Je ne sais pas si vous avez suivi ce truc incroyable qui se passe aux USA avec l’arrivée de Trump, de nouveau, au pouvoir. Mais c’est tout à fait similaire (et je mesure mon point Godwin après 37 mots seulement) aux autodafés (juste à l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933) et autres réécritures de l’histoire ou exposition de l’art dégénéré (Entartete Kunst en 1937) par exemple. Et puis c’est pas comme s’ils ne se mettaient pas à nous faire des saluts romains nazis à tout bout de champ. Nous avons tout bonnement un nouveau gouvernement qui fait supprimer les mentions de transidentité de tous les services publics en ligne ou encore les recommandations sur la PrEP qui a disparu du site web de la CDC1.
Ces obligations d’invisibilisation ont aussi été propagées sur les sites internet des National Park Services où dorénavant les trans sont gommés (via un skeet de Xavier) de notre réalité et notre histoire, et y compris concernant un Monument National newyorkais depuis 20162 : Le Stonewall Inn (la photo ci-dessus est celle de mon dernier passage là-bas en 2013, c’est une sorte de pèlerinage majeur pour moi).
Et donc voilà ce que ça donne : ce n’est plus LGBT mais LGB !
C’est d’autant plus choquant alors que le Stonewall en 1969 était largement fréquenté par des personnes travesties et transgenres, et ce sont ces personnes qui étaient déjà les plus discriminées, et qui ont été les fers de lance de notre propre émancipation actuelle.
C’est le pouvoir aussi fascinant que terrifiant que notre monde numérique, celui de pouvoir changer l’histoire d’un simple « chercher / remplacer » sur des centaines de bases de données. Et c’est évidemment à Elon Musk que l’on doit une telle stratégie numérique de mainmise sur ces dispositifs digitaux officiels qui sont des sources de confiance et des repères immuables pour tout un chacun.
Cet exemple n’est qu’un tout petit minuscule effet de cette politique offensive de renormalisation de la société, et elle voit se relever les mœurs les plus rétrogrades érigées en commandements sacrés pour tous et toutes.
Christina Pagel a justement publié un texte très intéressant qui résume tous ces changement en mode Blitzkrieg, et leurs impacts délétères majeurs sur la société américaine, mais au-delà aussi sur cette affreuse galvanisation de nos propres fascismes made in Europe en germination.
Je vous mets un fil de pouets Mastodon qui reprend en synthèse ses propos (je vous le mets en français, puis la VO) :
« Voilà donc comment meurt la liberté… »
Les 3 premières semaines de Trump ont été un déluge incessant d’actions. Il est incroyablement difficile de suivre le rythme.
J’ai passé en revue 69 actions et cartographié le schéma – montrant comment elles s’inscrivent dans 5 grands domaines cohérents avec les États autoritaires.
Les décrets de Trump, les prises de pouvoir de Musk, le démantèlement des institutions plus rapidement que quiconque ne peut le suivre, l’attaque contre la science, le savoir et les organismes coopératifs internationaux et les alliés font tous partie du manuel de l’autoritarisme.
J’ai également regroupé les actions dans un tableau pour illustrer cela.
2 livres (How Democracies die, The Road to Unfreedom) mettent en évidence les étapes clés pour éroder la démocratie : Saper les institutions indépendantes Affaiblir l’opposition Démanteler les protections sociales Se retirer des alliances internationales Instrumentaliser le nationalisme Saper la science Saper les élections libres (y compris la désinformation)
** Presque toutes les actions que Trump a entreprises au cours des trois dernières semaines correspondent directement à ces étapes. **
Applebaum dans son livre de 2020 « Twilight of Democracy » avertit que les démocraties deviennent incroyablement fragiles une fois que leurs élites abandonnent les normes démocratiques…
Trump n’a jamais aimé les normes démocratiques mais les respectait (parfois) en paroles lors de son 1er mandat. Dans son 2ème mandat, il se délecte de les détruire.
Tous les Républicains qui résistaient ont depuis longtemps disparu. Les autres ont soit embrassé le chaos, soit choisi la complicité.
De nombreux Démocrates semblent paralysés.
Pendant si longtemps, les États-Unis ont été le principal allié du Royaume-Uni et de l’Europe, la voix la plus forte pour proclamer sa démocratie.
Mais les États-Unis sont maintenant une menace pour l’économie mondiale, la santé mondiale et la stabilité mondiale. Plus tôt cela sera reconnu, mieux ce sera.
