Complices et compromis

J’ai vraiment bien aimé cette notion de complicité et compromission car c’est aussi ce avec quoi je me bats depuis des années. J’irai même encore plus loin, car c’est ce que je décrie qui est sans doute à l’origine même de ma capacité d’émancipation. C’est à dire que c’est une certaine idée d’une société que je honnis qui m’a donné les clefs et les ressources pour la penser ainsi, de manière critique. Et c’est sans doute une de ces vertus, il ne faut pas l’oublier. Elle sera un peu plus vertueuse quand elle saura aussi évoluer, s’améliorer et progresser sans se révolutionner (pour éviter de jeter le bébé et l’eau du bain), mais se transformer vers un meilleur. Mais c’est justement cela qui est peut-être impossible ?

Nous tous. Nous… sans exceptions.

I love my job. I make a great salary, there’s a clear path to promotion, and a never-ending supply of cold brew in the office. And even though my job requires me to commit sociopathic acts of evil that directly contribute to making the world a measurably worse place from Monday through Friday, five days a week, from morning to night, outside work, I’m actually a really good person.

I Work For an Evil Company, but Outside Work, I’m Actually a Really Good Person. Emily Bressler. 12 novembre 2025.

Cela fait mal. Cela met du poil à gratter là où il faut. Cela replace le sujet au bon endroit. Ce n’est pas un abandon, ni une généralisation. C’est le problème fondamental qui est sous-jacent à toutes nos critiques du système capitaliste. Nous sommes tous complices et compromis. C’est le bon point de départ pour penser à ce que nous devons changer. Toute position de la vertu est vouée à l’échec. Il est impossible d’être vertueux dans le monde courant à moins d’être hors-système. Bon courage dans un monde globalisé. La complicité est une arme beaucoup plus efficace dans la réforme des institutions. Je suis compromis donc je dois penser le changement pour l’être moins.

Mon cœur a bondi par Karl

Saurais-je donc me faire du mal à moi-même pour le bien commun ou pire celui d’autrui ? Les nobles qui soutenaient l’égalité des citoyens pendant la révolution française contre leurs propres privilèges, avaient-ils raison ? Et dans raison, il y a évidemment rationalité et morale, mais aussi intérêt ? Leurs vies ont-elles été plus fécondes ensuite ? Peut-être pas, mais ont-ils au moins mieux dormi la nuit ?

En tout cas, je n’aime pas non plus du tout les positions de vertu et les exemples à donner en partant de soi. Et heureusement que l’on peut aussi réfléchir et élaborer une société plus juste tout en se tirant une balle dans le pied. C’est certes plus difficile, mais c’est cela les Lumières.

Et de l’autre côté du spectre, je tombe là-dessus. L’article évoque une toute nouvelle génération de tech bros qui vont à SF pour essayer de percer dans le business de l’IA, à peu près comme on entre en religion… Ils sont dans des neo-ashrams et vibe-codent1 dans une ambiance ascétique les futurs catastrophes planétaires2 avec en plus cette conviction intime de fin du monde. Cela me rappelle ce qu’un ancien collègue et pote m’avait dit dans le tout début des années 2000 : « Nan mais tu sais moi, je m’en fous si la moitié du monde crève, tant que je suis dans la bonne moitié. »

Et dans tout ça, bah chuis paumé, je ne sais plus comment je m’appelle. Ah si, Matoo ou Mathieu selon les dimensions et univers parallèles dans lesquels j’évolue. ^^

  1. Ce sont les développeurs qui utilisent des IA pour majoritairement écrire leur code informatique. ↩︎
  2. En vrai, ils essaient de concevoir des services basés sur l’IA, la couche d’après quoi… Et bien sûr dans aucune conception éthique ou morale : en mode El Dorado… Et c’est finalement très proche des bulles internet d’il y a vingt ans dans la Silicon Valley. ↩︎

Vieille

C’est marrant mais je suis tombé sur ce post de « Chroniques de Bretagne » qui se plaignait de la dégénérescence de Ouest France, exactement comme on le ferait aujourd’hui de tous ces supports qui perdent leurs âmes en utilisant de l’IA générative et réduisent leurs contenus à des hameçons à réclames. Donc nous voici, c’est notre tour, nous sommes les vieilles et les vieux qui bougonnons sur la disparition de notre monde, notre cadre de valeurs et nos repères.

