Festival REGARD(S) 2025 – courts métrages queer (Cinéma Arvor)

C’était le festival Regard(s) la semaine dernière à Rennes, il s’agit du festival de cinéma LGBT du coin, et ils faisaient une classique séance de courts-métrages en deux parties pendant le week-end. On est allé voir ça, et c’était plutôt une bonne fournée !

C’est toujours chouette les courts avec ce côté mini-histoire souvent comme un fabliau des temps modernes, et toujours un accent singulier de par la thématique queer. Mais en réalité, elle invite autant au drame et à la tragédie qu’à l’humour, l’ironie mordante et parfois diablement revancharde. C’était tout cela, avec en plus un truc (forcément) très jeune et actuel qui fait du bien (de voir que les choses se suivent et se ressemblent, mais se renouvellent également).

ACROBATS

Eloïse Alluyn, Hugo Danet, Anna Despinoy, Antonin Guerci, Alexandre Marzin, Shali Reddy France – 2024 – 8 min

C’était un très beau film d’animation (des Gobelins si j’ai bien vu le générique) très coloré et touchant. Une toute jeune fille reçoit une fleur de son amie, et ça la met en joie. Elle rentre chez elle et c’est une toute autre ambiance, on est dans un univers fantasmagorique avec des idées qui s’incarnent vite en saynètes surréalistes et multicolores. Grosso modo la famille n’est pas très gay-friendly, et leurs pensées à eux sont très ferroviaires (laule) ou au ras des pâquerettes. Heureusement l’alacrité communicative et irrésolue de la gamine ne peut que lui échapper !! C’est très court mais d’une absolue dinguerie et poésie. Jouissif !

YOU CAN’T GET WHAT YOU WANT BUT YOU CAN GET ME

Samira Elagoz et Z Walsh Pays-Bas – 2024 – 13 min

Je ne pensais pas que le procédé pouvait me plaire sur une telle durée, mais c’est tout le contraire. Car il s’agit d’un diaporama en réalité, c’est vraiment seulement une succession de photos, de captures de SMS, de la musique et on suit ces deux personnes, plutôt transmasc dans la démarche (mais ce n’est pas le sujet), qui sont très très amoureux et entrent dans une passion dévorante à distance. Cela fonctionne super bien, et ils véhiculent de merveilleusement bien leurs émotions et le bonheur de se trouver dans ce maelstrom de leur propre quête d’eux-mêmes.

Il y a en plus pas mal de qualité formelle à l’œuvre, donc ça m’a épaté. Juste un bémol, et c’est souvent le cas avec les courts-métrages et c’en est bien le plus difficile exercice : trouver une chute !! Et là c’est un peu décevant, on était sur une aventure très prenante, et on termine un peu en eau de boudin pour moi. Vraiment dommage !

HEARTBREAK

August Aabo Danemark – 2023 – 26 min

Alors là totalement nawak et irrésistible ! Et danois évidemment. Hu hu hu. On suit deux gars qui doivent se marier, et c’est carrément le jour de mariage. Mais la première scène c’est l’un des deux qui est presque à vouloir étouffer son mec sous un oreiller… Oh là, étrange… On comprend alors que réellement l’un des deux a des envies de meurtre, mais ils arrivent de la manière la plus singulière à passer outre ce…kink ? En tout cas, c’est drôle et acide, vraiment d’une irrésistible acrimonie, et ça se termine en apothéose !! (Et il dure tout de même pas mal de temps, mais ça fonctionne !)

CAPITANES

Kevin Castellano et Edu Hirschfeld Espagne – 2024 – 15 min

Alors là évidemment, on est dans le fantasme complet, et en plus avec des espagnols ! Mazette !!! Complètement nawak encore, deux mecs d’une équipe sont renvoyés au vestiaire pendant un match, et ils sont prêts à se mettre sur la gueule, mais ils mettent autrement. Et les équipes reviennent au vestiaire, et c’est assez fou… Surréaliste, barré, un mélange de movida et de foutage de gueule, mais assez agréable à regarder, alors pourquoi pas ? Hu hu hu.