Nos dirigeants semblent paralysés, incapables de parler des États-Unis dans le même langage qu’ils utilisent pour les pays traditionnellement hostiles, espérant que l’œil du tyran les épargnera.
Avant de pouvoir agir face à une crise, il faut reconnaître qu’on y est – il est temps pour nos dirigeants, et nos médias, de se réveiller
La version originale pour les anglophones. ^^
« So this is how liberty dies… »
Trump’s first 3 weeks have been a relentless flood of actions. It’s incredibly hard to keep up.
I’ve gone through 69 actions & mapped out the pattern – showing how they fall within 5 broad domains consistent with authoritarian states.
Trump’s executive orders, Musk’s power grabs, dismantling institutions faster than anyone can track, attacking science, knowledge and international *cooperative* bodies and allies are all part of the authoritarian playbook. I’ve also grouped the actions in a table to illustrate this.
2 books (How Democracies die, The Road to Unfreedom) highlight key steps to erode democracy: Undermine independent institutions Weaken the opposition Dismantle social protections Retreat from international alliances Weaponise nationalism Undermine science Undermine free elections (inc misinfo)
** Almost all of the actions Trump has taken over the last three weeks map directly onto those steps. **
Applebaum in her 2020 book « Twilight of Democracy » warns that democracies become incredibly fragile once their elites abandon democratic norms…
Trump never liked democratic norms but did (sometimes) pay lip service to them in his 1st term. In his 2nd term, he is revelling in burning them down. Any Republicans who resisted are long gone. The rest have either embraced the chaos or chosen complicity.
Many Democrats seem frozen.
For so long the US has been the core UK & European ally, the loudest voice in proclaiming its democracy.
*But the US is now a threat to the global economy, to global health and to global stability. The sooner this is acknowledged the better.*
Our leaders seem paralysed, unable to talk about the US in the same language they use for traditionally inimical countries, hoping that the bully’s eye passes them over.
Before you can act on a crisis you have to recognise you are in one – it is time for our leaders, and our media, to wake up.
Le bar est inscrit au Registre national des lieux historiques en 1999 et désigné site historique national en 2000, puis monument national en 2016 par Barack Obama↩︎
C’est en lisant l’article ci-dessous qui évoque ce singulier « Gay Manifesto » qui date de Stonewall (à priori écrit juste avant, mais Cy Lecerf Maulpoix explique que certaines mentions évoquent une écriture plus tardive), que j’ai découvert Carl Wittman.
Après quelques clics sur les Internets, j’ai trouvé le texte d’origine, et le voici pour votre propre curiosité ou édification. ^^
Ce truc est incroyable, et j’ai vraiment eu beaucoup d’émotion et quelques épiphanies en le lisant car ça pourrait carrément être un texte d’aujourd’hui. Et donc c’est aussi assez frustrant et cinglant, en même temps que c’est génial. Oui c’est génial de se dire qu’il y a encore une vraie filiation d’idées et de positions entre un pédé de 1970 et un pédé d’aujourd’hui, mais c’est terrible de se dire que l’on serine la même chose depuis plus de 50 ans, et que les changements ont certes eu lieu, mais ça reste tout de même encore un objectif non atteint. Evidemment cela résonne aussi particulièrement avec cet essai sur la « pédérité » que j’ai récemment évoqué, on pourrait vraiment y lire des lignes très similaires, ou même plaquées mots pour mots.
Il faudra que je lise le bouquin de Cy Lecerf Maulpoix qui offre une traduction de ce texte et surtout un commentaire qui doit être passionnant, mais c’est pas mal de d’abord le lire et se faire aussi son opinion (sans doute moins contextualisée car je suis loin d’être un spécialiste de l’histoire des mouvements LGBT). En tout cas, pour qui est un peu versé en anglais, ça se lit vraiment très facilement et ce ne sont que quelques pages de texte avec une forme très didactique et qui revêt vraiment cet effet « manifeste ».
Il y a d’abord cette introduction sur le rôle particulier de San Francisco pour les homos, et ça m’a irrémédiablement fait penser à ce que j’ai pu maintes fois écrire ici et ailleurs sur le rôle de Paris et du Marais pour moi pendant des années. Les choses ont bel et bien changé à ce sujet, et, comme SF aujourd’hui, Paris est moins le havre qu’il a été pour nous, mais ça reste une Mecque indéboulonnable pour les petit·e·s queers et torduEs qui cherchent l’émancipation.