J’imagine que chaque génération connaît cela, depuis la souffrance de l’enfance sous le joug des adultes, à celui des adolescents qui se plaignent de n’être pas compris, puis la jeunesse qui aspire à changer les choses et conspue les vieux réactionnaires, et des adultes qui peu à peu se meuvent et se moulent dans la mode capitaliste de leur époque… Ensuite viennent les vieillards qui subissent un changement de mode et de régime en plus, et qui sont déboussolés.

Et chaque époque a raison de cette perte de valeur, de ce bouleversement de l’ordre établi. Il est néanmoins très difficile d’en tirer un bilan aussi absolu qu’on voudrait l’imaginer. J’ai tendance à vouloir justement le relativiser, parce que je me souviens bien des boomers qui étaient considérés comme des voyous et des beatniks par leurs parents (et ils l’étaient bien sûr parfois ^^ ), ou bien ma propre génération qu’on disait sacrifiée par la télévision et les animés débiles ou violents, et celle d’aujourd’hui abrutie par les réseaux sociaux. Rien de tout cela n’est absolument vrai, ni absolument faux.

Et pourtant, je lis aussi Thierry qui continue son analyse à la fois clairvoyante et sombre de nos « sociétés en ligne ». Et le tableau clinique est aussi précis que flippant.

Une double injonction : plaire et produire de plus en plus, inonder de contenus, lutter contre les autres producteurs, mais avec la même stratégie qu’eux : satisfaire, combler un vide, alors que le vide est nécessaire pour qu’un mouvement soit possible. Où aller quand ça déborde de partout ? Il me suffit d’ouvrir Netflix pour avoir envie de dégueuler. Un amoncellement de vignettes clinquantes empilées les unes sur les autres. Idem sur YouTube, avec des shorts hypnotiques plus cons les uns que les autres. Je ne supporte plus ce monde, non seulement parce que j’en suis la victime, mais parce que vous en êtes les victimes.

Dans un monde où tout est faux, pratiquons le headbang de Thierry Crouzet

Ploum en rajoute une couche en étant encore plus acrimonieux, et il a raison lui aussi !

Je conchie le « joli ». Le joli, c’est la déculture totale, c’est Trump qui fout des dorures partout, c’est le règne du kitch et de l’incompétence. Votre outil est joli simplement parce que vous ne savez pas l’utiliser ! Parce que vous avez oublié que des gens compétents peuvent l’utiliser. Le joli s’oppose à la praticité.

Le joli s’oppose au beau.

Le beau est profond, artistique, réfléchi, simple. Le beau requiert une éducation, une difficulté. Un artisan chevronné s’émerveille devant la finesse et la simplicité d’un outil. Le consommateur décérébré lui préfère la version avec des paillettes. Le mélomane apprécie une interprétation dans une salle de concert là où votre enceinte connectée impose un bruit terne et sans relief à tous les passants dans le parc. Le joli rajoute au beau une lettre qui le transforme : le beauf !

Oui, vos logorrhées ChatGPTesques sont beaufs. Vos images générées par Midjourney sont le comble du mauvais goût. Votre chaîne YouTube est effrayante de banalités. Vos podcasts ne sont qu’un comblage d’ennui durant votre jogging. Le énième redesign de votre app n’est que la marque de votre inculture. Vos slides PowerPoint et vos posts LinkedIn sont à la limite du crétinisme clinique.

