Bugonia (Yórgos Lánthimos)

Je n’avais vraiment pas aimé Pauvres créatures malgré le talent manifeste d’Emma Stone dirigée par l’excellent Yórgos Lánthimos, mais j’en ai tellement aimé d’autres (surtout The lobster) que j’y suis allé sans idée préconçue. Et j’ai beaucoup aimé cette fois !

Il faut dire que c’est vraiment merveilleusement joué par Emma Stone et Jesse Plemons, et que l’histoire est barrée à souhait. Mais elle nourrit énormément de choses qui donne du grain à moudre, en plus d’une intrigue SF qui fait sourire et rend le film attachant, et encore plus surréaliste qu’il le présente de prime abord. J’ai beaucoup pensé à Nope pendant tout le film, et je trouve qu’il y empreinte vraiment ses différents niveaux de lecture, son étrange incursion du fantastique, et sa géniale singularité ainsi que son grain de folie.

Emma Stone est une caricature de CEO d’une grande entreprise multinationale de chimie, qui est notamment responsable de la manufacture d’insecticides à base de néonicotinoïdes. Elle vit dans une résidence somptueuse et se tient à un programme hyper stricte pour entretenir sa propre santé. On la voit vraiment en cliché du nabab « corporate » qui conseille, à contrecœur, à ses employés à quitter à 17h30… s’ils n’ont plus rien à faire, et ce n’est pas une obligation bien sûr etc. En quelques scènes très drôles (et aussi à pleurer de réalisme…), elle campe merveilleusement bien cette incarnation moderne de notre capitalisme bienfaiteur de l’humanité. (Laule)

Jesse Plemons bosse pour cette même entreprise dans un emploi subalterne, mais il est complètement ravagé par des émissions et des sources en ligne complotistes. Il pense avoir repéré en Emma Stone une extraterrestre qui est parmi les humains pour mieux les asservir, et notamment en détruisant les abeilles. Dès lors, il cherche à l’enlever, à l’aide de son cousin un peu benêt et très influençable, et il veut surtout qu’elle puisse l’emmener sur son vaisseau spatial pour rencontrer l’Empereur de la galaxie d’Andromède. Les deux ploucs réussissent contre toute attente leur coup, et la CEO tente de les convaincre que tout cela n’est vraiment pas crédible. Mais ils sont très très convaincus.

Bugonia est aussi un vrai « truc » que j’ignorais fondé sur des croyances antiques de génération spontanée d’abeille sur des cadavres de taureaux sacrifiés. Et je vois en quoi le film brode un peu sur ces mythes… Mais on est surtout dans des épisodes qui accumulent des couches de surréalismes et de nawak, tout en évoquant des sujets bien d’actualité comme la fin de la biodiversité, les solutions hypocrites du grand capital et l’attrait des théories complotistes. Le film est souvent très drôle car frisant l’absurde et le loufoque. Mais il en devient une fable finalement assez peu caricaturale, et c’est dur de dire si c’est à en rire ou à en pleurer ?

Et avec une fin digne de celle de Nowhere, je suis assez fan de cette conclusion qui ajoute encore une irrésistible incongruité à cette œuvre inclassable, mais qui pourrait, sur un malentendu, aussi ajouter de l’eau au moulin complotiste !! ^^

Pauvres créatures (Yórgos Lánthimos)

Depuis The Lobster, que je considère comme un chef d’œuvre assez culte, je suis très impressionné par Yórgos Lánthimos. La Favorite était aussi une sacrée réussite, et tout pointait pour que ce film soit plutôt très bien. Mais non, ça n’a pas fonctionné pour moi… Je ne sais pas si j’ai raté le coche, car les critiques ont plutôt l’air bonnes, mais moi je suis passé clairement à côté.

Et pourtant formellement le cinéma est toujours d’une aussi bonne qualité, on a des comédiens et comédiennes vraiment d’excellence (Emma Stone, Wilem Dafoe et Mark Ruffalo sont irréprochables), une réalisation très belle et originale. Mais tout ce déluge de moyens, de décors, et surtout ce « temps » (le film dure 2h20, et je ne les ai que trop senti passer) ne riment à pas grand chose j’ai l’impression. Au-delà d’une transposition fade de Frankeinstein au féminin, je n’ai pas du tout été sensible à cette histoire sans queue ni tête.

Et n’étant pas touché par la morale, ou la narration, ni vraiment par les personnages, je me suis surtout beaucoup fait chier. J’ai eu l’impression d’un Wes Anderson avec les facéties et la légèreté en moins, ou bien d’un Tim Burton de la bonne époque sans la fibre romanesque ou onirique.

Et comme pour The Lobster par exemple, je n’ai pas du tout été rebuté par l’absurdité de certains parti-pris ou du surréalisme fantastique des relations sociales, je ne crois pas que ce soit ces aspects là qui m’aient dérangé. C’est juste que je ne vois pas où cela nous mène, ce que cela nous apprend, ou l’édification obtenue.