Mais Carl Wittman commence son texte avec une métaphore forte et frappante en évoquant nos situations de « gay refugees » en parlant de SF comme « un camp de réfugiés pour gay ». Il évoque tous les américains qui ont fui de tous les coins du pays pour s’y retrouver, et c’est clairement assez analogue à Paris pour la France. Cette première métaphore est une des nombreuses qui émaillent le texte, et après une certaine solidarité avec la situation de personnes migrantes cherchant un refuge, il fait rapprochements sur rapprochements avec des luttes antérieures que ce soit celles des noires, des femmes ou plus étonnant l’écologie (en tout cas ça m’a étonné que ce soit un rapprochement aussi ancien).
Après le manifeste de manière très structurée propose plusieurs pistes de réflexions, et pour l’époque j’imagine que certains se décrochaient la mâchoire à lire cela, aujourd’hui heureusement la majorité des gens se dirait sans doute « bah oui hein ».
Donc d’abord Car Wittman explique des petites choses sur l’homosexualité, et des assertions évidemment essentielles pour expliquer ce que c’est et ce que ce n’est pas. On a donc tout une première partie sur l’orientation sexuelle, et notamment après avoir défini l’homosexualité, un second élément fort consistant à célébrer la bisexualité et on dirait aujourd’hui quelque part la « non binarité » dans les orientations ou la « pansexualité ». Il affirme avec une phrase qui m’a beaucoup fait sourire (mais à laquelle je souscris complètement) : « Les gays commenceront à se tourner vers les femmes quand 1) ce sera quelque chose de voulu et non d’obligatoire, 2) quand la libération des femmes aura transformé la nature des relations hétérosexuelles ». Et v’lan !!!
La seconde partie du manifeste est à propos des femmes, et en tout premier chef évidemment on regarde du côté de la cause lesbienne. Il reconnaît aussi que le machisme est un fléau chez les gays, et que la libération des femmes est une pierre angulaire du combat LGBT. Il évoque de manière très intéressante le rôle de la sexualité par exemple, qui chez les homos a plutôt été une source d’émancipation et un « symbole de liberté », tandis que pour les femmes une des origines de leur oppression. Et donc il y a nécessité à travailler avec ces alliées évidentes.
La troisième partie nous renseigne sur les « rôles » dans la société et les images perçues des différentes types de gays notamment. Mais il commence par fustiger le fait de vouloir rentrer dans le rang et d’imiter les hérétos dans leurs comportements, rites ou aliénations. Et évidemment le mariage dans sa forme actuelle n’est absolument pas prôné, on devra profiter de nos luttes pour le transformer et s’inventer peut-être de nouvelles manières de « faire couple ». Et ce qui m’a aussi beaucoup fait plaisir c’est de lire qu’il faut déjà à l’époque lutter contre la follophobie et cette sacro-sainte et détestable « bonne image ». Carl Wittman célèbre déjà les hurlantes, les drags et toutes les personnes « non conformes » qui sont au cœur de l’oppression et donc du combat.
J’ai été très étonné par l’insistance sur le coming-out et le fait que personne ne devrait être dans le placard, et que la finalité de tous les homos du monde est d’être « out ». Je suis vachement d’accord avec ça, mais ça m’étonne de le lire comme un des axes de libération aussi important. Mais d’un autre côté, à cette époque j’imagine que les militants devaient être super frustrés de se battre contre des moulins à vent, alors qu’ils connaissaient des tas de pédés dans le placard, et qui empêchait une visibilité dont on sait à quel point c’est une arme redoutable pour faire changer la société.
La partie suivante, sur l’oppression justement, détaille bien les stratégies ennemies, et c’est hallucinant de voir aussi comme c’est parfaitement actuel. Il suffit de voir les mouvements anti mariage pour tous d’il y a dix ans pour s’en persuader. Et on y parle aussi du grand danger de l’oppression « internalisée » (Self-oppression) par la propre communauté LGBT, celle qui notamment impose la « bonne image » et des statu quo par rapport à son propre cadre de référence et surtout son statut précaire de « parvenu ». On y comprend aussi toutes les luttes intestines et les dissensions qui ne sont que pain béni pour les ennemis de la cause.