Mais c’est plus joli ! par Ploum

J’ai du mal avec tout cela, car lorsqu’on se met à reprocher des choses, alors on doit se repositionner vers un « meilleur ». Et ce meilleur sera toujours celui de son propre cadre de référence, de son propre modèle aussi décrié soit-il par la génération précédente/suivante pour n autres raisons valables. Il me semble juste qu’on doive pratiquer différemment, et moins par couche successive de générations, au final toutes aussi vénéneuses et au capitalisme destructeur de notre environnement. Mais alors lorsque je m’essaie à un exercice un peu plus subtil, bah c’est trop compliqué, ça ne marche pas. Et pourquoi mon opinion serait-elle meilleure que celle d’un autre imbécile ? Pffff.

Une sorte de voie du milieu si on continue à filer la métaphore de l’IA, c’est celle de Korben qui prend cette nouvelle flippante des « 50% du web serait écrit par l’IA« . Mais « et alors » se dit-il. Parce qu’avant l’IA, c’était des machines à créer du référencement naturel qui truffaient les textes de mots clefs, des journaleux du net qui cherche à faire du clic-bait avec des titres racoleurs qui ramènent du clic. Et donc malgré tout ces artifices, la qualité du fait-main du fait-humain continue et continuera à être remarquée, et à façonner notre futur. Encore une fois, c’est vrai et pas vrai. Oui la qualité et le travail sérieux sont encore des choses qui se « voient », mais si les gens s’abêtissent en même temps que les IA construisent une jolie roue de hamster… Mein gott, qu’allons-nous devenir ?

Révolution expIAtoire

Je crois que je ne vais pas me lasser de sitôt à chercher des tas d’opportunités de mettre IA à la place de ia dans les mots et expressions les plus improbables. Hu hu hu. Là je voulais juste vous partager quelques liens qui ont retenu mon attention, comme cet article tout frais du jour de Tristan Nitot qui s’interroge sur la définition même du prolétariat, et qui se demande si ce n’est pas ce que l’IA générative fait de nous : des prolos.

le prolétariat, c’est ceux qui perdent leur savoir, parce que leur savoir est extériorisé dans les machines

Tristan qui cite Bernard Stiegler,

Sinon deux passionnants articles qui proposent une vision que je n’imaginais vraiment pas… En gros, cette quête de l’IA s’accompagne d’une gabegie en ressources et d’une course à l’échalotte en production d’électricité, mais la bulle de l’IA va finir par éclater, et ces deux-là professent qu’on va se retrouver dans un monde avec de l’énergie assez propre et peu cher, et que ça pourrait même être compatible avec nos objectifs de transition écologique. Ce sera assez fou si vraiment c’est le bon scénario.

Lire l’article de Ploum : Quand éclatera la bulle IA…

Lire l’article de Charlie : The pivot.

Skynet comme si vous y étiez !

Je découvre [via Gonzague] cette édifiante vidéo qui explique assez simplement la progression fulgurante de l’IA, mais surtout qui dessine une intéressante projection vers la fameuse AGI : l’Intelligence Artificielle Générale. Et ce n’est pas flippant du tout, c’est pour 2027, et l’hypothèse la plus crédible c’est qu’on est tous tués par des IA avant 2030. Hop là ! Emballé c’est pesé ! Après tout, on a déjà 30 ans de retard par rapport à Skynet en 1997.

Pour lire plus avant la source qui a permis de réaliser cette passionnante et pédagogique vidéo : c’est là.

C’est d’ailleurs ce qui rend cet outil de promotion qu’est une vidéo Youtube plutôt crédible et convaincante, car les études sous-jacentes le sont, et les personnes impliquées paraissent plutôt avoir la tête sur les épaules. Daniel Kokotajlo est souvent cité, et j’ai bien aimé son propre retour d’expérience et auto-analyse sur les prédictions qu’il avait réalisé sur l’IA.

Totally correct Ambiguous or partially correctTotally incorrectTotal
20227119
202354110
202474516
Total198635
[Source]

D’ailleurs, l’atteinte de l’AGI pour 2027 (soit 30 ans exactement après la mise en ligne de Skynet hein ^^ ) est une de ces prédictions qui commencent à sérieusement faire douter les spécialistes. Certains pensent que c’est pour 2030 et d’autres 2044, mais dans tous les cas c’est assez inexorable pour tout un chacun.