FAMILIAR

Marco Novoa France – 2024 – 19 min

Malgré quelques maladresses de mise en scène, c’est une idée tellement cool qu’elle rattrape les petits défauts initiaux. On voit une jeune femme et son compagnon, on comprend qu’elle a perdu un bébé. Ensuite, on la voit qui suit son compagnon, plutôt compère, lors de ses shows drag, car c’est en réalité Le Filip qui joue le rôle. En parallèle, on suit un gamin qui vient de se faire virer de chez ses parents. Ils vont se croiser, et on aboutit à une petite intrigue très touchante et fantastique. Et ça fonctionne super bien, car on a en plus quelques scènes très bien filmée, et la plongée dans le fantastique est une réussite alors que c’est très casse-gueule.

HABIBI ET LES CRACHEUSES

De Younés Elba France – 2024 – 21 min

C’est dommage car le film est formellement vraiment beau et bien fait. J’aime la manière de filmer les visages et les émotions, mais ça manque juste d’une histoire avec un peu plus de péripéties et de tensions. Pourtant l’intention est super, et on est pris par tout le début avec ce groupe d’amis, un mec gay et ses deux super copines, qui va tout tenter pour l’aider à rejoindre sa mère qui veut enfin lui reparler. Les comédiens et comédiennes étaient top en plus, mais parfois ça tient vraiment à l’écriture, et sans doute juste un avis personnel car le court-métrage a gagné le prix du public. ^^

DRAGFOX

Lisa Ott Royaume-Uni – 2024 – 8 min

Oh le petit bijou queer anglais avec un gamin qui cherche à mettre la robe de sa petite sœur en secret dans la nuit, et qui croise un renard-drag-queen (avec la voix de Ian McKellen évidemment ^^ ). L’animation en image par image est somptueuse, et les chansons sont fabuleuses. Une parenthèse enchantée et une belle évocation de l’identité de genre chez un petit chou !

HELLO STRANGER

Amélie Hardy Canada – 2024 – 16 min

J’ai beaucoup aimé cette tranche de vie plutôt documentaire, mais avec une forme très originale. Cooper raconte comment sa voix est son caillou dans la chaussure d’une transition de genre assumée et évidente. Elle est très touchante et d’une sagacité et clairvoyance qui feront du bien à d’autres. Et j’ai aussi trouvé que formellement, il y avait une maîtrise de l’image et de la narration, même si encore une fois un peu désappointé par la fin du court.

CHICO

Enzo Lorenzo Belgique, France – 2023 – 22 min

Bon là c’est belge hein, alors forcément génial et barré. Cela part dans tous les sens avec à la fois une solidarité des gens qui vivent un peu à la marge, mais aussi le caractère aléatoire, inique et violent de ce genre d’existence un peu paumée. On suit Jojo qui fantasme sur un gars (pas le bon évidemment), et il prend tous les risques pour lui plaire, jusqu’à se retrouver dans une panade pas possible. Mais c’est une belle aventure, et j’ai vraiment adoré ce personnage principal. Il est aussi solaire que maladivement timide et pas assuré, mais il y a un truc qui irradie du comédien et qui m’a profondément touché.

NEO NAHDA

May Ziadé Royaume-Uni – 2023 – 12 min

J’ai bien aimé la photo du film justement, et cette surprise de découvrir ces photographies des années 20 de femmes travesties avec des costumes d’homme et fez traditionnel. Mais le court est un peu court… On suit bien cette jeune femme, mais on s’ennuie un peu, et encore une fois ça manque un peu de substance. Un format documentaire aurait peut-être été plus intéressant, ou carrément plus surréaliste ou encore une intrigue un peu plus épaisse.

GENDER REVEAL

Mo Matton Canada – 2024 – 13 min

Sans doute un des meilleurs courts de la série pour moi, c’est absolument jouissif. Nous sommes sur un trio fabuleux, un trouple genderqueer non identifié, et l’un d’eux a été invité à la fête de « révélation de genre » du bébé de son patron. Vous voyez le genre ? Donc les trois queers débarquent dans un temple du conformisme et de la glorification de la binarité. C’est la totale avec les cupcakes vagin et bite, des trucs bleus ou rose, etc. C’est une succession de scènes vraiment drôles et très déglinguées. On est sur « Est-ce que les hétérosexuels vont bien ? » qui se finit comme un épisode de Happy Tree friends. Vous imaginez ? En plus c’est très bien joué et bien filmé, et on a le bonheur de revoir Lyraël Dauphin qu’on avait adoré dans la série Empathie.

