Bourdelle, la mémoire des objets

Comme on avait du temps à tuer en arrivant à Montparnasse, on est retourné flâner au Musée Bourdelle qui est à quelques minutes à pied de la gare (et qui est gratuit, comme tous les musées de la Ville de Paris). C’est vraiment un endroit génial, et les sculptures monumentales qui sont en extérieur sont vraiment très marquantes pour moi.

Je suis notamment dingue de cette allégorie de l’Éloquence qui a un visage sublime, et qui de sa noble hauteur oblige à l’humilité son spectateur infatué. ^^

Bref, je vous conseille ardemment d’aller et de retourner voir ce musée d’exception tellement simple d’accès et d’une richesse insoupçonnée, en plus d’un super parcours muséal.

Il y avait en plus une exposition temporaire très intéressante qui se focalisent sur le rapport du maître à des objets qui lui étaient chers. Soit lié à son éducation et ses origines, soit des « hobbies » ou bien des éléments fondateurs de certaines œuvres. Tout cela était vraiment passionnant, et parfaitement présentés et documentés avec beaucoup de dessins préparatoires de l’artiste, des objets de son patrimoine, et juste un regard légèrement décalé sur l’habituel visite de son musée pour ses sculptures en tant que telles.

Un raison de plus pour retourner régulièrement dans ce lieu fantastique. ^^

Présences arabes (Art moderne et décolonisation. Paris 1908-1988) au Musée d’Art Moderne de Paris

Forcément quand j’ai vu ce thème très ambitieux, j’ai foncé et j’y suis allé avec toute ma candeur mais aussi les attentes exigeantes d’un habitué et féru de l’Institut du Monde Arabe. Eh bien force est de constater qu’ils ont de la graine à prendre de l’IMA… Ce n’est pas bon du tout selon moi, voire carrément raté.

Pourtant la décomposition de l’exposition avec un choix chronologique et des thématiques clefs paraissait plutôt bien sur le papier, et on trouve en effet dans la scénographie globale les 4 chapitres qui suivent.

1-Nahda : Entre renaissance culturelle arabe et Influence occidentale, 1908-1937 :
Face à l’influence occidentale, la Nahda (renaissance culturelle arabe) se développe ; plus particulièrement en Égypte, au Liban et en Algérie grâce notamment aux écoles d’art, à la presse… En parallèle, à Paris, les grandes expositions dites universelles, dont la plus importante, L’Exposition coloniale de 1931, incluent des artistes issus des pays colonisés.

2-Adieu à l’orientalisme : Les avant-gardes contre-attaquent.
À l’épreuve des premières indépendances (Égypte, Irak, Liban, Syrie), 1937-1956 :

Certains artistes renoncent à des références importées et imposées pour se saisir d’une expression artistique enracinée dans l’histoire locale (Égypte, Tunisie) mais aussi se connecter directement aux avant-gardes européennes. À Paris, les salons modernistes mettent en avant l’abstraction et accueillent les artistes arabes. C’est le temps des premières indépendances (Égypte, Irak, Liban, Syrie).

3-Décolonisations : L’art moderne entre local et global.
À l’épreuve des deuxièmes indépendances (Tunisie, Maroc, Algérie), 1956-1967 :

Dans une période marquée par la violence et l’enthousiasme des indépendances nationales, notamment nord-africaines (Algérie, Maroc, Tunisie), l’Art moderne arabe se mondialise. Les expositions à Paris, comme la biennale des jeunes artistes reflètent largement cette nouvelle dynamique.

4-L’art en lutte : De la cause Palestinienne à « l’apocalypse arabe », 1967-1988 :
Le « salon de la jeune peinture », à Paris, est dominé par les questions politiques et les luttes anti-impérialistes internationales, de la guerre du Vietnam à la cause palestinienne. L’artiste libanaise Etel Adnan fait paraitre, en 1980 à Paris, son grand texte poétique « l’Apocalypse arabe ». L’exposition se termine par le sujet de l’immigration arabe en France traitée par les musées parisiens (années 1980).

Site Internet du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris présentant l’exposition.