Ce qui est drôle, je trouve, c’est que nous avons évidemment maintes hypothèses crédibles quant à notre sombre avenir, et qu’on peut à présent considérer comme voies possible cet étonnant mix entre fiction et réalité. Il y a donc Skynet et l’univers de Terminator que je cite là en figure de proue. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser à Joshua et Wargames, ou simplement à Dune et le récit de la manière dont les hommes ont lutté et gagné la guerre contre les machines pensantes. Dans le Dune de Paul Atréides, les IA ont été complètement bannies de l’Univers Connu et les personnes qui en utilisent sont immédiatement condamnées à mort. Certaines personnes en revanche, qui sont appelées Mentats, sont des ordinateurs humains avec des capacités d’analyse équivalentes grâce à certaines drogues et un entrainement spécifique.

Un de mes auteurs favoris, Isaac Asimov, a imaginé Multivac. C’est un ordinateur gigantesque et sans parler explicitement d’intelligence artificielle, on est sur un truc de compète malgré tout. Dans « La dernière question« , on demande pendant toute son existence à Multivac s’il existe une manière d’inverser l’entropie, et il n’a pas de réponse à cette question. Mais après des millénaires et des millénaires, alors qu’il est devenu une entité informatique qui subsiste dans des dimensions à la physique encore inconnue, et que l’univers a beaucoup changé, et que les humains ont depuis longtemps disparu, il trouve la réponse à cette question posée par l’humanité depuis la nuit des temps. Et alors, il « dit » Fiat Lux. De manière plus prosaïque et proche de nos préoccupations, j’avais adoré aussi la nouvelle « Droit électoral » dans laquelle on utilise Multivac pour élire un président des USA en 2008. Car on est dans un moment du développement et des compétences de Multivac1 où il est capable de modéliser des milliards de paramètres pour soupeser les opinions, les faits, les trajectoires économiques, techniques, le développement de l’humanité etc.

Et donc on lui fait confiance pour choisir la bonne personne, plutôt que de voter soi-même, vu qu’il prend en compte tous les facteurs statistiques imaginables. Malgré tout pour prendre une décision, et pour continuer à donner l’illusion du choix électoral, Multivac sélectionne un seul citoyen américain, et il lui pose une question (à la con). Cette simple réponse « de la base » lui permet d’avoir un modèle statistique absolument parfait. On suit dans la nouvelle la célébrité éphémère de ce citoyen « élu ». Et les gens trouvent que ce principe démocratique est absolument merveilleux et rationnel. ^^

  1. Tout en étant cohérent avec les 3 lois de la Robotique d’Asimov évidemment. ↩︎

Maison Blanche et Miroir Noir

Le contrôle et la mystification de l’information est une stratégie claire et effective de l’administration Trump aux US, et je parlai il y a quelques mois du bruits des bottes à ce sujet, avec notamment cette invisibilisation terrible et inique des LGBT dans les sites officiels américains, y compris le Stonewall. Mais là, c’est encore au-delà de mon entendement… Le site web de la Maison Banche a en effet mis à jour une frise historique qui explique les évolutions du bâtiment depuis le début de sa construction en 1791.

Jusque là tout va bien hein, en cliquant sur la droite, on avance dans le temps, et on découvre les différentes additions architecturales ou d’aménagement décidées par tel ou tel gouvernement. Et on arrive aux années 70 avec Nixon, et…

Mein gott, sur le site officiel, ils ont très officiellement mis des éléments totalement hors sujet ou putassiers, ou carrément surréaliste et toxique sur leurs opposants. C’est carrément Le Gorafi ou des mèmes affichés sur le site web officiel du siège du gouvernement, c’est complètement dingue. Ce règne des idiots est vraiment officiel aussi du coup. Là c’est indéniable. Et attendez car ça continue bien sûr, l’islamophobie ne pouvait pas être le seul attentat à la bienséance de ce « redesign »…

Et voilà côté Biden, avec cette histoire de cocaïne, et bien sûr une dose de transphobie éhontée. Imaginez si Biden avait mis en boîte de la même manière Trump sur sa présidence… Et là c’est fait bien sûr avec un goût douteux, avec vulgarité et indécence. Je sais que l’on peut dire que ce n’est pas incroyable car on reçoit des news comme cela toutes les semaines depuis janvier, mais la somme de toutes ces exactions commence à représenter une rupture incroyable dans tout ce dans quoi on pouvait croire… Mais quelles valeurs ont ces gens ?