COEURS PERDUS

Frédéric Lavigne France – 2024 – 34 min

C’est plutôt pas mal de prime abord, même si j’ai d’abord été un peu paumé sur la chronologie. Mais il y a vraiment un truc suranné dans ce genre d’histoire en 2024, alors qu’on a eu tant de récits de ce genre dans beaucoup de films ou d’œuvres LGBT en général, pas pourquoi pas. Le souci là c’est encore l’écriture un peu bancale selon moi, et pourtant formellement c’est bien. Bien filmé et très bien joué surtout de la part de Guillaume Soubeyran, on suit l’histoire avec attention, mais la fin m’a dérouté. Le mélange suicide, VIH, transmission est vraiment trop dissonant. C’est dommage car avec justement une histoire aussi classique, je pensais que la conclusion pouvait sortir des sentiers battus.

Alors mon petit classement à moi… (sans le vouloir avec une belle diversité de nationalités !)

  1. GENDER REVEAL (Canada)
  2. HEARTBREAK (Danemark)
  3. DRAGFOX (Grande-Bretagne)
  4. FAMILIAR (France)
  5. CHICO (Belgique)

La Transmance

Je vous avais parlé de Léon lors d’un précédent article sur la transidentité car il était vraiment un militant qui me touchait énormément. J’avais adoré ses émissions sur sa chaîne Youtube dont je vous ai aussi parlé à ce moment là, car ses vidéos avec des parents de personnes trans sont des petits bijoux qu’il faut vraiment regarder en urgence si ce n’est pas déjà le cas.

J’étais un peu tristoune de constater dernièrement que ça faisait un an qu’il n’avait pas publié de nouvelles vidéos, et je craignais qu’on ne voit pas de seconde saison à la « Transmance » (une « bromance » entre adelphes ^^ ). Et là je viens de voir qu’il y a déjà 3 nouvelles émissions, youhouuuuuu. Je suis trop joisse.

Alors c’est marrant, et c’est une des grandes qualités de ces vidéos, car ce sont des épisodes avec des concerné⸱e⸱s et pour des concerné⸱e⸱s. Mais en réalité, ce sont aussi de magnifiques outils militants réalisés avec une authenticité frappante et émouvante, et je pense que ça peut toucher tous les allié⸱e⸱s et au-delà. Moi ça m’a plu à mort comme vous le devinez aisément. Car Léon est génial, il est doué, il s’exprime brillamment, il est didactique et utilise la transparence, la vérité et un exercice de raison à la portée de tous et toutes pour fluidifier et animer les témoignages d’autres personnes trans dans des situations parfois très différente de la sienne.

Celle ci-dessous à propos de l’orientation sexuelle des trans est excellente, car c’est clairement un des sujets d’interrogation, et aussi une des questions actuelles sur une certaine ségrégation entre LGB et T. Car l’identité de genre, l’expression de genre et l’orientation sexuelle sont trois choses différentes, hein ? Et donc on trouve des personnes trans qui sont hétéros, homos, bis ou ce qu’elles veulent, mais pas comme on le pense à l’évidence, et par défaut, hétéros. Et Léon est entouré de deux personnes géniales pour converser de ce sulfureux sujet, de parler cul avec une belle décontraction. J’ai découvert Claude-Emmanuelle qui m’a absolument conquis, et Lou Trotignon dont j’avais déjà parlé ajoute un grain de sel drôle, touchant et indispensable.

Sur la non binarité, la vidéo est ci-dessous est fabuleuse avec des témoignages super éclairants et des personnes d’une clairvoyance et humilité confondantes. J’ai adoré retrouver Sam dont je suis les recettes sur Insta, et dont j’ai parlé dans un cadre tout autre en 2022.

Et enfin, encore un sujet assez épineux dans ses échos médiatiques dont je pense qu’il est essentiel d’écouter les concerné⸱e⸱s : les athlètes trans. Léon reçoit trois athlètes qui témoignent sur les traitements iniques dont elles ont été victimes, mais on découvre en réalité des personnes qui sont avant tout des vaillants sportifs qui veulent simplement s’inscrire dans la compétition. Et il est très intéressant de questionner la manière dont le genre devrait absolument ou pas être le moyen de séparer les participants.