La cinquième partie sur le sexe est un texte assez important et qui m’a pas mal étonné. Mais c’est vrai que l’on était dans une époque où la libération sexuelle n’était vraiment pas derrière nous, et à certains égards je vois bien qu’elle ne l’est toujours pas. Donc c’est aussi un élément clef du manifeste qui redit que le sexe c’est un truc sympa et pas sale. ^^ Mais il va super loin en disant qu’on doit remiser les notions d’actifs (pénétrants) et de passifs (pénétrés) et de toutes les notions de domination sociale qui s’y rapportent. C’est fou comme le texte évoque à chaque fois des choses dont j’ai l’impression qu’elles sont assez récentes, et pas du tout. (Bon, sachant que c’est Monique Wittig notre démiurge qui a tout inventé et déclenché de toute façon. Bravo les lesbiennes !!!) Et c’est marrant l’auteur va aussi jusqu’à évoquer les fantasmes sur l’âge ou la condition physique, et la nécessité de dépasser aussi ces carcans de nos propres mouvements.
La sixième sur nos ghettos est intéressante car elle reboucle déjà sur certaines notions. On y lit notamment qu’on crée ces espaces pour qu’ils soient sûrs et à notre image, et avec nos règles, mais qu’au final il y a récupération et exploitation par la société (et du capitalisme). On peut toujours être dubitatif sur celui-ci, car il faut à la fois être acceptant de tous et toutes, et utiliser aussi ces havres comme des lieux de médiation, de mélange, de sensibilisation et d’éducation, donc attractif pour tout le monde, mais gardant son âme… Un peu complexe à atteindre comme finalité.
La dernière partie se focalise sur ce qu’on appellerait aujourd’hui la « convergence des luttes », et c’est drôle et passionnant car il en fait des assertions très pratiques sur la manière dont on doit aborder les différents groupes. Donc on a des conseils de coalition et coopération avec les femmes, les noirs, les latinos etc. Et on n’est pas non plus dans l’ignorance de l’homophobie plus ou moins internalisée de ces groupes, donc ce n’est pas non plus le monde des bisounours, mais au contraire un positionnement assez rationnel et sérieux, et c’est assez épatant de se dire que 50 ans plus tard, on n’est pas loin d’écrire à peu près la même chose.
J’aime beaucoup le dernier groupe qu’il appelle les « homophiles », et qui sont aussi présents chez nous. Ce sont les gays les plus conservateurs et les moins militants en apparence, que certains taxent d’ailleurs de profiteurs (ils profitent des luttes sans faire aucun effort ou prendre aucun risque), et qui sont vraiment dans cette continuelle recherche de statu quo et de « bonne image » que j’exècre tant. Dans les années 50 à 80, c’était à peu près le terrain de l’association « Arcadie » et aujourd’hui ce serait pour moi GayLib ou L’Autre Cercle. Et il faut toujours raison garder, car on ne peut pas non plus être contre ces associations qui font aussi le job à leur manière. Roger Peyrefitte qui est un des fondateurs d’Arcadie est aussi l’auteur des Amitiés particulières qui est sorti en 1943, et dont on ne peut pas nier l’importance dans l’histoire du mouvement gay en France.
Et donc les conseils de Carl Wittman pour ce groupe :
1) réformistes ou minables1 parfois, ce sont nos frères. Ils progresseront comme nous avons progressé. 2) ignorez leurs attaques. 3) coopérez quand la coopération est possible sans compromission majeure. »
Encore une fois, c’est super actuel !! Et enfin la conclusion avec en résumé les 4 choses2 à retenir selon Carl Wittman :
1) Libérons nous : sortez du placard, lancez vous dans des activités politiques et défendez vous. 2) Libérez les autres gays : parlez tout le temps, comprenez, pardonnez, acceptez. 3) Révélez/libérez l’homosexuel en chacun : ce sera très difficile avec certaines personnes, mais il faut rester modéré et continuer à parler et agir librement. 4) Nous jouons un rôle depuis longtemps, donc nous sommes devenus des comédiens accomplis. Maintenant nous pouvons commencer à être nous-mêmes, et ça va être un très beau spectacle.
C’est vraiment marrant comme le coming-out était l’alpha et l’oméga de ce manifeste, mais après tout ça tombe sous le sens quand on se remet dans le contexte de 1969. L’existence même des LGBT et leur visibilité étaient la première pierre à l’édifice, et là au moins on peut se dire que oui les choses ont bien changé. ^^
Je vous mets aussi ce super document qui est publié par le même organisme « Red butterfly ». Il s’agissait de la cellule marxiste du New York Gay Liberation Front, et c’est passionnant de lire justement la convergence LGBT/anticapitaliste (et qui dans les faits atteint sa propre limite lorsqu’on lit le texte).
J’ai beaucoup de mal à traduire « pokey », c’est peut-être une grosse erreur de ma part. ^^ ↩︎
Encore une fois, une traduction très approximative ↩︎