On entend depuis longtemps maintenant les expulsions et les détentions dans des conditions inhumaines des équipes ICE (Immigration and Customs Enforcement : service de l’immigration et des douanes des USA) qui font partie de Homeland Security (Département de la Sécurité intérieure des USA, soit l’équivalent du ministère de l’Intérieur en France, mais avec beaucoup plus de prérogatives). Sur Twitter, ils font la promotion de leurs services pour recruter des agents ICE pour continuer leurs méfaits. Récemment, ils ont utilisé l’imagerie Pokemon et le slogan bien connu « Attrapez les tous » pour promouvoir ce métier. Et là, ça va encore plus loin puisque c’est carrément le jeu vidéo HALO.

Donc là ce n’est plus question d’attraper, mais bien de tuer, détruire, annihiler des « aliens ». Et c’est officiel.

Cela me fait penser à cet épisode de Black Mirror, avec des soldats à qui on a mis un implant et cela leur fait voir les civils d’un pays ennemis comme des monstres informes. Comme cela, ils les éliminent en mode FPS1, et ils n’ont plus ce scrupule de tuer des êtres humains.

Il n’y a plus à avoir peur des dérives fascistes, le fascisme est déjà là, à l’œuvre.

  1. First Person Shooter : ces jeux vidéos en vue subjective où le joueur est le tireur. ↩︎

Que ma joie demeure ?

Sacrip’Anne et moi j’ai l’impression qu’on est dans une résonnance qui parfois me file le vertige. Alors qu’on s’est vu une demi-fois dans nos vies mais qu’on se lit depuis toujours, je pourrais faire mien tant de ses articles…

Et celui-ci fait mouche à un point assez dingue.

[…] Je crains, profondément, viscéralement, que les années à venir seront terribles, qu’on a mangé notre pain blanc et que la fin de nos vies (pour les gens de ma génération) sera beaucoup plus sombre que le début. On est trop nombreux, on a trop foutu en l’air tant de choses essentielles à notre survie, on n’a pas trouvé moyen de faire entendre raison au club des superpuissants.

[…] Mon système de survie, celui qui me rend capable de me lever le matin et de faire ce que j’ai à faire, à ma microscopique échelle, c’est de cultiver les bonheurs à ma portée, plus ou moins intenses, plus ou moins fugaces.

[…] Ce qui se présente à nous comme portes ouvertes sur le bonheur, c’est tout ce qu’il y a. Même incertain, même fragile, même risqué. Tout ce à quoi on puisse prétendre. Alors tant que je peux, je resterai là, bras et coeur ouverts. Même si ça fait, aussi, parfois hurler de douleur, d’être capable de ressentir ça. Inconsolable, peut-être. Mais jamais incapable d’amour, j’espère. Même quand viendra le pire.

Sacrip’Anne dans In pursuit of happiness

Alors il y a sans doute notre proximité en âge et extraction, et globalement en expériences, mais cela va au-delà. Peut-être un marqueur générationnel de ces jeunes quinquas ou en devenir ( ^^ ), mais clairement on n’arrive plus à s’enchanter d’un monde qui dépérit à vue d’œil à tant d’égards. Et malgré tout cela, on essaiera. Toujours, toujours.

Mamma mIA !

Voilà, nous y sommes ! Enfin non, ce n’est qu’une étape, mais elle est marquante comme l’étaient déjà les précédentes, c’est juste que des révolutions technologiques tous les trois mois, ça donne un peu le tournis.