On ressort du visionnage de ces vidéos avec le sourire et pas mal d’espoir. Je sais que c’est la merde, et que les situations des personnes queer n’ira sans doute pas en s’améliorant, mais moi dans mon petit coin avec mon petit cœur, c’est juste un baume dont j’ai besoin.

4% en théorie… (Mathias Chaillot)

J’ai vraiment beaucoup aimé ce livre qui est à la fois un manuel pratique, en même temps qu’il raconte en filigrane une jolie histoire sur son auteur. Et tout cela est très fin et délicat dans ses anecdotes intimes, tout en étant très rationnel, raisonné et factuel dans ses explications, souvent même scientifiques. L’auteur, Mathieu Chaillot, est un journaliste gay assumé, et il part de son cas à lui, en essayant de trouver des explications à plein de choses, et en chemin il nous en dit beaucoup sur nos propres interrogations et délivre quelques pistes de réponses.

Les 4% en théorie sont bien entendu la proportion d’hommes gay dans la population globale. Et Mathias Chaillot se demande une question basique : mais pourquoi je suis homo ? Il se raconte un petit peu et c’est toujours très touchant et forcément ça amène à s’identifier à ses propres expériences en la matière, mais surtout cela débouche sur un vademecum hyper fouillé et documenté pour refaire un point sur le pourquoi. Les anciennes théories mais aussi les nouvelles, et sans aucun tabou, il donne ainsi des raisons très scientifiques, pratiques et parfois crédibles, sur des sujets dont on ne sait pas toujours qu’ils ont autant été travaillés par les sociologues.

J’ai vraiment pensé au guide pour les jeunes homos de Xavier et Charles dont j’ai parlé il y a donc plus de vingt ans, mais là c’est le guide d’aujourd’hui et avec une forme vraiment chouette et originale. Et je trouve que c’est la manière idéale, celle d’aujourd’hui, d’accompagner tout un chacun sur ces questionnements, et d’y répondre avec autant de sérieux mais aussi de décontraction et d’humour. Le livre est vraiment un bel antidote à l’homophobie, et un magnifique tribut au coming-out. Il couvre tous les sujets depuis le pourquoi, jusqu’à des problématiques de sexualité, de drague, de taf ou de gestion familiale.

J’ai appris beaucoup de choses, alors que je me considère un certain expert en la matière. Hu hu hu. Et encore une fois, c’était très plaisant de faire connaissance aussi de ce garçon qui a le courage et la générosité de se mettre ainsi en scène et parfois à nu (même si ça reste assez pudique malgré tout) pour mieux toucher ses lecteurs et j’imagine, surtout, les jeunes gays qui liront l’ouvrage.

Je sais que plus personne ne lit, mais j’ai l’intime conviction que le bouquin méritera de tomber dans les mains de quelques uns, car c’est une lecture édifiante et saine, et qui fera du bien.

Dans une prison de Mexico City circa 1935

Un ensemble de photographies de mexicains, prétendument arrêtés pour homosexualité en 1935, fait partie de la collection de la Photothèque Nationale de l’Institut National d’Anthropologie et d’Histoire (INAH) au Mexique. Ces images proviennent de la prison de Lecumberri à Mexico.
On sait très peu de choses sur les détenus eux-mêmes, si ce n’est que ces photos ont été prises dans cette prison tristement célèbre pour ses conditions inhumaines. Jusqu’en 1976, les hommes homosexuels y étaient souvent emprisonnés dans le pavillon J, ou « Jota ». Le terme « joto », dérivé de cette lettre, reste un terme homophobe courant au Mexique.

Traduction du début de l’article d’où viennent les photos.

J’ai vu ces photos sur Insta, et j’ai cherché quelques références complémentaires, mais ça tourne en boucle. Néanmoins, je reste fasciné par ces photographies nonagénaires qui figurent ces types plus fierce et Yassss Queen que jamais. Je ne sais pas si c’était de la déconnade alors qu’on cherchait à les ficher, ou s’il y a autre chose derrière, mais j’aime tellement leur attitude bravache et espiègle, avec des poses que ne renieraient pas des Queens d’aujourd’hui.

