et qui m’a pas mal étonné. Mais c’est vrai que l’on était dans une époque où la libération sexuelle n’était vraiment pas derrière nous, et à certains égards je vois bien qu’elle ne l’est toujours pas. Donc c’est aussi un élément clef du manifeste qui redit que le sexe c’est un truc sympa et pas sale. ^^ Mais il va super loin en disant qu’on doit remiser les notions d’actifs (pénétrants) et de passifs (pénétrés) et de toutes les notions de domination sociale qui s’y rapportent. C’est fou comme le texte évoque à chaque fois des choses dont j’ai l’impression qu’elles sont assez récentes, et pas du tout. (Bon, sachant que c’est Monique Wittig notre démiurge qui a tout inventé et déclenché de toute façon. Bravo les lesbiennes !!!) Et c’est marrant l’auteur va aussi jusqu’à évoquer les fantasmes sur l’âge ou la condition physique, et la nécessité de dépasser aussi ces carcans de nos propres mouvements.

La sixième sur nos ghettos est intéressante car elle reboucle déjà sur certaines notions. On y lit notamment qu’on crée ces espaces pour qu’ils soient sûrs et à notre image, et avec nos règles, mais qu’au final il y a récupération et exploitation par la société (et du capitalisme). On peut toujours être dubitatif sur celui-ci, car il faut à la fois être acceptant de tous et toutes, et utiliser aussi ces havres comme des lieux de médiation, de mélange, de sensibilisation et d’éducation, donc attractif pour tout le monde, mais gardant son âme… Un peu complexe à atteindre comme finalité.

La dernière partie se focalise sur ce qu’on appellerait aujourd’hui la « convergence des luttes », et c’est drôle et passionnant car il en fait des assertions très pratiques sur la manière dont on doit aborder les différents groupes. Donc on a des conseils de coalition et coopération avec les femmes, les noirs, les latinos etc. Et on n’est pas non plus dans l’ignorance de l’homophobie plus ou moins internalisée de ces groupes, donc ce n’est pas non plus le monde des bisounours, mais au contraire un positionnement assez rationnel et sérieux, et c’est assez épatant de se dire que 50 ans plus tard, on n’est pas loin d’écrire à peu près la même chose.

J’aime beaucoup le dernier groupe qu’il appelle les « homophiles », et qui sont aussi présents chez nous. Ce sont les gays les plus conservateurs et les moins militants en apparence, que certains taxent d’ailleurs de profiteurs (ils profitent des luttes sans faire aucun effort ou prendre aucun risque), et qui sont vraiment dans cette continuelle recherche de statu quo et de « bonne image » que j’exècre tant. Dans les années 50 à 80, c’était à peu près le terrain de l’association « Arcadie » et aujourd’hui ce serait pour moi GayLib ou L’Autre Cercle. Et il faut toujours raison garder, car on ne peut pas non plus être contre ces associations qui font aussi le job à leur manière. Roger Peyrefitte qui est un des fondateurs d’Arcadie est aussi l’auteur des Amitiés particulières qui est sorti en 1943, et dont on ne peut pas nier l’importance dans l’histoire du mouvement gay en France.

Et donc les conseils de Carl Wittman pour ce groupe :

1) réformistes ou minables1 parfois, ce sont nos frères. Ils progresseront comme nous avons progressé. 2) ignorez leurs attaques. 3) coopérez quand la coopération est possible sans compromission majeure. »

Encore une fois, c’est super actuel !! Et enfin la conclusion avec en résumé les 4 choses2 à retenir selon Carl Wittman :

1) Libérons nous : sortez du placard, lancez vous dans des activités politiques et défendez vous.
2) Libérez les autres gays : parlez tout le temps, comprenez, pardonnez, acceptez.
3) Révélez/libérez l’homosexuel en chacun : ce sera très difficile avec certaines personnes, mais il faut rester modéré et continuer à parler et agir librement.
4) Nous jouons un rôle depuis longtemps, donc nous sommes devenus des comédiens accomplis. Maintenant nous pouvons commencer à être nous-mêmes, et ça va être un très beau spectacle.

C’est vraiment marrant comme le coming-out était l’alpha et l’oméga de ce manifeste, mais après tout ça tombe sous le sens quand on se remet dans le contexte de 1969. L’existence même des LGBT et leur visibilité étaient la première pierre à l’édifice, et là au moins on peut se dire que oui les choses ont bien changé. ^^

Je vous mets aussi ce super document qui est publié par le même organisme « Red butterfly ». Il s’agissait de la cellule marxiste du New York Gay Liberation Front, et c’est passionnant de lire justement la convergence LGBT/anticapitaliste (et qui dans les faits atteint sa propre limite lorsqu’on lit le texte).

  1. J’ai beaucoup de mal à traduire « pokey », c’est peut-être une grosse erreur de ma part. ^^ ↩︎
  2. Encore une fois, une traduction très approximative ↩︎