Vidéo réalisée entière par IA générative sans trucage (source)

J’ai vu cette vidéo tourner dans un cercle proche, donc je devine qu’elle explose un peu partout, mais c’est vrai que lorsque le créateur (aka le prompteur) explique que tout cela n’est qu’une série de prompts (simple ligne de texte expliquant à l’IA le résultat voulu) pour créer chaque vidéo qui sont ensuite montées l’une après l’autre, c’est totalement bluffant. Bluffant techniquement parlant, et encore une autre couche de flippe quant à l’ensemble des implications possibles…

Là clairement Google (il s’agit du service Veo 3 de l’IA de Google Gemini) tue l’ensemble de la chaîne de production vidéo pour les supports publicitaires. Et ça ne sera que dans un premier temps, car clairement les contenus artistiques prendront le même chemin (d’abord les dessins animés pour les gamins, puis les téléfilms etc.). Cela n’arrivera pas tout de suite, pour le moment ce ne sont que quelques secondes de génération de film, et il sera impossible de déployer cela industriellement avec les capacités de calcul actuelles (évidemment c’est une hérésie écologique, mais je sais qu’on s’en tamponne le coquillard). Mais c’est pour dans 18 à 24 mois, pas pour dans 10 ans1.

Le côté génial évidemment, c’est que le moindre quidam avec une super idée aura les moyens de créer une œuvre à partir d’une description très factuelle. On gardera aussi, si c’est viable économiquement2, une force de création qui devra sortir des sentiers battus pour survivre3.

Sinon sur le front de l’adoption, je vous propose ces deux infos croquignolettes ! D’abord on a de plus en plus de voleurs de contenus qui prennent des dessins originaux, créés par des humoristes, et qui les passent à la moulinette IA pour se les approprier. Bah c’est hyper difficile de prouver le litige, parce que c’est plus qu’une suppression d’un nom ou d’une signature, et l’IA recrée vraiment un truc qui graphiquement est original (même si basé sur des millions de trucs déjà volés). Donc il faut prouver que c’est l’idée d’origine qui est la source de richesse. On revient encore sur le fait que ce sont les idées, l’origine même de la création, qui restent valorisables…

Et nous avons eu récemment ce qui doit déjà arriver couramment dans nos colonnes, un journal a imprimé toute une rubrique, confiée à pigiste, qui a été générée par IA, et qui contenait des infos fausses. Et voilà comment vous avez des auteurs qui ont publié des livres qui n’existent pas et qui vous sont recommandés pour l’été prochain. Et là en effet, même avec un relecteur (là il n’y en avait même pas), il faut aller vachement dans les détails pour rechercher chaque élément et s’assurer que ce n’est pas inventé.

  1. Je ne sais pas du tout si ce sera si tôt, mais c’est pour dire qu’on en connaîtra largement les effets. ↩︎
  2. Et ce n’est pas certain. ↩︎
  3. Et pour continuer à améliorer les modèles apprenants d’Intelligence Artificielle. *prout* ↩︎

Hypnocratie (quoi le feuque !!)

Allez, continuons de nous esbaudir sur les joyeusetés de notre monde avec cette vidéo qui explique de manière passionnante comment un philosophe italien, Andrea Colamedici, a créé un auteur et lui a fait publier un bouquin qui a édifié tous les commentateurs. « Hypnocratie » de Jianwei Xun a passionné plein de gens dans la manière extraordinairement pertinente et opiniâtre de décrire d’un point de vue philosophicosociologique les méthodes et techniques avec lesquelles l’opinion est façonnée et les fascistes arrivent en ce moment au pouvoir. Un auteur créé avec de l’IA pour un bouquin écrit avec de l’IA, pour dénoncer les oligarques qui manipulent les peuples avec de l’IA, ces mêmes peuples bientôt remplacés par de l’IA, mais qui utilisent aussi l’IA (pour faire des portraits Ghibli). ^^

Reflet de l’âme et profil de consommation

Alors évidemment cela part d’un service de photos en ligne payant qui se focalise sur le respect de la vie privée, mais ce site propose d’utiliser un service Google qui permet de sortir à la volée des données de ciblage publicitaire à partir de photographies lambda.