Ma petite émotion queer et positive du jour. ^^

Pédélogie comparée

J’avais bien aimé les « 6 types of gay men » basés sur des Pokémons, mais là c’est vraiment d’un autre niveau. Et c’est tellement tellement bien vu !! Je suis ultra fan.

Au-delà des classifications bien connues des twinks, bears et consorts, là on a vraiment les professions de foi de tous les pédés de l’Univers Connu. Evidemment on peut même cocher plusieurs cases, c’est d’ailleurs conseillé. ^^

(J’ai malheureusement oublié la source exacte, même si cela vient d’Instagram. Si jamais je retrouve, j’éditerai l’article.)

Un petit line-up queer pour le Fringe Festival d’Édimbourg

On est tombé par hasard sur le Fringe Festival à Édimbourg qui est un gros truc, et la ville vrombit des spectacles plus ou moins grands de rue ou de salles. C’était difficile de trouver un show mais là j’avais vu qu’on avait la possibilité de voir assez tard un échantillon de quelques stand-upers du festival qui en gros essaient de donner envie qu’on aille voir leurs shows complets. C’est ainsi qu’on s’est retrouvé au Gilded Balloon, et qu’on a vu 5 artistes queer nous faire quelques minutes chacun de leurs numéros.

Le premier c’est le choupinou Mark Bittlestone que je ne connaissais que d’Instagram pour avoir vu ses vidéos, et il était assez marrant en live (mais très très classique twinky gay musclé qui parle de GrindR et consorts). La chouette découverte c’est Ciara qui s’est montrée en quelques minutes extrêmement douée, et pleine d’un humour grinçant et mouillé d’acrimonie et de dérision comme j’aime. Elle nous a vraiment cueilli et c’était un plaisir de l’écouter, et de nous faire rire très spontanément.

La personne qui présentait et introduisait les artistes était un certain Jeremy Topp, mais je n’ai pas été super convaincu par sa prestation. Enfin pour enrober le truc, ça le faisait.

Le dernier, Otter Lee, était vraiment intéressant mais extrêmement malaisant à la fois. Il était très drôle mais totalement largué et à l’ouest, et paraissant parfois vraiment à la limite du burn-out sur scène. On s’est demandé si on devait vraiment rire, ou si l’auto-dénigrement comme cela était obsolète, même dans le stand-up, depuis Hannah Gadsby. Mais il avait une sorte d’énergie du désespoir et une fragilité queer qui m’ont beaucoup touché et fait rire, donc difficile de statuer. ^^

La Grisette et la Drag Queen

Rencontre improbable certes, mais qui m’a fait sourire quand j’ai vu où nous avions rendez-vous hier. Mais une occasion de voir la Grisette est forcément une bonne occasion, et quand en plus il y a un drag show dans l’équation, alors que demande le peuple !!!? ^^

Je remarque d’ailleurs qu’avec les années, la Grisette a enfin été à la fois nettoyée et est protégée, mais en plus elle est bien mise en valeur, même la nuit, et on ne retrouve plus les poubelles à ses pieds ou des buissons phtisiques. Je sais que c’est une œuvre tout à fait mineure, mais vous savez aussi si vous me suivez que je l’aime beaucoup beaucoup, autant dans sa représentation formelle que dans la mise en valeur d’un certain symbole.

Grisette (femme)
Le mot grisette désignait avec condescendance, du xviiie au xixe siècle, une jeune femme vivant en ville de faibles revenus, ouvrière de la confection, dentelière, employée de commerce, réputée sexuellement accessible.

Définition du mot Grisette sur Wikipédia

Mais donc à quelques mètres de là, on peut trouver un bar queer (We Are Brewers), qui brasse ses propres bières, et qui présentait un spectacle de Drag-Queens. L’hôtesse de cette soirée est Quetzal, et on a pu voir une des compétitrices de la S2 de Drag Race España : Jota Carajota.

Sergent Major Eismayer

En voyant ce film, sans avoir rien lu à son propos, je me disais à la fin « Bon ok, mais tout de même ce n’est pas super crédible comme histoire !! ». Et puis à la fin du film, on explique que c’est une histoire vraie, et on voit les photos de mariage des bonhommes. Donc non seulement le film est crédible, mais en plus ils ont plutôt bien casté les comédiens. Mouahahahahahaha.