Mais voilà, l’exécution à l’intérieur des salles est complètement erratique et bordélique, on ne comprend rien, il y en a partout, dans tous les sens, et sans aucune signalétique claire pour suivre un quelconque cheminement. Mais vraiment il y a des frise temporelle hyper précise sur des événements que je ne connais pas du tout1, et sans réelle contextualisation entre ce qu’il se passe à Paris, en Algérie, Turquie ou en Egypte, ensuite tu as des panneaux spécifiques qui zooment sur un ou une artiste, et des œuvres à droite à gauche. Mais aucun lien n’est fait, et en réalité on voit que c’est aussi sans doute parce que 1) c’est complexe et 2) ils ont surtout exposé ce qu’ils avaient sous la main et essayé de broder autour ?

Mais là où le bât blesse encore plus, c’est quand on creuse les explications autour et accompagnant les œuvres. Déjà, on ne fait pas toujours le lien avec la thématique ou la chronologie (ils essaient sans doute de se raccrocher soit à l’un, soit à l’autre), mais surtout c’est un mélange bizarre (surtout parce que sans contextualisation) avec des œuvres de français de métropole qui sont allés en voyage, de français installés au Maghreb, de français pro-décolonisation et qui clairement s’engagent aussi dans leurs œuvres, et d’artistes arabes et/ou autochtones, mais aussi des artistes qui sont passés par Paris, et donc on se retrouve aussi avec des artistes arabes mais rien à voir avec de la décolonisation… Bref, je n’ai rien compris. Et j’ai senti qu’on n’a pas cherché à m’expliquer quoi que ce soit.

Et ensuite, on sent clairement la difficulté insoluble d’écrire des cartels à la fois pertinent, précis, historiques mais aussi engagés mais alors sans s’engager du tout car c’est un musée quoi. ^^ Donc les explications sur la décolonisation sont claires comme de l’eau de boudin, avec des métaphores incompréhensibles2, aucune prise de position, et au final des rodomontades tiédasse donc qui disent à la fois que ça a été décolonisé, mais que c’était compliqué, et que l’art c’est bien chouette.

Vraiment quand c’est comme cela, il faut laisser faire l’IMA ou alors faire un truc ensemble. Mais là j’étais très très déçu, surtout pour un aussi beau et bon musée habituellement.

  1. Mais ça, je reconnais que je manque sans doute de culture générale. ^^ ↩︎
  2. Encore une fois, c’est peut-être moi qui manque un peu de jugeotte. ↩︎

Des nouvelles de la Grisette des Faubourgs

Cela faisait deux ans que je n’avais pas pris la Grisette en photo, alors j’ai profité de bruncher avec des amis dans le coin pour passer l’immortaliser une fois de plus (une onzième fois à priori sur ce modeste carnet). Elle est toujours aussi jolie mais moins fringante qu’il y a quelques temps, j’ai l’impression qu’elle aurait besoin d’un bon nettoyage en profondeur !!

L’article Wikipédia à propos des grisettes, et donc celle de 1830 sculptée là par Jean-Bernard Descomps en 1909, est assez étonnant et éloquent dans sa description sociale du « phénomène ».

Le mot grisette désignait avec condescendance, du xviiie au xixe siècle, une jeune femme vivant en ville de faibles revenus, ouvrière de la confection, dentelière, employée de commerce, réputée sexuellement accessible.

Article Wikipédia Grisette (femme)

On voit et sent tout autant le caractère historique, voire traditionnel avec un peu de nostalgie qui transparaît chez les auteurs et chroniqueurs de l’époque, que l’aspect formellement dégueulasse, proprement misogyne et banalement classiste que revêt une telle considération de certaines jeunes femmes.

On a démarré la journée depuis le 15ème arrondissement, que je connais vraiment très très peu (Rive Gauche, pouaaaaaah), et en cheminant vers la Motte-Picquet, on est tombé sur le petit square Cambronne, et un groupe sculpté qui m’a tout de suite tapé dans l’œil.

Cette merveille est de Henri Amédée Fouques et date de 1887, il s’agit de « Drame au désert ». J’adore la tension terrible qui émane de la bestiole enragée et aux muscules tendus, prête à fondre sur le pauvre type à ses pieds. Cela donne une scène d’une rare véhémence et très impressionnante. J’ai vraiment été saisi.

Le musée Antoine Bourdelle

C’est un endroit que j’avais beaucoup aimé quand je l’avais découvert en 2006 à l’occasion d’une exposition Felice Varini. Et comme j’avais du temps à tuer dimanche après-midi à Montparnasse, je me suis dit que j’allais y recoller mes guêtres pour voir ce qui avait changé. Et beaucoup a changé !! Clairement l’endroit a été rénové et sérieusement dépoussiéré. Le parcours pédagogique est passionnant et le lieu bourré de charmes.