Voilà par exemple ce que ça donne pour moi :

Imaginez ce que ça peut donner en inférant les données de plusieurs images, voire de tous vos albums personnels ? Eh bien, c’est un profil absolument irréfutable et précis de qui vous êtes, de votre catégorie socio-professionnelles et surtout (car il n’y a rien de plus important que cela) de vos appétences de consommation dans tous les domaines. ^^

La fin des haricots

C’est fou mais je parle beaucoup d’IA tout de même dans ces colonnes. Cela m’épate car depuis ces vingt années de déblogage régulier, malgré mon assuétude évidente pour l’informatique depuis mes vertes années, et son lien plus que ténu avec mon occupation laborieuse, j’ai vraiment orienté mon web-log sur des petites choses du quotidien, sur un miroir de l’égo, des fixettes sur mes aventures en Queeritude ou bien le compte-rendu des choses lues, vues, écoutés, senties, goutées, touchées.

Et pourtant j’aurais largement eu de la matière pour parler de web, dont c’est un peu ma spécialité tout de même, ou encore de technologies ou de trucs de geek. Mais non, ça n’a jamais été mon goût pour le blog et pour délier mon écriture. En revanche, l’IA générative me touche tant que je dois en parler de temps en temps. Je sens que ce truc va bouleverser nos existences comme le web l’a fait, mais encore plus vite, mais encore plus fort, et encore plus profondément.

Comme nous le vivons tous avec plus ou moins de difficulté ou d’appréhension, nous avons cette étrange sensation d’une accélération incroyable de tous les « phénomènes » qui nous entourent, et la technologie nourrit à la fois cette capacité et cette demande inexorable. Mais donc on a autant vu cette croissance extraordinaire de l’IA, autant dans son adoption, ses usages, mais aussi ses limites repoussées sans cesse, sa détestation par certains ou son bannissement par d’autres (avant de ne plus pouvoir que s’y soumettre néanmoins). Mais là je note enfin, des limites qui sont intéressantes car elles vont au-delà des histoires de copyrights (qui sont importantes évidemment, mais qui sont malheureusement des imbroglios qui ne résoudront rien, et qui ne seront jamais bien expliquées ou ne trouveront un juste dénouement), et il semble qu’avant même qu’on s’y mette tous, on a déjà des raisons de réfléchir à deux fois. Mais sera-ce suffisant pour reculer ou bien doit-on faire ce pas en avant alors que c’est dans un précipice, et qu’il est bien signalé tout comme il faut.

En cela, l’article de Ploum est édifiant dans sa liste de toutes les « fins » qui ont été atteintes ces derniers temps en lien avec les IA génératives. Que ce soit les décisions trumpistes sur les taxes de douane, des médecins qui remettent en question leurs propres intuitions ou expertises, mais surtout la nécessité d’apprendre que ce soit une langue, un système informatique ou un truc un chouïa complexe, bref plein de ressources très intéressantes à aller creuser.

Dans ces liens, j’ai bien aimé celui de Luciano Nooijen qui explique sa prise de conscience d’abord par l’usage du système de conduite autonome de son véhicule. Il a vite réalisé lorsqu’il a voulu reconduire, qu’il avait perdu à une vitesse incroyable des tas de compétences très intuitives. Et cela vaut aussi pour les développeurs qui utilisent l’IA pour se mettre le pied à l’étrier ou carrément pour accélérer leur création de code, ou parfois plus que cela. Il n’a pas laissé pour autant tomber ces outils qui ont une utilité, mais que l’on doit maîtriser au risque de perdre tout ce qui fait le cœur de ses compétences.