Et contre toute attente, l’histoire c’est bien cela, nous sommes en Autriche, et nous avons le Sergent Major Eismayer qui est instructeur à l’armée. Mais alors l’archétype de l’instructeur tyran et qui terrifie les troupes, voire qui abuse et met en danger la vie de certains. Evidemment raciste et homophobe pour en ajouter une louche hein. ^^

Et voilà que débarque un aspirant, Mario Falak (joué par Luka Dimic), qui est ouvertement gay et plutôt du genre basané. En plus de cela, il a une grande gueule et refuse de se laisser faire ou abuser par quiconque. C’est donc immédiatement un fort désamour entre les deux hommes, et Eismayer (joué par Gerhard Liebmann) le brime comme il a l’habitude.

Mais ça finit par un mariage, et les deux sont encore ensemble, tout en étant militaires de carrière. Alors franchement rien que pour cela, le film vaut le coup d’œil. C’est tout à fait charmant, et apparemment ça a fait pas mal de bruit en Autriche. C’est presque dommage que le film n’ait pas une distribution ou une presse plus importante, car ça ferait du bien à certains militaires de voir ça. ^^

A Gay Manifesto (Carl Wittman) : « Out of the closets and into the streets »

C’est en lisant l’article ci-dessous qui évoque ce singulier « Gay Manifesto » qui date de Stonewall (à priori écrit juste avant, mais Cy Lecerf Maulpoix explique que certaines mentions évoquent une écriture plus tardive), que j’ai découvert Carl Wittman.

Après quelques clics sur les Internets, j’ai trouvé le texte d’origine, et le voici pour votre propre curiosité ou édification. ^^

Ce truc est incroyable, et j’ai vraiment eu beaucoup d’émotion et quelques épiphanies en le lisant car ça pourrait carrément être un texte d’aujourd’hui. Et donc c’est aussi assez frustrant et cinglant, en même temps que c’est génial. Oui c’est génial de se dire qu’il y a encore une vraie filiation d’idées et de positions entre un pédé de 1970 et un pédé d’aujourd’hui, mais c’est terrible de se dire que l’on serine la même chose depuis plus de 50 ans, et que les changements ont certes eu lieu, mais ça reste tout de même encore un objectif non atteint. Evidemment cela résonne aussi particulièrement avec cet essai sur la « pédérité » que j’ai récemment évoqué, on pourrait vraiment y lire des lignes très similaires, ou même plaquées mots pour mots.

Il faudra que je lise le bouquin de Cy Lecerf Maulpoix qui offre une traduction de ce texte et surtout un commentaire qui doit être passionnant, mais c’est pas mal de d’abord le lire et se faire aussi son opinion (sans doute moins contextualisée car je suis loin d’être un spécialiste de l’histoire des mouvements LGBT). En tout cas, pour qui est un peu versé en anglais, ça se lit vraiment très facilement et ce ne sont que quelques pages de texte avec une forme très didactique et qui revêt vraiment cet effet « manifeste ».

Il y a d’abord cette introduction sur le rôle particulier de San Francisco pour les homos, et ça m’a irrémédiablement fait penser à ce que j’ai pu maintes fois écrire ici et ailleurs sur le rôle de Paris et du Marais pour moi pendant des années. Les choses ont bel et bien changé à ce sujet, et, comme SF aujourd’hui, Paris est moins le havre qu’il a été pour nous, mais ça reste une Mecque indéboulonnable pour les petit·e·s queers et torduEs qui cherchent l’émancipation.

Mais Carl Wittman commence son texte avec une métaphore forte et frappante en évoquant nos situations de « gay refugees » en parlant de SF comme « un camp de réfugiés pour gay ». Il évoque tous les américains qui ont fui de tous les coins du pays pour s’y retrouver, et c’est clairement assez analogue à Paris pour la France. Cette première métaphore est une des nombreuses qui émaillent le texte, et après une certaine solidarité avec la situation de personnes migrantes cherchant un refuge, il fait rapprochements sur rapprochements avec des luttes antérieures que ce soit celles des noires, des femmes ou plus étonnant l’écologie (en tout cas ça m’a étonné que ce soit un rapprochement aussi ancien).