C’est déjà un endroit très authentique puisque c’est réellement son atelier et son appartement qui sont là, et qui se visitent avec les sols et meubles d’époque. Le sculpteur était très réputé, et le musée a vu le jour seulement vingt ans après son décès. Les bâtiments attenant ont été construits au fur et à mesure, et l’ensemble est vraiment chouette. La collection en tant que telle est incroyable, mais le jardin est superbe aussi, et toutes les explications pédagogiques autour de la sculpture ou de la conception des bronzes sont passionnantes.

On entre par une cour avec un cheval énorme, et encore la vue sur la tour Montparnasse qui est littéralement à une minute à pied. Tout le musée dans sa partie extérieur est constellé d’œuvres de l’artiste, et c’est génial d’avoir un si bel écrin de verdure pour que de telles sculptures métalliques puissent se déployer dans toute leur majesté.

On aperçoit aussi rapidement Héraklès, celui-là même des douze travaux et en particulier celui qui tire à l’arc sur les oiseaux du lac Stymphale. Il est également très connu par les enfants, devenus cacochymes, de ma génération car une marque de cahiers d’école très connue l’avait en symbole sur ses couvertures cartonnées. Il est incroyablement impressionnant en vrai, il émane de cette sculpture une force, une puissance musculaire toute en tension, et une véhémence à travers ce visage coupée à la serpe presque inhumain. Je comprends que ce soit son œuvre la plus célébrée et reproduite dans le monde.

Le patio présente aussi ses sculptures les plus connues et sublimes, dont le centaure mourant qui est très célébre avec sa tête penchée d’un côté. Il y a aussi sa taille qui impressionne et sa présence en même temps discrète dans un ilôt arboré qui dissimule une partie des détails. Il faut s’approcher et se contorsionner pour bien le regarder. Je suis très très fan de cette sculpture !!

On en revoit aussi le plâtre dans l’atelier du maître, autour d’autres œuvres disparates.

On trouve aussi en extérieur deux versions de La France qui est donc une représentation allégorique surprenante de notre pays. Normalement c’était prévu pour être une installation face à la mer et illustrant la France qui surveille les flots en attendant d’être aidée par les USA, c’est une France « Athéna » en armes, mais avec des rameaux d’olivier sur sa lance (symboles de paix) et des serpents de sagesse à ses côtés. Vraiment dommage que le projet en question n’ait jamais vu le jour.

Dans le jardin, j’ai aussi été très impressionné par cette sculpture très détaillée d’un enfant qui a l’air de capturer un aigle. C’est en réalité d’ailleurs Hannibal enfant qui étouffe l’oiseau, et la vision est vraiment très impressionnante.

La collection permanente des œuvres de Bourdelle permet aussi de se familiariser avec son style et ses choix artistiques. Les explications sont vraiment super intéressantes, et pas du tout ampoulées ou absconses. On comprend vraiment bien sa démarche, et la vigueur de sa créativité, tout en étant un sculpteur très artisanal et technique dans l’approche (pas le genre à attaquer bille en tête sa sculpture sans mesure par exemple). J’adore ses visages tourmentés ou souffrant, et la beauté des traits de son Appolon ou une de ses élèves.

Cette dernière sculpture m’avait déjà tapé dans l’œil en 2006, il s’agit du Jour et de la Nuit qui est tapie et recroquevillée derrière l’épaule du premier. Trop trop beau. ^^

Le hall des plâtres vient terminer une visite avec les modèles intermédiaires, de simples maquettes des sculptures finalisées en réalité, mais qui en eux-mêmes ont une valeur artistique certaine, et surtout prennent une place pharaonique dans cette gigantesque salle. Impressionnant !!

Le Voyage à Nantes 2023 sous le signe de la sculpture

Je sais que l’année dernière ce n’était pas une très bonne année pour le Voyage à Nantes, les œuvres n’avaient pas été très plébiscitées, mais pour une première année nous n’avions pas une grande base de comparaisons. Cette année n’a pas meilleure presse (laule !) mais un peu mieux tout de même, cette thématique de la sculpture donnant au moins une certaine unité et proposant un ensemble avec une petite cohérence.

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