Et d’ailleurs dans ce domaine, il y a des trucs qui arrivent assez terribles, avec déjà des nouvelles méthodes pour infecter les modèles d’IA avec des bouts de code vérolés à qui bien des béotiens pourraient faire confiance par manque de savoir. Et cela sans voir bien sûr que le web se remplit à vitesse incroyable de contenus générés par des IA, et ces contenus étant eux-mêmes utilisés pour les entraîner, on arrive sur une entropie de l’information qui est digne d’un roman de hard SF. Le plus inquiétant c’est la manière dont on pourrait entraîner ces IA à avoir telle ou telle opinion selon qu’on lui a fait ingérer des tas de textes de telles ou telles obédiences. L’IA ne fait que proposer des textes plausibles, statistiquement cohérent avec votre demande, et en imitant des morceaux de textes préexistants. Ce n’est qu’une illusion de réflexion, un miroir aux alouettes qui mimique parfaitement l’érudition d’un physicien nucléaire et peut le recracher dans le style de Martine à la plage si c’est ce que vous voulez.

Il suffit d’exploiter l’IA au quotidien pour en mesurer les limites, mais aussi une flippante utilité.

Et je ne sais pas si c’est lié mais j’ai adoré cet article qui explique comment les milieux de la technologie sont passés de gauche à extrême droite. Les gourous de l’IA ne sont pas les derniers à militer dans une direction similaire. ^^

On peut aussi rapidement tomber sur ce genre d’expérience malheureuse qui rappelle qu’il faut se méfier. La personne ci-dessous explique qu’elle a demandé une traduction d’un doc chinois à chatGPT. La traduction était exactement ce qu’elle attendait, et donc ça n’a pas du tout éveillé ses soupçons. Mais comme il y a eu une couille dans le potage, elle a fait vérifier par un tiers, et la traduction était totalement fausse, complètement fantasque !

L’IA n’est pas pernicieuse per se, donc elle reconnaît que le fichier envoyé n’avait rien de lisible, et elle a donc proposé un texte qui était cohérent avec la demande et les échanges précédents « to be helpful ».

Cela m’arrive aussi couramment, et c’est parfois très difficile à détecter. ^^

Il y a 9 mois, je vous avais démontré ce service Gougueule qui permettait de tester de la création audio à partir d’un corpus de documents. Cela permet de créer des épisodes de podcasts à partir de quelques documents et des sites web par exemple. Le service est maintenant disponible en français, j’ai donc réessayé simplement en proposant l’URL du blog en source. Il n’est pas allé plus loin que la page d’accueil, mais en lisant simplement les titres et le s débuts de posts, il produit un truc très crédible et bluffant.

Et pourtant quand on écoute c’est un ramassis de banalités… Et il y a ce truc très drôle du « 178 av LLM » qu’on trouve en maxime sous mon blog. Evidemment un LLM pour le commun des mortels ce sont les Large Language Models qui sont justement les pierres angulaires de ces IA génératives. Et j’adore que le système brode sur mon ironie qui va jusqu’à sous-entendre que je blogue depuis 178 années avant l’invention de l’IA en gros. Hu hu hu.

« 178 av LLM » est une boutade d’il y a une vingtaine d’années qui s’est répandue sur quelques blogs alors que la presse et « tout le monde » faisaient des gorges chaudes sur Loïc Le Meur comme l’inventeur des blogs, ses initiales, LLM, devenant rapidement une manière discrète de parler de lui. Des gens s’étaient mis à afficher depuis combien de temps ils bloguaient « avant LLM ». Et moi donc, je blogue depuis 178 jours avant Loïc Le Meur. ^^

Podcast fabriqué par l’IA de Google depuis le service NotebookLM à partir de matoo.net

Bon pour finir, je dois aussi lier cet excellent article de David (qui continue aussi à écrire avec une constance que j’admire sur des sujets dont je ne comprends souvent que les trois premiers paragraphes ^^ ). Je souscris vraiment à toutes ses assertions sur le sujet, et notamment sa toute dernière pensée qui est saisissante.

La liberté de l’accès à l’information était un fondement essentiel du Web : si la concurrence à l’entraînement des IA, en rendant gratuitement précieux ce qui était un commun, crée des barrières là où il n’y en avait pas, c’est un dégât collatéral bien plus grave que toutes les questions de consommation d’énergie ; et l’invocation du démon de la propriété intellectuelle, loin de détruire les IA, ne va qu’empirer ce problème.