Après le manifeste de manière très structurée propose plusieurs pistes de réflexions, et pour l’époque j’imagine que certains se décrochaient la mâchoire à lire cela, aujourd’hui heureusement la majorité des gens se dirait sans doute « bah oui hein ».

Donc d’abord Car Wittman explique des petites choses sur l’homosexualité, et des assertions évidemment essentielles pour expliquer ce que c’est et ce que ce n’est pas. On a donc tout une première partie sur l’orientation sexuelle, et notamment après avoir défini l’homosexualité, un second élément fort consistant à célébrer la bisexualité et on dirait aujourd’hui quelque part la « non binarité » dans les orientations ou la « pansexualité ». Il affirme avec une phrase qui m’a beaucoup fait sourire (mais à laquelle je souscris complètement) : « Les gays commenceront à se tourner vers les femmes quand 1) ce sera quelque chose de voulu et non d’obligatoire, 2) quand la libération des femmes aura transformé la nature des relations hétérosexuelles ». Et v’lan !!!

La seconde partie du manifeste est à propos des femmes, et en tout premier chef évidemment on regarde du côté de la cause lesbienne. Il reconnaît aussi que le machisme est un fléau chez les gays, et que la libération des femmes est une pierre angulaire du combat LGBT. Il évoque de manière très intéressante le rôle de la sexualité par exemple, qui chez les homos a plutôt été une source d’émancipation et un « symbole de liberté », tandis que pour les femmes une des origines de leur oppression. Et donc il y a nécessité à travailler avec ces alliées évidentes.

La troisième partie nous renseigne sur les « rôles » dans la société et les images perçues des différentes types de gays notamment. Mais il commence par fustiger le fait de vouloir rentrer dans le rang et d’imiter les hérétos dans leurs comportements, rites ou aliénations. Et évidemment le mariage dans sa forme actuelle n’est absolument pas prôné, on devra profiter de nos luttes pour le transformer et s’inventer peut-être de nouvelles manières de « faire couple ». Et ce qui m’a aussi beaucoup fait plaisir c’est de lire qu’il faut déjà à l’époque lutter contre la follophobie et cette sacro-sainte et détestable « bonne image ». Carl Wittman célèbre déjà les hurlantes, les drags et toutes les personnes « non conformes » qui sont au cœur de l’oppression et donc du combat.

J’ai été très étonné par l’insistance sur le coming-out et le fait que personne ne devrait être dans le placard, et que la finalité de tous les homos du monde est d’être « out ». Je suis vachement d’accord avec ça, mais ça m’étonne de le lire comme un des axes de libération aussi important. Mais d’un autre côté, à cette époque j’imagine que les militants devaient être super frustrés de se battre contre des moulins à vent, alors qu’ils connaissaient des tas de pédés dans le placard, et qui empêchait une visibilité dont on sait à quel point c’est une arme redoutable pour faire changer la société.

La partie suivante, sur l’oppression justement, détaille bien les stratégies ennemies, et c’est hallucinant de voir aussi comme c’est parfaitement actuel. Il suffit de voir les mouvements anti mariage pour tous d’il y a dix ans pour s’en persuader. Et on y parle aussi du grand danger de l’oppression « internalisée » (Self-oppression) par la propre communauté LGBT, celle qui notamment impose la « bonne image » et des statu quo par rapport à son propre cadre de référence et surtout son statut précaire de « parvenu ». On y comprend aussi toutes les luttes intestines et les dissensions qui ne sont que pain béni pour les ennemis de la cause.

La cinquième partie sur le sexe est un texte assez important et qui m’a pas mal étonné. Mais c’est vrai que l’on était dans une époque où la libération sexuelle n’était vraiment pas derrière nous, et à certains égards je vois bien qu’elle ne l’est toujours pas. Donc c’est aussi un élément clef du manifeste qui redit que le sexe c’est un truc sympa et pas sale. ^^ Mais il va super loin en disant qu’on doit remiser les notions d’actifs (pénétrants) et de passifs (pénétrés) et de toutes les notions de domination sociale qui s’y rapportent. C’est fou comme le texte évoque à chaque fois des choses dont j’ai l’impression qu’elles sont assez récentes, et pas du tout. (Bon, sachant que c’est Monique Wittig notre démiurge qui a tout inventé et déclenché de toute façon. Bravo les lesbiennes !!!) Et c’est marrant l’auteur va aussi jusqu’à évoquer les fantasmes sur l’âge ou la condition physique, et la nécessité de dépasser aussi ces carcans de nos propres mouvements.

La sixième sur nos ghettos est intéressante car elle reboucle déjà sur certaines notions. On y lit notamment qu’on crée ces espaces pour qu’ils soient sûrs et à notre image, et avec nos règles, mais qu’au final il y a récupération et exploitation par la société (et du capitalisme). On peut toujours être dubitatif sur celui-ci, car il faut à la fois être acceptant de tous et toutes, et utiliser aussi ces havres comme des lieux de médiation, de mélange, de sensibilisation et d’éducation, donc attractif pour tout le monde, mais gardant son âme… Un peu complexe à atteindre comme finalité.

La dernière partie se focalise sur ce qu’on appellerait aujourd’hui la « convergence des luttes », et c’est drôle et passionnant car il en fait des assertions très pratiques sur la manière dont on doit aborder les différents groupes. Donc on a des conseils de coalition et coopération avec les femmes, les noirs, les latinos etc. Et on n’est pas non plus dans l’ignorance de l’homophobie plus ou moins internalisée de ces groupes, donc ce n’est pas non plus le monde des bisounours, mais au contraire un positionnement assez rationnel et sérieux, et c’est assez épatant de se dire que 50 ans plus tard, on n’est pas loin d’écrire à peu près la même chose.

J’aime beaucoup le dernier groupe qu’il appelle les « homophiles », et qui sont aussi présents chez nous. Ce sont les gays les plus conservateurs et les moins militants en apparence, que certains taxent d’ailleurs de profiteurs (ils profitent des luttes sans faire aucun effort ou prendre aucun risque), et qui sont vraiment dans cette continuelle recherche de statu quo et de « bonne image » que j’exècre tant. Dans les années 50 à 80, c’était à peu près le terrain de l’association « Arcadie » et aujourd’hui ce serait pour moi GayLib ou L’Autre Cercle. Et il faut toujours raison garder, car on ne peut pas non plus être contre ces associations qui font aussi le job à leur manière. Roger Peyrefitte qui est un des fondateurs d’Arcadie est aussi l’auteur des Amitiés particulières qui est sorti en 1943, et dont on ne peut pas nier l’importance dans l’histoire du mouvement gay en France.

Et donc les conseils de Carl Wittman pour ce groupe :

1) réformistes ou minables1 parfois, ce sont nos frères. Ils progresseront comme nous avons progressé. 2) ignorez leurs attaques. 3) coopérez quand la coopération est possible sans compromission majeure. »

Encore une fois, c’est super actuel !! Et enfin la conclusion avec en résumé les 4 choses2 à retenir selon Carl Wittman :

1) Libérons nous : sortez du placard, lancez vous dans des activités politiques et défendez vous.
2) Libérez les autres gays : parlez tout le temps, comprenez, pardonnez, acceptez.
3) Révélez/libérez l’homosexuel en chacun : ce sera très difficile avec certaines personnes, mais il faut rester modéré et continuer à parler et agir librement.
4) Nous jouons un rôle depuis longtemps, donc nous sommes devenus des comédiens accomplis. Maintenant nous pouvons commencer à être nous-mêmes, et ça va être un très beau spectacle.

C’est vraiment marrant comme le coming-out était l’alpha et l’oméga de ce manifeste, mais après tout ça tombe sous le sens quand on se remet dans le contexte de 1969. L’existence même des LGBT et leur visibilité étaient la première pierre à l’édifice, et là au moins on peut se dire que oui les choses ont bien changé. ^^

Je vous mets aussi ce super document qui est publié par le même organisme « Red butterfly ». Il s’agissait de la cellule marxiste du New York Gay Liberation Front, et c’est passionnant de lire justement la convergence LGBT/anticapitaliste (et qui dans les faits atteint sa propre limite lorsqu’on lit le texte).

  1. J’ai beaucoup de mal à traduire « pokey », c’est peut-être une grosse erreur de ma part. ^^ ↩︎
  2. Encore une fois, une traduction très approximative ↩︎